Agricall au secours des agriculteurs

Agricall au secours des agriculteurs

Dettes, surcharge administrative, épidémies, aléas climatiques, solitude, épuisement, conflits intergénérationnels… Pour de multiples raisons, les agriculteurs peuvent se retrouver face à des obstacles qui leur semblent insurmontables, générateurs de désastres financiers et humains. Couvrant toute la Wallonie, Agricall les aide à affronter ces épreuves et à trouver, ensemble, des solutions. 

Par

Publié le

24 novembre 2025

· Mis à jour le

24 novembre 2025
Deux personnes se serrant la main, devant un champ

Pierre a repris, avec sa femme, la ferme familiale achetée à crédit à son père. Au fil des années, les chevreaux ont remplacé les ovins, mais les dettes se sont accumulées, et il décide de se lancer dans l’élevage de poulets. Un choix qui entraîne de nouveaux crédits et s’avère désastreux. S’ensuit une dépression sévère. Un autre Pierre, célibataire et heureux de l’être, gère une trentaine de vaches laitières sur l’exploitation reprise à ses parents qui vivent toujours sur place. Lorsqu’il s’aperçoit que l’une d’elles est malade, il refuse de le déclarer, ne pouvant se résoudre à voir l’ensemble de son troupeau abattu. À la mort de sa femme, Aymé cherche une nouvelle épouse pour s’occuper, avec lui, de la ferme et, seule, de la maison. Il va la dénicher en Roumanie. Ces trois agriculteurs sont les héros de films – Au nom de la terre, Petit paysan, Je vous trouve très beau – qui racontent fidèlement le mal-être de leur profession : le désespoir menant au suicide, la perte de son cheptel – donc de sa raison de vivre – suite à une épidémie et la solitude. Avec, toujours, en toile de fond, les conflits intergénérationnels et la présence, ou non, d’une compagne aidante. 

ASBL INTERDISCIPLINAIRE

C’est à eux – et à elles – que s’adresse Agricall, une ASBL interdisciplinaire composée de psys, juristes, agronomes et analystes financiers. « Nous reflétons leur côté “multi-casquettes” en proposant un service le plus à la carte possible, qui s’adapte à chacun de leurs besoins, explique Laurence Leruse, sa coordinatrice. Notre approche est très personnalisée, pas du tout standardisée. Nous sommes un regard extérieur, afin de pouvoir lever des tabous, des malentendus, dissiper certaines réactions plus épidermiques, amener du recul. Sans avoir de baguette magique ! Il faut qu’une série d’éléments soient réunis pour aboutir à une situation favorable : que la personne ait envie de travailler avec nous, reconnaisse qu’un coup de pouce est nécessaire et qu’une relation de confiance se crée, parfois avec l’ensemble des membres d’une famille. »

Tout commence toujours par un appel téléphonique. L’appelant a le droit de rester anonyme, il peut avoir juste besoin d’une écoute et d’un soutien psychologique à distance. Il se sent épuisé, son moral est en berne, sa motivation chancelante, et cela lui fait du bien de se confier, de savoir qu’il est entendu et compris. Sa demande peut aussi être plus précise, plus urgente. Il affronte des difficultés financières, ne parvient plus à honorer ses factures, jusqu’à se retrouver en butte à des procédures judiciaires, voire à des saisies d’huissiers. Ou bien il est confronté à des soucis familiaux, des parents qui ont du mal à lâcher-prise, des enfants qui voudraient avoir plus d’autonomie, les uns et les autres s’opposant sur la conduite de l’exploitation. Deux membres de l’ASBL aux profils différents se rendent alors sur place. « Personne ne doit rester au bord du chemin, insiste la responsable. Certains disent qu’ils n’ont plus la force de se lever, qu’ils décalent les heures de traite, etc. Et parfois, il suffit de pas grand-chose pour relancer leur énergie. Ils doivent sentir que nous sommes à leur côté, que l’on n’est pas là pour les juger. Petit à petit se crée une relation de confiance et, en fonction de l’urgence de la situation, on met en place des visites plus ou moins régulières. »

UNE DÉMARCHE DIFFICILE

Il est toujours malaisé de franchir le pas pour demander de l’aide. Les agriculteurs ont plutôt la volonté de s’en sortir seuls, même s’ils prennent de plus en plus conscience que, si la situation s’est dégradée, ce n’est pas forcément de leur faute. « Dévoiler ce qui est souvent considéré comme une faiblesse est difficile, reconnaît Vincent Decallais, analyste financier. Or on peut avoir eu un coup de malchance, rater un investissement, être victime de la conjoncture, des crises sanitaires, des aléas climatiques. » « Cela n’a pas été une démarche facile », convient Maurice (prénom modifié), agriculteur dans la province du Luxembourg. Travaillant sur deux exploitations distinctes avec son père, il n’a cessé d’emprunter, pour un tracteur, des vaches, un épandeur, la construction d’une étable. À la retraite de ses parents, son cheptel augmente, ainsi que son travail et son stress. Ne supportant plus rien, il pense au suicide mais, avant, appelle sa fille qui l’aiguille vers Agricall. Une psychologue le libère « d’une partie d’un grand poids » et des solutions sont trouvées pour diminuer travail et stress, tout en lui permettant de faire des économies et de prendre du temps pour sa famille. 

