Alerte rouge en maison de repos
Alerte rouge en maison de repos
Que se passe-t-il dans les maisons de repos en Wallonie et à Bruxelles ? Après les années covid, le secteur se relève difficilement. Les craintes du personnel – essentiellement féminin – s’ajoutent aux inquiétudes des résidents. Tandis que les soignants trinquent, avec des répercussions sur les “clients”, les voyants de plusieurs établissements sont au rouge.
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« Après le covid, principalement à Bruxelles, on a observé une baisse du taux d’occupation dans certaines maisons de repos (MR), ce qui a entraîné une baisse des financements publics nécessaires, notamment pour assurer les frais de personnel », explique Sébastien Robeet, secrétaire national Non-Marchand à la CNE (CSC). Pour le syndicaliste, des déficits commencent à apparaître dans une série de MR, notamment dans le secteur commercial. « Par exemple, on se retrouve face à la première forme de licenciement collectif au sein du Groupe Emeis (anciennement Orpea). C’est quand même assez impressionnant dans un secteur qui était plutôt en croissance, que l’on célébrait comme la “silver economy” et où le vieillissement de la population attirait des investisseurs privés y voyant une nouvelle poule aux œufs d’or ».
La situation est pourtant moins rose que celle affichée par les publicités alléchantes pour les résidences seniors. Beaucoup décrivent un cercle vicieux infernal : pénurie et manque de personnel soignant, crise des vocations, démissions… « Le personnel soignant, ce sont les infirmières. Mais, en MR, le gros des troupes est surtout formé par les aides-soignantes. Moins de personnel y entre et pas mal de personnes en sortent. Non pas pour partir à la pension, mais parce qu’elles sont malades, épuisées. Le cercle vicieux est enclenché : celles qui restent sur le terrain doivent faire face à une charge de travail plus difficile et cela remet en question tout le sens du métier. »
INQUIÉTUDES MULTIPLES
Dans ce contexte, la disponibilité du personnel pour les soins et le bien-être des personnes âgées est mise à mal. Car la pénurie de personnel suscite de vraies questions sur le respect des normes dans certaines MR. Pour Sébastien Robeet, « c’est difficile partout. Même si les logiques de rentabilité dans les maisons de repos commerciales accentuent la pression sur les travailleuses et touchent aux conditions de bien-être des résidents. Ce secteur commercial s’adresse aussi davantage à des publics plus aisés ». Dans le public non-marchand, les moyens mis à disposition par les villes ou les CPAS – les plus souvent à la manœuvre – varient, et donnent des approches différentes de localité à localité. Difficile donc de tirer des conclusions globales car, à Bruxelles, 60% des MR sont gérées par le secteur commercial, les 40% restants émargeant au non-marchand, associatif (comme les mutuelles) ou public. En Région wallonne, le secteur commercial est moins représenté. « La réalité vécue avec nos délégués en MR montre que la situation sur le terrain n’est pas fondamentalement différente selon les secteurs. Les difficultés liées soit au taux d’occupation, soit à la pénurie de personnel sont relativement les mêmes. »
Côté résidents, les inquiétudes sont également nombreuses. « La préoccupation financière ressort réellement des observations de notre équipe, souligne Mégane Vander Elst, coordinatrice de Senoah (anciennement Infor-Homes W). Les demandes d’entrée en MR augmentent pour des personnes qui n’ont d’autre choix en termes de besoins d’accompagnement. Mais elles se demandent si elles pourront financer leur séjour et si des aides financières existent ». Selon elle, la disponibilité des places pose aussi problème. Une difficulté renforcée quand une personne doit “choisir” en urgence d’entrer en MR. « Une telle situation signifiera sans doute un moindre choix du résident ou de sa famille. Les personnes devront aller où il y a de la place, sans adhérer fondamentalement au projet de l’établissement. Le travail de Senoah est justement d’inviter les familles à réfléchir en amont d’une décision, quand le besoin n’est pas encore pressant. » Bien sûr, en cas de post-hospitalisation ou de perte d’un conjoint, l’urgence sera souvent inévitable…
ANIMAUX DE COMPAGNIE
Si la situation n’est pas facile, Mégane Vander Elst insiste tout de même pour mettre en avant des pratiques inspirantes. « L’image des MR est encore très négative, ce qui a une influence sur l’entrée dans ces résidences. Il faut bien sûr nuancer, elles ne sont pas toutes pareilles. Des choses nouvelles s’y mettent en place parce qu’elles se préoccupent du bien-être des personnes. Cela va de l’acceptation d’animaux de compagnie à des structures qui vont plus loin que les conseils de résidents (obligatoires), comme des comités “repas” ou “activités” qui se réunissent plus souvent. Parfois, ils gèrent un budget qui leur est attribué. » Ces pratiques inspirantes restent toutefois compliquées à mettre en œuvre dans une situation de pénurie ou de tensions. « Quand on est dans la course quotidienne, il est difficile de dire au personnel – déjà fatigué – de se mettre à écouter les résidents, d’organiser ces temps d’échanges… Dans certains établissements, des choses se mettent en place pour aller plus vite, mais ne sont pas normales, comme mettre une protection à une personne qui n’est pas incontinente parce qu’en fait on n’est pas sûr de pouvoir être directement présent lors de son appel. »
ARRÊTÉ ROYAL DÉVALORISANT
À force de devoir gérer énormément de résidents en effectif réduit – et parfois en pénurie -, il arrive que les équipes soient démotivées. Ne pas pouvoir entrer en relation avec le résident ni avoir la possibilité de prendre le temps entraîne son lot de découragements et met à mal les raisons pour lesquelles de nombreuses professionnelles ont choisi ce métier : la relation, l’aide à la personne, etc. Et les nuages continuent à s’amonceler. En cause un arrêté royal du Gouvernement fédéral précédent qui s’ajoute aux situations déjà compliquées. Depuis plusieurs mois, les familles de résidents reçoivent un courrier les invitant à signer un avenant à la convention d’hébergement qui les lie à leur MR. Pour les nouveaux entrants, il s’agira d’un document en plus dans la panoplie des divers formulaires. Cet AR du 29 février 2024 vise à « permettre que l’exercice de certaines activités au sein des soins de santé ne soient plus nécessairement réservées aux professionnels de soins de santé et puissent donc, dans certaines conditions, également être exercées légalement par des non professionnels de soins de santé ».
