À propos du “dilemme du prisonnier” : appuyer ou ne pas appuyer ?
À propos du “dilemme du prisonnier” : appuyer ou ne pas appuyer ?
La foi, ancrée dans l’adhésion souveraine à une révélation transcendante, dessine un autre “être-au-monde” que celui de la théorie des jeux.
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Dans les années 1950, des mathématiciens ont élaboré une théorie appelée “théorie des jeux”. Schématiquement, cette théorie s’applique dans des situations où des individus sont en compétition et ont des intérêts divergents (comme dans un jeu, d’où le nom). Grâce à la théorie des jeux, on peut calculer des configurations dites “d’équilibre”, c’est-à-dire un ensemble de choix qui, rationnellement, minimisent les risques et maximisent les gains.
DILEMME DU PRISONNIER
La mise en situation la plus connue de la théorie des jeux est le fameux “dilemme du prisonnier”. On imagine deux prisonniers, complètement isolés l’un de l’autre (communication impossible) et soumis à un sadique geôlier qui met dans chacune des deux cellules un interrupteur avec les instructions suivantes : si les deux prisonniers appuient sur l’interrupteur, ils sont amputés d’un bras, puis relâchés. Si un seul des deux prisonniers appuie sur l’interrupteur, celui qui a appuyé est libéré, l’autre est exécuté. Si aucun des deux prisonniers n’appuie sur l’interrupteur, ils sont tous les deux relâchés, sans heurt.
Évidemment, la situation optimale est celle où personne n’appuie sur l’interrupteur. Sauf qu’étant donné qu’aucun des deux prisonniers ne peut savoir ce que l’autre va faire, la décision la plus rationnelle — c’est-à-dire celle qui minimise les risques et préserve les gains — consiste à appuyer sur l’interrupteur. En effet, en appuyant, on s’en sort “au pire des cas ” avec un bras en moins, “ dans le meilleur des cas ”, libre etindemne. En revanche, en n’appuyant pas sur l’interrupteur, on prend le risque d’être exécuté, alors que le “meilleur des cas ” reste le même. Autrement dit, à un niveau individuel, il n’y a rationnellement aucune raison de ne pas appuyer…
DÉCENTRER L’EGO
Est-ce vraiment le cas ? On peut opposer à la théorie des jeux, une conception de la “foi” qui subvertit la rationalité mathématique. Le dilemme du prisonnier ne prend en effet pas en compte les notions de sacrifice de soi, de l’amour du prochain, d’un principe transcendant, ou juste d’un intérêt supérieur au bien-être individuel. La théorie des jeux — dans tous les différents dilemmes qui la mettent en scène — part à chaque fois de l’idée de sauvegarde de l’intérêt individuel, pour ne pas dire égoïste.
Or l’idée de foi, ancrée dans l’adhésion souveraine à une révélation transcendante, décentre l’ego. C’est le sens que l’on peut tirer, par exemple, de la supplication de Jésus qui efface sa volonté au profit de la volonté du Père (Luc, chapitre 22, verset 42) ou des péricopes coraniques qui invitent à prioriser la Justice sur l’intérêt privé, voire familial (sourate 4, verset 35).
DÉFIER LA MORT EN FACE
En tout état de cause, la foi dessine un autre “être-au-monde” que celui de la théorie des jeux et offre de fait une autre façon d’aborder le dilemme du prisonnier. Face au jeu sadique du geôlier, la foi imposera de ne pas appuyer sur l’interrupteur. Pas en espérant que l’autre prisonnier en fasse de même, auquel cas on serait toujours dans un calcul d’intérêt; mais plutôt : ne pas appuyer, car c’est la seule décision qui défie la mort en face, au lieu de s’y soumettre.
D’aucuns diront que cette décision est irrationnelle. Mathématiquement irrationnelle. Peut-être. Mais pour le croyant, c’est sans doute la seule décision digne de Dieu.