Avoir la honte
Avoir la honte
« Depuis quelques semaines, qui ose encore se dire catholique ? Chrétien, peut-être, à la rigueur. Mais catholique ! Même dans une conversation entre amis, c’est le lynchage assuré… » Ce témoignage confié par une lectrice attentive de L’appel est loin d’être unique. Avoir honte d’être catholique est quasiment devenu une attitude normale. « Et…
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« Depuis quelques semaines, qui ose encore se dire catholique ? Chrétien, peut-être, à la rigueur. Mais catholique ! Même dans une conversation entre amis, c’est le lynchage assuré… » Ce témoignage confié par une lectrice attentive de L’appel est loin d’être unique. Avoir honte d’être catholique est quasiment devenu une attitude normale. « Et je ne vous dis pas si, en plus, on avoue qu’on va encore temps en temps dans une église… », ajoutait cette lectrice, avant un long silence…
On pourrait dire cette réaction inspirée par le regard des autres, le regard de « la société ». Qui ne peut comprendre qu’après les tombereaux de révélations d’actes inacceptables, et fondamentalement non chrétiens, perpétrés par des prêtres, les changements au sein de l’institution soient si lents, et les résistances internes si tenaces.
Mais cette honte ne peut pas être seulement un moyen de se protéger en se cachant sous la table. Tout catholique doit aujourd’hui ressentir en lui- même, et pour lui-même, l’horreur d’appartenir à une Église où se sont déroulés et se déroulent encore de tels faits, et avoir une envie viscérale de s’indigner face à de telles situations. Se révolter face aux vies détruites, aux abus venus d’adultes dans l’exercice d’une autorité, et aux manipulations des sentiments d’autrui.
Cette tragédie n’a pas que des acteurs directs, responsables. Autour d’eux se dresse tout le reste. L’ensemble du système dans lequel fonctionnent de nombreuses institutions, mais dont l’Église catholique est une experte. Un système structuré par une verticalité implacable, où chacun dépend d’un autre, lui-même largement soumis à un supérieur hiérarchique. Une verticalité obéissante associée à une cohésion, une solidarité quasiment totale. Qui « entre dans les ordres » sait que, si on se soumet quand il le faut, on pourra toujours compter sur le soutien de ses « confrères » et sur le règne de la loi du silence. Quoi qu’il arrive, ou presque. La fameuse phrase du cardinal Barbarin, lâchant devant micros et caméras « Dieu merci, il y a prescription », en est une brillante illustration. Un exemple de cette espèce d’aliénation dont ne peut se défaire une grande partie des hautes sphères du clergé, cherchant souvent davantage à protéger les siens que de porter secours à ceux qui en sont victimes. Et, lorsqu’on se décide de « réparer », n’est-ce pas s’en sortir à bon compte que tout régler par une simple transaction financière ?
En Belgique, les langues se sont déliées un peu plus tôt qu’ailleurs. À l’échelle de l’ensemble du monde catholique, la liberté de parole instillée par les réseaux sociaux remonte maintenant à la lumière d’autres scandales liés aux comportements de clercs de l’Église. Et force est de constater que, là aussi, la hiérarchie ne brille pas par ses réactions. Partout, l’institution catholique semble rongée par un douloureux cancer dont les retombées touchent tous ceux qui se sont un jour dit en être les « fidèles ». Mais qui ont de plus en plus de mal à le rester. La maladie semble si profonde que vient à l’esprit une question hier im- pensable : l’Église pourra-t-elle en guérir ? Ou ses rapports avec le monde sont-ils dégradés à jamais ? Sans se préoccuper de l’effroyable effet qu’exercent ces aveuglements sur tous ceux qui, malgré tout, souhaitent encore appartenir à un certain « peuple de Dieu ». Mais peut-être plus celui dont parle l’Église…
Frédéric Antoine
Rédacteur en chef