Close: l’amitié à fleur de peau
Close: l’amitié à fleur de peau
Close, le nouveau chef-d’œuvre de Lukas Dhont, retrace le drame bouleversant vécu par deux jeunes garçons, expulsés brutalement de l’innocence de l’enfance par le regard des autres. Rémi et Léo ont treize ans tous les deux, ils aiment s’inventer des histoires, jouer ensemble ou faire la course dans les champs de fleurs. Ils sont inséparables…
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Close, le nouveau chef-d’œuvre de Lukas Dhont, retrace le drame bouleversant vécu par deux jeunes garçons, expulsés brutalement de l’innocence de l’enfance par le regard des autres.
Rémi et Léo ont treize ans tous les deux, ils aiment s’inventer des histoires, jouer ensemble ou faire la course dans les champs de fleurs. Ils sont inséparables et n’imaginent pas devoir un jour vivre l’un sans l’autre. Leur amitié est très physique et intime, d’ailleurs leur proximité s’exprime par des gestes tendres, d’une infinie douceur et d’un naturel évident. Ils sont heureux, sous le regard bienveillant de leur famille. Cependant, à leur entrée en école secondaire, le regard curieux des autres élèves et leurs remarques insidieuses ou insultantes finissent par avoir raison de leur insouciance et modifient en profondeur leur relation. La tendresse qu’ils exprimaient de façon si spontanée devient suspecte. Là où il n’y avait que de l’amour, les autres voient de la sexualité. Là où il n’y avait que de l’insouciance, les autres installent de la honte. Là où il n’y avait que de la joie, les autres instillent la culpabilité.
Éloge de la fragilité
Avec ce deuxième long métrage, le réalisateur gantois confirme tous les talents qu’il a révélés dans Girl, film pour lequel il a obtenu la Caméra d’or à Cannes en 2018. Le festival le récompense à nouveau du Grand Prix 2022 pour ce drame, qui a fait pleurer toute la Croisette. Lukas Dhont a le don de filmer l’intimité d’une amitié avec une pudeur à fleur de peau, un naturel et une évidence, rarement vus au cinéma. Il ne fait que suggérer l’homophobie ordinaire dont sont victimes les deux garçons. Il veut surtout montrer comment ils vont être impactés par les normes de la masculinité que véhicule la société. Quel regard le spectateur va-t-il porter sur cette amitié sensuelle et intime ? Va-t-il se rendre complice du drame en pervertissant, par ses jugements, ce qui est beau, ce qui est pur, ce qui est bon ?
Lukas Dhont confie qu’il se sent proche du personnage de Léo. Lorsqu’il était tout jeune, il a été stigmatisé parce qu’on le voyait comme un garçon féminin et fragile. Alors, il a pris peur et s’est éloigné de ses amis masculins et les a repoussés. Il s’est coupé de son langage émotionnel, s’interdisant d’exprimer son amour pour un autre garçon, et il porte, aujourd’hui encore, les conséquences de cette blessure très personnelle. Il ajoute : « Je trouve que cette fragilité, cette tendresse dans l’univers masculin, nous en avons besoin. »
Il a été frappé par l’étude d’une psychologue américaine qui montrait qu’à treize ans, les garçons évoquent volontiers leur monde intérieur. Ils parlent de leurs amitiés masculines comme des histoires d’amour. Leurs amis sont les personnes les plus importantes pour eux, avec qui ils partagent tous leurs secrets. Mais lorsqu’ils ont dix-huit ans, ils sont plus distants et ont du mal à s’exprimer sur les relations entre hommes. Ils se conforment à un idéal de masculinité qui les exclut de leur propre intimité et muselle leur fragilité.
Derrière les silences
C’est par le cinéma que le réalisateur a pu se confronter à lui-même et se reconnecter à cette tendresse qui était en lui. Ses films parlent pour lui. Plutôt que de valoriser la force ou la violence, il veut redonner toute sa place à la tendresse et faire de la fragilité un super pouvoir. « Pendant très longtemps, j’ai considéré comme une faiblesse tout ce qui était fragile en moi et j’ai essayé de le transformer. Et puis, je me suis rendu compte que c’est ma fragilité qui me rendait fort. C’est ce que j’essaie d’exprimer à travers les personnages de mon film. »
Du haut de ses treize ans, Léo tente de se conformer à ce qu’on attend de lui. Il se met à jouer au hockey sur glace, comme s’il voulait prouver sa masculinité. Ces scènes, presque chorégraphiées par le réalisateur, sont comme une métaphore de son évolution intérieure et de la violence qu’il retourne contre lui. Léo se cache dans son maillot et derrière la grille de son casque, qui masque son visage. Son costume pèse sur ses frêles épaules et l’enferme, comme la culpabilité qui le ronge.
Sensible à la beauté, Lukas Dhont apporte un soin tout particulier à ses prises de vues, ses décors et ses lumières. Il offre des images rayonnantes de couleurs, dans les champs de fleurs que cultivent les parents de Léo. Au fil des saisons qui s’égrènent, le labeur aux champs prend de plus en plus de place dans la vie du jeune garçon. Il abandonne ses jeux d’enfant pour participer aux travaux de l’exploitation horticole. Il met les mains dans la terre, porte des cageots et, ce faisant, entre dans le monde des adultes.
Les deux jeunes acteurs expriment à l’écran une complicité rare. Eden Dambrine, dans le rôle de Léo, et Gustav De Waele, dans celui de Rémi, ont trouvé très vite les moyens d’exprimer corporellement et dans leurs yeux la complexité de leurs mondes intérieurs. Le cinéaste les filme au plus près, magnifie leurs regards hypnotiques. Ils parviennent à exprimer l’essentiel dans le non-dit, dans les silences, les regards évités ou les gestes retenus. « Je cherche à trouver en eux ce qui peut parler sans parler, ce qui se passe à l’intérieur d’eux », explique-t-il. Il faut être un grand artiste pour filmer une pièce vide et faire le plein d’émotions.
Tendre virilité
Pour les encadrer avec une bienveillance toute maternelle, Émilie Dequenne joue la mère de Rémi avec une sensibilité désarmante, et les larmes qu’elle tente de contenir débordent dans les yeux du spectateur. Léa Drucker, quant à elle, est la mère de Léo. Malgré sa présence aimante et toutes ses attentions, elle peine à rejoindre son fils dans le drame intime qu’il traverse. Les seconds rôles masculins ne sont pas en reste : Kevin Janssens, en père de Rémi et Igor Van Dessel, en grand frère protecteur de Léo, donnent aux hommes cette virilité empreinte de tendresse et de fragilité, si chère au réalisateur.
Après l’hiver, le printemps revient, comme une nouvelle naissance. Le film évoque aussi la façon dont Léo va se reconstruire, seul, sans son ami à ses côtés. Comment traverser la culpabilité de l’avoir rejeté ? Avec subtilité, le film parle de sujets qui toucheront immanquablement toutes les générations.
Close est de ces œuvres marquantes qui font aimer le cinéma, parce qu’on y vit des émotions intenses, parce qu’on est ébloui par la beauté des images, et parce qu’on ne peut que tomber sous le charme de ces personnages attachants.
Jean BAUWIN
Close, de Lukas Dhont, en salle dès le 02/11.