Amin Maalouf : quand le passé éclaire l’avenir
Amin Maalouf : quand le passé éclaire l’avenir
Dans son nouvel ouvrage, « Le Labyrinthe des égarés » Amin Maalouf invite à découvrir les clefs majeures de l’Histoire de quatre grandes puissances mondiales depuis 1900 et à imaginer un projet viable pour l’avenir de l’humanité.
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Bonheur de lire Amin Maalouf, écrivain français d’origine libanaise, membre de l’Académie française. Un homme sage, mesuré, humaniste qui réprouve intimement les violences comme seul mode opératoire dans la résolution des conflits à travers le monde. Il a une crédibilité pour être entendu, lui qui a dû, à l’instar de millions de Libanais, fuir son pays ravagé par des guerres fratricides pour trouver refuge en France. Il a ainsi développé un regard au spectre plus large qu’un Occidental trop souvent autocentré. À le lire, on a l’impression de mieux comprendre les préoccupations et sensibilités, telles celles du monde arabe ou de puissances comme la Chine et le Japon.
PERTE DE CRÉDIT MORAL
En 1998, dans Les identités meurtrières, il expliquait avec brio combien l’identité unique, qu’elle soit ethnique, religieuse ou politique, menait trop souvent au fanatisme et à la guerre. En 2009, son regard sur l’avenir est devenu plus sombre. Il publie alors un livre au titre interpellant, Le dérèglement du monde, où il constate que l’Occident a perdu de son influence et de son crédit moral. En cause, notamment, l’attaque injustifiée et la guerre des États-Unis contre l’Irak en 2003 sur base de mensonges et sans l’accord des Nations Unies.
Et voici qu’à l’automne 2023 est paru son nouvel essai à l’intitulé et au propos tout aussi inquiétants qu’explicites : Le labyrinthe des égarés, sous-titré L’Occident et ses adversaires. Il reprend la même thématique de la perte d’influence et de prestige du modèle occidental qui prône des principes moraux et démocratiques qu’il ne respecte pas lorsque ses intérêts sont en jeu. Cette fois, il invite à comprendre les problèmes d’aujourd’hui à partir de l’observation de l’histoire de quatre grandes puissances : le Japon, l’Union soviétique, la Chine et les États-Unis. Une analyse bienvenue en cette année où l’incertitude pour l’avenir est palpable. Le retour d’une guerre possible en Europe assombrit les esprits, tout comme l’horreur à Gaza.
DÉFAITE CRÉATIVE
Focus ainsi sur le Japon, l’un des premiers pays à avoir contesté la prédominance de l’homme blanc occidental sur le monde depuis cinq cents ans. S’il a pu maitriser la technologie occidentale, se tailler une zone d’influence en Extrême-Orient, son nationalisme outrancier lui a été fatal en attaquant les États-Unis à Pearl Harbor. Leçon paradoxale de cette histoire : l’acceptation forcée de ne plus être une puissance militaire suite à la victoire américaine lui a été bénéfique et a permis un spectaculaire redressement économique. On a parlé à ce propos de « défaite créative ».
L’Union soviétique a aussi représenté un espoir, avec le récit nouveau de la lutte des prolétaires du monde entier et l’appel aux exploités à renverser le capitalisme et les exploiteurs. Cette politique a suscité espoirs, adhésions, succès pendant des décennies, mais la dictature et son inefficacité économique lui ont été fatales, écrit Maalouf. On découvrira encore avec intérêt des pans de l’histoire peu connue de la Chine contemporaine, et notamment le rôle et l’influence de Sun Yat sen, père de la nation, premier président de la république après la chute de l’empire. Vient ensuite l’étude des ressorts de la puissance américaine, plus familière aux lecteurs occidentaux.
CULS-DE-SAC SUCCESSIFS
En conclusion de ces leçons d’histoire, Maalouf ressent un désarroi pour la guidance du monde. L’image du labyrinthe, ce réseau compliqué de chemins et galeries dont on a peine à sortir, lui semble adéquate pour dire les voies empruntées par l’humanité aujourd’hui qui paraissent mener à des culs-de-sac successifs. Où est l’issue ? Pessimiste, il écrit à propos des enjeux environnementaux : « Rien de sérieux n’est fait pour éviter le cataclysme annoncé. » Inquiet, il relève notre incapacité à gérer ensemble de manière responsable les affaires de notre planète, même quand il y va de notre avenir.
Chacun refuse de faire des sacrifices, de se modérer. Il rêve d’un monde où on est prêt à recevoir des autres. Il craint qu’une guerre resurgisse par un grain de sable dans un jeu de poker réciproque. Il y a un sursis, pense-t-il, pour construire un nouveau système dans lequel l’humanité pourrait se reconnaître. L’angoisse vécue aujourd’hui pourrait être salutaire. Il faut sortir de ce labyrinthe et comprendre et admettre que nous nous sommes tous égarés. Tous…
Gérald HAYOIS

Amin MAALOUF, Le Labyrinthe des égarés, L’Occident et ses adversaires, Paris, Grasset, 2023. Prix : 23€. Via L’appel : –5% = 21,85€