« Je suis désolée de vous mettre dans la sauce, je sais que ce sont les vacances et que ça va être difficile de me remplacer, mais je ne vais pas revenir pour les prochains mois… » En substance, voici le contenu du coup de fil que passe Alix Battard, début du mois d’août 2016, à la direction de la chaîne privée RTL-TVI. Brutal, mais pas autant que la violence du diagnostic selon lequel sa très jeune fille est atteinte d’un cancer. C’est pour la soigner que la présentatrice met temporairement en pause sa carrière. Celle-ci avait pourtant démarré en trombe. Il ne lui a fallu que cinq ans, depuis ses débuts à la présentation de l’info-trafic en 2006, pour se hisser à la position de présentatrice-réserve du JT, après un passage par la rédaction du magazine Place Royale (2008). « Je ne me suis même pas posé de question, se souvient-elle. Ma place était aux côtés de ma fille, je n’ai pas ressenti le moindre sentiment de sacrifice. »

ALIGNEMENT DES PLANÈTES

Après le sentiment que tout s’effondre autour d’elle, rapidement, les choses se mettent en place. « Je suis convaincue qu’il y a une espèce de puissance maternelle qui vous transcende et qui vous permet de faire des choses auxquelles vous n’êtes pas préparée. » L’adrénaline de l’info lui manque-t-elle ? « Ni le stress de l’actu ni le fait d’être à l’antenne tout le temps ne m’ont manqué. J’étais bien occupée. Et finalement, je me suis dit que c’était une ‘année cadeau’. Loin de la maman censée bosser à temps plein, je suis devenue pendant un an maman à 100% du temps avec mes deux filles. » Elle tient à souligner le soutien dont elle a bénéficié de la part de la chaîne. « RTL a été une boîte hyper soutenante. Je n’oublierai jamais la façon dont elle m’a permis de prendre le temps qu’il fallait pour m’occuper de ma fille tout en me garantissant ma place à mon retour. » Une fois sa fille guérie, elle reprend la partie en main. Son retour à l’antenne, elle l’amorce avec force. Après l’épreuve qu’elle a traversée, elle se sent puissante. Elle se plante devant le patron de la chaîne et joue cartes sur table : « Écoute, soit tu me donnes une place fixe au journal, soit j’arrête la présentation. »

Manche gagnante : elle devient titulaire du RTL Info 13 heures. Elle ne voulait plus être le joker ; elle gagne la place de dame de cœur… et notamment de celui des Belges. Fin 2022, elle figure dans la liste de leurs vingt-cinq personnalités féminines préférées. Mais elle n’attend jamais que s’installe une lassitude pour changer de cap. Petit à petit, elle commence à imaginer d’autres projets en interne à RTL. À l’automne 2023, tout s’enchaîne rapidement. Elle présente son dernier JT de 13 heures, puis annonce dans la foulée qu’on la retrouvera à la présentation d’un magazine Place Royale relifté. « C’était vraiment un alignement des planètes, sourit-elle. Au moment où je menais cette réflexion, RTL est venue vers moi avec le projet de relancer Place Royale. Cela a un peu précipité ma réflexion évidemment, on n’arrête pas le journal pour n’importe quelle émission. Celle-là me correspondait bien, ça me permettait de reprendre une actualité que j’avais toujours suivie, et de changer de rythme. »

ALIX ET LA JOURNALISTE

En prenant un peu de recul, Alix Battard explique qu’elle était à un moment de sa vie où on rebat un peu les cartes et où on se dit « j’ai déjà fait beaucoup de choses, mais que vais-je faire du reste de ma carrière ? ». Elle rit : « Je ne sais pas si c’est ce qu’on appelle la crise de la quarantaine, mais j’avais encore envie d’apprendre des choses, j’avais besoin de bouger. J’ai toujours fait mon métier avec beaucoup de passion, je n’avais pas envie d’arriver à un moment où je l’aurais fait de façon mécanique et sans envie. » RTL va donc placer son atout à la présentation de Place Royale. « Ça m’excite beaucoup de reprendre une marque qui évoque tant de choses, qui a gardé une telle sympathie chez les gens. Avec une connotation qui pourrait être un peu ringarde, mais c’est un peu une madeleine de Proust. »

Dans le jeu auquel joue Alix Battard dans sa carrière de journaliste, une carte jetée à la défausse a étonné : elle a décidé de remettre sa carte de presse. « Même si je pense qu’elle permet d’amener un sérieux, une crédibilité et une assurance, et qu’il faut défendre la profession de journaliste, je crois qu’elle enferme dans une case. Dans les activités que je suis en train de mettre sur pied, dans les choses que je pourrais développer à l’avenir, je trouvais qu’elle était une façon de me limiter, de m’enfermer dans un statut très valorisant, mais qui, en même temps, m’empêchait d’être ‘Alix’ avant d’être la journaliste. Je sais quelle est ma formation, quelle est mon éthique. J’aurai toujours une démarche journalistique dans mes actions. Mais le fait de ne plus avoir la carte de presse me permettra dorénavant d’être totalement transparente, notamment sur les réseaux sociaux. »

ENGAGEMENT CITOYEN

S’il y a une chose qui frappe chez Alix Battard, c’est assurément son doux sourire. Le même qu’on lui connait à la présentation du 13 heures. Il n’est pas feint, elle le garde hors caméra. Mais quand on essaie de gratter pour voir ce qu’il y a derrière ses “projets à côté” suggérés à plusieurs reprises, il se transforme en sourire en coin, celui du joueur de poker qui a un carré d’as en main et doit le cacher. « Ce n’est pas pour jouer le secret, c’est juste parce que je suis seulement en train d’apprendre ». Çà et là, elle évoque quand même des projets qui ne seront peut-être pas compatibles avec le fait d’être indépendante vis-à-vis de l’une ou l’autre marque qu’elle soutient pour ses valeurs et celui de partager ses goûts sur les réseaux sociaux. Occasionnellement, elle est l’invitée d’une conférence, comme c’était le cas début février. Elle a honoré de sa présence le cercle d’entrepreneuses Hors Normes pour expliquer qu’il était possible de combiner plusieurs vies différentes : professionnelle, parentale, et d’autres vies “à côté”.

Alix Battard ne se qualifie pas volontiers de militante, mais plutôt d’engagée. « J’ai mis en place beaucoup de choses dans ma vie personnelle qui me permettent de dire que je suis assez engagée sur un monde meilleur pour demain. Plus de vélo, moins d’avion, courses en vrac, je réfléchis à la façon dont je m’habille… Je suis une citoyenne qui se pose des questions sur le monde dans lequel elle s’inscrit ! » Un engagement qui trouverait un écho en politique ? « Alors ça, c’est non ! Pas que ça ne m’intéresse pas, mais je trouve que le clientélisme et les compromissions de la politique ne mènent pas le projet vraiment ambitieux que méritent les citoyens. Je suis beaucoup trop franche et entière pour me lancer dans quelque chose où je sais que je n’aurai pas de poids. Je pense en avoir plus à mon échelle, en agissant comme une citoyenne, comme exemple qu’on pourrait prendre. »

François HARDY