Au commencement…

Au commencement…

Réflexion à partir de La création (1935), une œuvre d’Aaron Douglas (1899-1979), un peintre afro-américain travaillé par la question de la ségrégation raciale aux États-Unis.

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Publié le

29 février 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Photo de la chroniqueuse Laurence Flanchon souriant à la caméra

Aaron Douglas est un artiste afro-américain moderniste qui, de manière pionnière, a très souvent abordé dans son travail les problèmes sociaux liés à la ségrégation aux États-Unis. Figure importante du mouvement de renaissance de Harlem, La création est un tableau marqué par des références à l’Égypte – les pyramides et la silhouette plate aux angles prononcés – dont l’esthétique était en vogue dans l’entre-deux-guerres. Il offre dans cette œuvre une vision dynamique et originale de la création en référence au premier chapitre de la Genèse. 

Le geste créateur de Dieu est figuré par cette main immense qui dispense ses bienfaits à la création, tout en se tendant vers l’être humain qui, comme la plante, est tourné vers elle. L’atmosphère ondule, la création tourbillonne, s’élève et roule… L’artiste parvient à “montrer” le dynamisme créateur de Dieu dans cette composition qui semble se mouvoir sous nos yeux. Dieu ne cesse de créer « car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 17,28).

L’ÊTRE HUMAIN PRIMORDIAL

Sommes-nous au soir du 6ème jour ? Sans doute, puisque l’être humain est créé. L’artiste épure et récapitule : une plante pour figurer l’ensemble du végétal et « l’adam » – le terme est toujours utilisé dans les premiers chapitres de la Genèse avec un article – pour figurer l’être humain primordial. Adam vient du terme « adamah » qui signifie terre. La Genèse évoque la création de l’humain à partir de la Parole de Dieu, de la terre et du Souffle. Ce même souffle qui, au jour de la Pentecôte, fit éclater les barrières entre les humains rassemblés et leur fit prendre conscience que la foi est un langage universel. Et pourquoi l’art ne le serait-il pas également ? Le mouvement de renaissance de Harlem, mouvement foisonnant tant sur le plan littéraire, musical que pictural, voyait en l’art, précisément, une manière de surmonter le fossé entre les Afro-américains et les Américains blancs.

Tous, nous sommes des “terreux” que le Souffle a tissés. Dieu parvient à donner à notre glaise la légèreté. Cet humain a les pieds solidement ancrés dans la terre dont il semble, telle la plante, surgir. Solidarité du créé. Comme déjà traversé par le signe de l’alliance – l’arc-en- ciel -, l’humain est littéralement fait d’ombres et de lumière. En lui travaille le Souffle de Dieu, en lui s’instille la lumière de sa Parole. Regardant la main qui vient à lui, son attitude est faite d’attente et d’ouverture, ses mains sont prêtes à recevoir : il vient de la terre, mais il est tourné vers le ciel ; en lui a lieu la rencontre.

LE PARDON DE DIEU

L’œuvre d’Aaron Douglas est également intéressante pour illustrer le psaume 32, dont voici un extrait :

« 3. Tant que je ne reconnaissais pas ma faute,

mes dernières forces s’épuisaient en plaintes quotidiennes.

4. Car de jour et de nuit, Seigneur,

ta main pesait sur moi, et j’étais épuisé,

comme une plante s’assèche au plus chaud de l’été. 

5. Mais je t’ai avoué ma faute, je ne t’ai pas caché mes torts.

Je me suis dit : « Je suis rebelle au Seigneur,

je dois le reconnaître devant lui. »

Et toi, tu m’as déchargé du poids de ma faute. »

Aaron Douglas, La création

Si Douglas évoque la Genèse, le pardon donné par Dieu gratuitement n’est-il pas source de création en nous, force de renouvellement à l’image de l’homme de ce psaume passé du silence dévorant à la parole libératrice? Au verset quatre du psaume, il est question de la main de Dieu : elle pèse sur l’homme, nuit et jour. Est-ce l’expression d’un mal-être, d’une culpabilité connue, mais non reconnue puisqu’elle n’advient pas à la parole ? Est-ce un sentiment d’oppression face à un Dieu auquel on ne peut rien cacher ? Peut-être. Mais n’est-ce pas plutôt une main qui s’offre, comme celle figurée dans l’œuvre de Douglas, pour que le silence dans lequel s’enferme l’orant puisse être rompu ? Une main qui accompagne, comme posée sur une épaule pour guider vers l’expression des mots qui libèrent ? Car ce qui pèse, ce qui est lourd, est ce qui a de l’importance. En hébreu, le mot « gloire » (kabôd) signifie « être lourd ».

À nous, humains, qui sommes souvent ballotés par le vent des épreuves à traverser, à nous qui sommes parfois pleins de légèreté dans nos opinions…, Dieu ne serait-il pas là pour nous donner un peu de lest, un peu de poids et de conséquence ? Un humain plus “ancré” et, à la fois, plus “léger” du pardon reçu, de la parole libérée, de la confiance accordée en ce Dieu qui guide lorsqu’on se tourne vers lui ? 

L’œuvre de Douglas évoque cette posture de l’être humain en dialogue avec Dieu : debout, conscient de ses ambigüités, mais accepté comme tel et encouragé à faire grandir la meilleure part de lui-même. 

Laurence FLACHON, Pasteure de l’Église protestante de Bruxelles-Musée (Chapelle royale)

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