


ANATOMIE D’UN DRAME
Dans l’incipit de ce roman, avant même son premier chapitre, son héroïne en confie la clé : à elle seule, elle a réussi à commettre « le premier massacre [humain] provoqué par le désir d’écrire ». C’est-à-dire l’élimination d’une tribu vivant sur une île inconnue, sorte de miroir inversé du monde moderne : intacte, dangereuse, mystérieuse, soit tout l’opposé de l’autodestructrice société actuelle. Mais comment en est arrivée-là ce cadre en quasi-burnout d’une société de loisirs multinationale, qui accepte malgré son état de superviser la construction d’un palace dans un coin de paradis pratiquement inviolé ? C’est ce que déroule au fil des pages Nathan Devers dans une sorte de « thriller philosophique ». (F.A.)
Nathan DEVERS, Surchauffe, Paris, Albin Michel, 2025.
UN ROI UTILE
1830 : indépendance de la Belgique. Premier roi : Léopold 1er. On l’apprenait ainsi à l’école. Il vaut la peine d’élargir les quelques bribes d’informations données alors. L’auteur s’y emploie et propose de s’attarder sur l’année 1848, cruciale pour le maintien de l’indépendance du pays. Cette année-là, la révolution gronde à Paris et de sérieuses menaces d’annexion de la Belgique par la France doivent être déjouées. Le monarque jouera alors un rôle majeur pour la consolidation du pays grâce à son réseau et à sa profonde connaissance des arcanes du pouvoir dans les États voisins. Tout cela est raconté plaisamment. (G.H.)
François ROELANTS DU VIVIER, L’année du Roi, 1848, Wavre, Mols, 2024.
MYSTÉRIEUX CARAVAGE
Alba a acheté chez un antiquaire romain une copie d’un Jeune Bacchus de Caravage, qui serait le premier autoportrait de l’artiste, miséreux et malade. Quel est le mystère de ce visage verdâtre et intrigant ? Elle mène l’enquête. Et si c’était l’original ? Le lecteur est entraîné dans un voyage entre la Rome de la fin du XVIe siècle et celle d’aujourd’hui, dans ses ruelles et ses palais, dans les ateliers des grands peintres rivaux et leurs pratiques. L’autrice navigue entre les émotions et questions des partenaires d’un amour extraconjugal et les interrogations sur l’authenticité d’une œuvre d’art et sur ce qui constitue sa valeur. (J.G.)
Léa Simone Allegria, Douce menace, Paris, Albin Michel, 2025.
RENDEZ-VOUS RATÉ
Par petites touches, l’auteur s’interroge sur ce « qu’on cherche à rattraper en écrivant un frère mort », conscient que les « livres sont des pierres tombales ». Ces deux frères ne se voyaient plus depuis très longtemps, eux qui avaient « traversé l’enfance ensemble », mais en « y cheminant séparément ». Le récit d’un profond rendez-vous raté. Restent les souvenirs qui s’égrènent en fonction de rencontres, d’images retrouvées, de papiers anodins qui prennent une autre dimension. Lente reconstitution d’un puzzle de tant de pièces que l’auteur retrouve avec étonnement et surprise, constatant que « la mort d’un être cher est aussi déchirante que la sienne ». (C.M.)
Grégoire DELACOURT, Polaroïds du frère, Paris, Albin Michel, 2025.
PAROLE D’AMI(E)
Il y a 25 ans, dans son roman La conversation amoureuse, Alice Ferney s’interrogeait sur ce qu’est aimer à travers le langage. Via l’histoire d’une liaison entre deux êtres, elle montrait comment la parole peut à la fois créer, sublimer, mais aussi fragiliser le lien. Un quart de siècle plus tard, elle reprend cette même dynamique d’une histoire bâtie sur de multiples conversations entre un homme et une femme, mais la situe dans un cadre que l’un et l’autre essaient, malgré les événements de la vie, de maintenir à un niveau amical. Ce subtil roman tout fait de dialogues, à l’écriture fine, progresse en permanence sur l’étroite ligne de crête entre ce que sont l’amour et amitié. (F.A.)
Alice FERNEY, Comme en amour, Arles, Actes Sud, 2025.
LE DERRIÈRE DE L’ÉCRAN
Ce roman lève un coin du voile sur la face cachée du monde des chaînes de télévision françaises, et en particulier celui des émissions matinales, dont l’héroïne est la présentatrice star. Après avoir quitté son mari pour le narcissique coprésentateur de l’émission, elle tombe dans une déprime amoureuse qui se muera en effondrement professionnel. Pour se reconstruire, elle s’enfuit sur l’île de Sein, mais son ancien amant l’y rejoint pour lui enjoindre de revenir dans le grand cirque médiatique. Une tentation irrésistible ? Raconté à la première personne, cette histoire, écrite par la rédactrice en chef des éditions numériques de L’Obs, confie les sentiments d’une femme de la quarantaine face au monde qui se délite. (F.A.)
