Au-delà de l’apocalypse
Au-delà de l’apocalypse
Le passage à une nouvelle année civile, avec ses fêtes et ses échanges de vœux, ne doit pas nous faire oublier que l’humanité dans son ensemble vit un changement plus profond et plus radical.
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Comme le rappelait le pape François lors de ses vœux traditionnels de fin d’année à la Curie romaine, il y a quelques années, le temps que nous vivons n’est pas seulement une époque de changements, mais un véritable changement d’époque. Au moment où Jean, le voyant de Patmos, écrivait son Apocalypse, l’Église vivait une telle situation. Beaucoup de chrétiens étaient mis à mort parce qu’ils osaient confesser publiquement leur foi et refusaient de renier le Christ. Les “signes” du Dragon et de la Femme vêtue de soleil, la lune sous ses pieds et la tête couronnée de douze étoiles, représentaient, d’une part, l’Église et, d’autre part, le pouvoir oppresseur et persécuteur. L’Apocalypse était à tout point de vue un écrit subversif. Mais aussi un cri d’espérance.
UNE GUERRE SAINTE
Tout comme l’auteur de l’Apocalypse faisait une lecture des évènements de son temps à la lumière de cette révélation, ainsi devons-nous faire. Au cours des premiers siècles, c’était l’Empire romain qui menait une guerre sainte, au nom de la religion de l’État, contre les “sectes” nouvelles – et le christianisme était perçu comme l’une d’elles – qui étaient vues comme ennemies de la “religion” d’État. Aujourd’hui, sauf en de rares coins de la planète, les chrétiens ne sont pas persécutés parce qu’ils confessent Dieu. Mais, à l’échelle universelle, et peut-être d’une façon plus massive que jamais auparavant, les faibles et les petits sont écrasés par les grands et les puissants. Les témoins de la foi ne manquent pas. Mais lorsqu’ils sont éliminés, c’est en général pour avoir pris la défense des petits et des opprimés, et pour s’être identifiés à eux.
Le dernier demi-siècle a connu plusieurs régimes totalitaires dont les puissants de ce monde se sont bien accommodés, jusqu’au jour où il a semblé opportun de les renverser par la violence. Mais à côté de ces régimes totalitaires s’en est développé un autre, à l’échelle mondiale : le rouleau compresseur d’une forme d´économie mondiale qui n’a cessé d’engendrer la pauvreté des masses pour permettre l’enrichissement d’une minorité. Et, comble de tout, ce sont les masses les plus pauvres qui doivent porter le poids des remèdes aux crises engendrées par ce système économique lui-même, désormais déboussolé.
LA FRATERNITÉ COMME ANTIDOTE
Dans son encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale, le pape François, dans un premier chapitre intitulé « Les ombres d’un monde fermé », décrit la situation actuelle de l’humanité dans des termes d’une couleur fortement apocalyptique : des rêves qui se brisent en morceaux, l’absence d’un projet pour tous, la crise écologique, les pandémies, les migrations forcées et le rejet des migrants, etc. Et pourtant, ce chapitre se termine sur un appel à l’espérance. Et cet appel à l’espérance prend la forme d’un appel à la fraternité.
Déjà, dans son premier discours au monde le jour de son élection, s’adressant à la foule assemblée sur la place Saint-Pierre, François, s’inclinant devant cette foule, lui demandait ses prières en disant : « Prions toujours les uns pour les autres. Prions pour le monde entier, pour qu’existe une grande fraternité. » Et, le 4 février 2019, lorsqu’il rencontrait, à Abu Dhabi, le grand iman d’al-Azhar, ces deux chefs spirituels signaient un document sur la fraternité où ils se reconnaissaient comme frères et regardaient ensemble le monde d’aujourd’hui. La fraternité leur apparaissait comme la seule force pouvant résister à la poussée apocalyptique.
Vivre en frères, dans l’amitié sociale, avec toute la richesse de leurs différences culturelles et religieuses, est la seule façon, pour les humains, de s’ouvrir à l’avenir.
Armand VEILLEUX, Moine de l’abbaye de Scourmont (Chimay)