Autrement dit, du personnel technique et logistique peut pratiquer « des actes de la vie quotidienne » (AVQ) sans être formé comme une aide-soignante, voire comme une infirmière… Mais aussi « tout citoyen » ! Entre la régularisation d’AVQ déjà exécutés par des proches (tels l’instituteur qui en séjour gère la médication d’un élève ou une personne de la famille faisant la toilette de son parent alité) et un élargissement trop vague pour raisons économiques, le sujet est délicat. Les académies royales de médecine du nord et du sud du pays avaient pourtant manifesté leur crainte « que cela n’ouvre la porte à l’utilisation de personnel non qualifié pour les AVQ dans des établissements de soins ou les soins à domicile (par exemple pour des raisons budgétaires, en raison de pénuries de personnel) ». Parmi les actes prévus, figurent notamment l’alimentation et l’hydratation des personnes sans trouble de la déglutition, les soins aux stomies, la mesure de paramètres (température, rythme cardiaque, tension…), le lavage du nez, des oreilles et des yeux.
RÉSIDENT GAGNANT ?
Pour Sébastien Robeet, on peut effectivement « assumer ce qui se fait déjà en milieu scolaire ou en camp de jeunesse où une médication peut se faire par un éducateur, ce qui ne nécessite pas une grande compétence. Mais avec le flou entourant cette notion d’AVQ qui sont sorties de l’exercice de l’art infirmier, cela devient limite ». Une clause de sauvegarde serait toutefois de mise dans le cas où un infirmier ou un médecin estimerait que tel acte pour tel patient et dans telle situation doit être effectué par un soignant.
Il est difficile de dire combien de MR ont intégré cet AR sans sourciller. Du côté syndical, on s’interroge pour savoir si l’élargissement des tâches sera accompagné de nouveaux contrats. Quid de la responsabilité d’un agent logistique en cas de pépin ? « Nous essayons de freiner ce glissement, prévient le secrétaire national Non-Marchand. Nous défendons le principe selon lequel chaque professionnel a ses compétences propres. Chacune requiert un niveau de qualification avec une rémunération correspondante. À partir du moment où on délègue certains actes, on se retrouve face à une transformation assez profonde du sens des métiers. Cela change aussi le risque ou l’approche des patients. »
Quoiqu’il en soit, il reste difficile d’apprécier quelles MR auront recours à ce système de délégation de soins. Et quelles seront les réactions des professionnels dont la fonction va “glisser” : les infirmières renforceront un rôle de coordination plutôt que d’être au chevet des patients et des résidents, les aides-soignantes s’occuperont davantage des soins non délégués… Bref, le contact individuel va se modifier. Sous peine d’une normalisation de ces glissements, la vigilance est indispensable quant à l’évolution de la mise en œuvre de cet arrêté. Qui défendra que la qualité des soins, le confort des résidents et du personnel doivent rester prioritaires ?
Stephan GRAWEZ
MALTRAITANCE : LES RAISONS DU SILENCE
« Toute personne qui vit, qui a ressenti ou qui se pose des questions sur des situations de maltraitance peut nous contacter », explique Dominique Langhendries, directeur de Respect Seniors, l’agence wallonne de lutte contre la maltraitance des aînés, qui définit la maltraitance comme « tout acte ou omission commis par une personne ou un groupe de personnes qui, au sein d’une relation personnelle ou professionnelle avec un aîné, porte ou pourrait porter atteinte physiquement, moralement ou matériellement à cette personne ».
Clarifions d’abord un élément : la maltraitance peut survenir aussi bien à domicile qu’en institution. L’action de Respect Seniors dépasse en effet largement les personnes en institutions puisqu’environ seulement 10% des personnes âgées résident en MR. Les maltraitances peuvent être psychologiques (infantilisation, chantage) ou se concrétiser par des négligences (le manque de soins ou, a contrario, son excès par un aidant qui veut trop bien faire et craint de laisser sortir son parent ou conjoint). Viennent ensuite les maltraitances financières (captation d’héritage, utilisation frauduleuse d’une carte bancaire, détournement de temps en temps de choses pour soi-même lors des courses…). On parlera encore de maltraitances civiques, quand on refuse que l’aîné fasse ses propres choix (par exemple, prendre sa carte d’identité parce que jugé “incapable”). Et enfin de maltraitance physique qui est considérée, à tort, comme la plus répandue.
Pas facile toutefois d’objectiver le nombre de cas. « Nous recevons environ quatre mille appels par an, mais ce n’est que la face visible de l’iceberg, estime Dominique Langhendries. La première raison pour ne pas nous contacter est liée à l’auteur désigné. La plupart du temps, il s’agit d’un membre de la famille. Difficile donc d’oser accuser un proche. La deuxième raison est de l’ordre du chantage, elle joue sur l’affectif ou la peur de représailles : en institution, ce sera la crainte de ne plus être soigné comme avant ou d’être mis dehors ; en famille, ce sera celle de ne plus recevoir de visites. Enfin, la troisième raison est relative à la méconnaissance de ce qu’est la maltraitance. » (St.G.)