Nolwenn Le BLEVENNEC, La Matinale, Paris, Gallimard, 2025
ROMANS CROISÉS
Les œuvres de Didier van Cauwelaert s’inspirent souvent du réel. Son dernier livre, présenté comme « son histoire la plus intime », dévoile un secret, semble-t-il, jamais confié, même à son épouse : le manuscrit de son premier roman aurait été renvoyé par un éditeur à une jeune auteure dont il aurait reçu de son côté le tapuscrit, relatant un drame conjugal allant jusqu’au meurtre. Lisant chacun le récit de l’autre, ils tombent amoureux. Lorsqu’il rend son texte à son auteure, leurs vies vacillent. Jusqu’à ce que la réalité dépasse la fiction. Une histoire simple, tendre et touchante, qui s’étend sur près de quarante ans. (F.A.)
Didier van CAUWELAERT, L’impasse des rêves, Paris, Albin Michel, 2025.
IA DANGER ?
L’intelligence artificielle suscite craintes et espoirs. Le philosophe Luc Ferry propose son éclairage en tentant de répondre à quelques questions majeures : comment expliquer les performances de ces machines ? Quelles conséquences entraine l’IA pour le travail salarié ? Peut-elle remplacer la créativité de l’esprit humain ? Que va-t-elle changer dans des métiers comme la médecine ? Comment réguler son développement alors que des questions éthiques se posent ? En conclusion, il ne partage pas le point de vue de ceux qui sont extrêmement alarmistes et craignent une mainmise non consentie sur nos vies. (G.H.)
Luc FERRY, IA : grand remplacement ou complémentarité ? Paris, L’Observatoire, 2025.
LE POIDS DU PASSÉ FAMILIAL
Antoine Wauters, originaire des Ardennes liégeoises, est de plus en plus apprécié par un large public. Haute Folie, le titre de son nouveau roman, est un lieu-dit de sa région. Une indication déjà d’un drame à venir. Voici un livre écrit comme un conte à portée universelle, sur les secrets de famille ou de village dans le milieu rural. En jaquette de couverture, la photo d’un enfant seul, en marche le long d’une broussaille en feu ou irradiée par le soleil. Une invitation à suivre le parcours d’un garçon qui ignorera longtemps le drame vécu par ses parents agriculteurs, décédés tragiquementquand il était un tout jeune enfant. Recueilli par un oncle, il grandit, mal dans sa peau, ignorant ce passé familial qu’il ne découvrira que jeune adulte. Son parcours de vie en est chaotique, largement solitaire, en recherche. Le livre court sur cent soixante pages, pas plus. Une écriture dépouillée, des paragraphes courts et, entre ceux-ci, des espaces blancs qui invitent à méditer, à mesurer le poids des non-dits, la difficulté d’en sortir. Mais la possibilité aussi d’une lente reconstruction de soi, d’un ailleurs. (G.H.)
Antoine WAUTERS, Haute-Folie, Paris, Gallimard, 2025.
D’APPRENTIES ESPIONNES
Écrit d’une plume alerte, ce deuxième volet de la trilogie L’escadron volant tient le lecteur en haleine en le plongeant dans la Venise du XVIe siècle. L’autrice multiplie les points de vue et ressuscite des personnages bien connus de l’histoire de France. Pour déjouer une sinistre prophétie de Nostradamus qui prédit la mort de son fils, le jeune roi François II, Catherine de Médicis envoie quatre de ses demoiselles d’honneur, transformées en espionnes, à la poursuite de Gabriel de Montgomery. Celui qui a tué accidentellement Henri II a en effet trouvé refuge dans la Sérénissime qui cache bien des secrets et des dangers. (J.Ba.)
Muriel ROMANA, Les courtisanes de Venise, Paris, Albin Michel, 2025.
TOMBE LA NEIGE
Adamo et Hergé (dans Tintin au Tibet) ne sont pas les seuls à être fascinés par la neige. À cette matière étonnante de la vie terrestre, Luis Seabra, auteur français d’origine portugaise, consacre en effet ce livre. S’il explique en quelques lignes le phénomène physique de son apparition, l’essentiel de son propos est de partager de manière poétique, en une trentaine de courts chapitres, toutes les variantes de la magie qui opère à son contact. Il y est question d’une ville sous la neige, du silence qui l’accompagne, de son goût, de sa place privilégiée dans des pays comme le Japon ou de sa triste et possible disparition suite au réchauffement climatique. (G.H.)
Luis SEABRA, Éloge de la neige, Paris, Rivages, 2025