Francis (prénom modifié) est agriculteur laitier dans la même province, et ce sont sa femme et sa fille qui ont contacté l’association, effrayées par la gravité de la situation. Cet homme au « caractère dur », à qui le travail n’a jamais fait peur, avait en effet fini par vouloir mettre fin à ses jours, se sentant prisonnier d’une spirale d’emprunts et de dettes, ne disposant plus que de 50€ par mois pour les courses familiales. « On n’arrêtait pas de travailler ma femme et moi. » Et quand son fils aîné est venu les rejoindre après son école d’agriculture, des désaccords se sont multipliés, créant des tensions de plus en plus vives. Jusqu’à un séjour à l’hôpital. À son retour, la situation ne s’améliorant pas, Agricall est intervenue, lui trouvant notamment un bon avocat afin de régler le problème avec la banque. « Soulagé d’être soutenu », il a néanmoins fini par vendre sa ferme.

CHARGE ADMINISTRATIVE

Chaque année, l’ASBL reçoit plus de deux mille appels et accompagne sept à huit cents personnes. Elle a vu le jour en 2001 au sein du service de psychologie du travail de l’Université de Liège, au moment de la crise de la vache folle qui a entrainé des abattages massifs de troupeaux. Retrouver l’étable vide a constitué pour les éleveurs l’équivalent d’un choc post-traumatique. Le département universitaire voit alors l’opportunité de monter avec la KUL et le soutien du Fonds social européen un projet au niveau fédéral dans la prévention des maladies et des accidents, y compris le stress. Une permanence téléphonique est mise en place, avec la possibilité de rencontrer un psychologue. Qui découvre que le stress n’est pas lié qu’aux abattages, mais aussi à la charge administrative. Prenant en 2005 le statut d’ASBL, financée par la Région wallonne, Agricall s’étoffe d’une équipe pluridisciplinaire, qui est rejointe onze ans plus tard, vu les crises à répétition que connaît le secteur, par des analystes financiers regroupés au sein de la cellule Finagri. « Si cela leur fait du bien de parler de leurs problèmes, observe Laurence Leruse, en cas de dettes, de difficultés financières, ce n’est pas suffisant. On réalise des analyses plus chiffrées, un bilan de trésorerie d’une année. » 

« La crise laitière de 2016, provoquant une importante baisse des prix, a conduit à une réflexion sur une intervention le plus en amont possible, sans attendre que la personne soit trop décapitalisée, ait des idées trop noires, n’ait plus de ressort, développe Vincent Decallais. L’agriculteur doit appeler dès qu’il sent les difficultés arriver, quand il voit par exemple les factures en retard s’accumuler. Finagri propose une approche plus financière, une analyse plus approfondie de la ferme, en collaboration soit avec un agronome de l’équipe, soit avec des vétérinaires extérieurs. On élabore des plans d’amortissements des crédits, ce qui peut permettre d’envisager leur report avec la banque. On essaie de convaincre les fournisseurs de patienter, tout en les alimentant quand même un minimum. Parfois, il est nécessaire de négocier avec un huissier envoyé par un fournisseur ou le tribunal. Mais jamais on ne dessaisit l’agriculteur de ses décisions, même si on peut tenter de lui faire comprendre, par exemple, qu’il lui faudrait peut-être réduire un peu le bétail pour mieux soigner les animaux restants et ne pas aller à la catastrophe. »

SERVICE GRATUIT

Agricall, dont le service est gratuit tout au long de la procédure, tente aussi de dénouer des écheveaux intergénérationnels. Quand l’enfant prend part à l’exploitation, des questions surgissent, potentiellement délicates et génératrices de conflits. Comment les tâches vont-elles se répartir et quel sera le processus de décision ? D’autant plus que, souvent, les parents continuent à vivre sur place. Il faut alors que l’exploitation soit suffisamment rentable pour deux ménages. Et, au moment de la retraite, comment va se dérouler le passage de flambeaux, sans qu’une partie de la fratrie se sente lésée ? La charge de travail ne sera-t-elle pas trop importante pour le ménage en activité ? Il est donc indispensable qu’un dialogue se noue, avec le moins de tabous possible. L’ASBL est également témoin de la solitude de fermiers, de leur isolement physique, psychologique et affectif. L’excès de travail, sa prégnance, sa constance les empêchent souvent de trouver le temps de sortir, et encore plus de partir en vacances, les privant ainsi de distractions et de contacts sociaux.

Agricall organise des formations de différents types, sur la communication au sein des familles ou de la ferme ou pour aider les futurs agriculteurs à analyser un bilan de trésorerie, à faire des investissements, à échanger avec le banquier. Elle donne aussi des cours de prévention afin d’apprendre à gérer le stress, la fatigue, à tirer la sonnette d’alarme suffisamment tôt avant l’épuisement total. Et elle a créé Agrikit, des petites fiches à destination des professionnels qui côtoient les agriculteurs.

Michel PAQUOT

Partager cet article

À lire aussi

  • Visage d'un jeune dont la tête est découpée en plusieurs parties
  • Une femme avec une barbe tenant un livre
  • Le chroniqueur Hicham Abdel Gawad regardant la caméra, se trouvant à l'extérieur devant un buisson