Guerres et religions : 500 flammes vagabondes

Guerres et religions : 500 flammes vagabondes

Porteuse de guerre, ma religion ? Mais oui, bien entendu ! Et pas qu’une fois. Pas que mille fois. Tout au long de son histoire, le catholicisme n’a cessé de partir en guerre.

Par

Publié le

31 mars 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Le chroniqueur Gabriel Ringlet, la tête posée sur la main, portant des lunettes et regardant la caméra

Pourquoi cette violence ? Pas seulement économique ou politique, mais religieuse. Et pas uniquement “au loin”, mais ici, tout près, maintenant : l’homme tue au nom de Dieu. Il est trop simple de s’en tirer par des explications de nature sociopolitique ou historique. Bien sûr que cela joue et que l’exclusion, la répression, le colonialisme appellent la violence. Mais Dieu ? Que vient-il faire là-dedans ? Serait-il, lui aussi, fanatique ? Dieu, peut-être pas… mais l’idée de Dieu, mais les mots sur Dieu, mais le discours à propos de Dieu, oui, il arrive qu’ils assassinent. Tant il est vrai, nous disait le cher professeur Gesché lors de mes études de théologie, qu’« il y a en chacun de nous un dieu sombre de l’abîme qu’il faut vaincre comme l’antique dragon. Car la religion peut ensemencer l’épouvante ».

DOUCEMENT UNE PAROLE FORTE

Affirmer que ma religion peut avoir, parfois, la volonté d’imposer une conviction par la force ne dit pas le tout de mon catholicisme, bien entendu. Cela ne dit pas la joie intérieure ou l’enthousiasme collectif ; cela ne dit pas la fête, la justice, la beauté, la charité ; cela ne dit pas l’héroïsme, jusqu’à la sainteté. Mais il n’empêche qu’il faut répondre à la question posée par le philosophe Paul Ricœur : comment prononcer doucement une parole forte ? Une parole qui nous vient de plus loin que nous, et qui n’est pas une simple parole de consolation. Car la religion a aussi mission d’inquiéter l’homme et de « faire chemin contre elle-même », dit encore Ricœur, et de lutter contre son propre fondamentalisme.

AU CŒUR D’UN ABÎME

Au moment où je rédige cette chronique, j’apprends la mort du Père Émile Shoufani, le “curé de Nazareth” comme on l’appelait familièrement. C’était un grand ami. En mai 2003, à son initiative, nous nous sommes réunis pendant quatre jours à Cracovie, Auschwitz et Birkenau, cinq cents personnes de toutes convictions, en présence de plusieurs survivants de la Shoah. Quel bouleversement de se trouver à Auschwitz au milieu d’hommes et de femmes venus d’Israël et de Palestine, habités seulement – et c’est immense – par le souci de marcher vers la souffrance de l’autre ! 

Nous voilà le long de la voie ferrée par laquelle sont arrivés quatre cent mille juifs hongrois. Derrière Émile Shoufani, chacune, chacun porte une bougie qu’il, qu’elle tente de garder allumée. Au micro, des voix juives et arabes alternent. Nommer quelques centaines de noms parmi six millions. Nommer pour dire un au-delà du clan, pour rejoindre un au-delà de l’appartenance et tenter de descendre au cœur d’un abîme qui dit tous les abîmes. Arrivés à l’embranchement, face au bunker II, là où le convoi déversait son chargement, des juifs, des musulmans, des chrétiens, des non-croyants affirment que la fraternité ne se divise pas. Dans le silence, chacun a déposé son luminaire sur le rail. Cinq cents flammes vagabondes pour une paix incertaine.

Quelques années après cet incroyable rendez-vous d’Auschwitz, l’écrivain Régis Debray rencontre Émile Shoufani à Nazareth et lui pose la question : « Et votre identité, Père Shoufani ? » Réponse de mon ami Émile : « Je suis arabe, de culture musulmane, de religion chrétienne, de mémoire byzantine, dans un milieu juif. Je suis tout cela à la fois. Je n’aime pas les identités. Je n’ai que des appartenances. Est-ce que j’ai l’air d’un homme déchiré ? » Pour n’être pas porteuse de guerre, j’invite ma religion à n’avoir que des appartenances.

Gabriel RINGLET

Partager cet article

À lire aussi

  • Cassingena Trévédy appuyé sur un muret, avec des arbres et un cours d'eau derrière lui
  • Le chroniqueur Gabriel Ringlet, la tête posée sur la main, portant des lunettes et regardant la caméra
  • Un homme dans une cuisine regardant le contenu de son sac Too good to go