Françoise Wallemacq : « Observer, interroger et révéler l’humanité »
Françoise Wallemacq : « Observer, interroger et révéler l’humanité »
Depuis une trentaine d’années, Françoise Wallemacq est grand reporter à la RTBF, principalement en radio. Elle a parcouru de nombreuses régions en guerre : Balkans, Somalie, Afghanistan, Syrie et, plus récemment, Ukraine. Lauréate de plusieurs prix du journalisme, elle souhaite que son métier participe à révéler l’humanité des événements, même si « parler de la guerre, ce n’est pas amusant ».
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Enfant, Françoise Wallemacq voulait vivre dans la nature. Être vétérinaire, bergère ou apicultrice, par exemple. « François d’Assise est mon saint patron, raconte-t-elle, et je l’adorais parce qu’il savait parler aux animaux. D’ailleurs, lorsqu’en 2013, le nouveau pape a pris le nom de François, j’ai été émue et contente parce que je sentais que quelque chose de nouveau se passerait. À 15 ou 16 ans, je trouvais que son baiser au lépreux était un très bel exemple et j’ai voulu, moi aussi, m’occuper de lépreux. Je me suis alors rendue en Inde pendant trois mois où un médecin belge les soignait. J’ai découvert là-bas, avec beaucoup d’intérêt, un brassage de cultures, de langues, de religions. Malgré cela, en rentrant, je ne savais toujours pas quoi faire de ma vie. »
DÉBUTS À LA TÉLÉ
Elle se dirige vers des études de communication sociale et, suite à une annonce, devient animatrice de Noubana News, une émission télé où elle explique l’actualité aux enfants de 8 à 12 ans « avec leurs mots à eux ». Au nombre de lettres qu’elle reçoit, elle découvre que ces jeunes téléspectateurs se montrent enthousiastes. Même si certains parents considèrent, et l’écrivent à la station, que « les enfants n’ont pas à connaître la guerre et ce qu’il se passe dans le monde ». « Le directeur m’a convoquée dans son bureau pour m’obliger à faire relire mes textes à de vrais journalistes, se souvient-elle. J’ai répondu que, dans ce cas, je deviendrais moi-même journaliste. Mais, à l’issue de mes études, mon journal télévisé pour enfants était supprimé. J’ai alors été mutée à la radio. Au début, à mon grand regret. J’ai pourtant vite compris qu’à l’écoute de la radio, l’auditeur se fabrique des images dans la tête. Le journaliste doit donc bien lui raconter ce qu’il voit, il est, en quelque sorte, ses yeux. Cela m’a aidée, et m’aide toujours beaucoup, dans mon métier de reporter de guerre. »
« Il n’est pas facile de faire comprendre la guerre à celles et ceux qui ne la vivent pas et l’aspect “pratique quotidien” interpelle. En fait, au cours de mes reportages, je rencontre régulièrement des résistants, des héros de chaque jour. Comment faire pour survivre ? Il est horrible de voir, par exemple, comme je l’ai vu à Sarajevo, des gens obligés de brûler les livres de leurs bibliothèques – une partie de leur culture – pour se chauffer eux et leurs familles, puisque le combustible manquait en plein hiver. Je me demande souvent comment je réagirais à leur place… Et j’avoue humblement que je ne le sais vraiment pas. On me demande, les enfants surtout, s’il m’arrive d’avoir peur. Cela m’arrive, en effet. Il ne faut pas en être gêné. Les journalistes qui n’ont pas peur se mettent en danger. Mais j’ai toujours dans mon bagage un singe en peluche que m’a offert mon compagnon. Quand je suis dans ma chambre, parfois, il me réconforte. Il dédramatise. »
POUVOIR COMMUNIQUER
Un ou une journaliste qui part en zone de guerre doit s’occuper de trois choses essentielles et fondamentales : se loger, manger et parler, c’est-à-dire communiquer avec les gens. C’est pourquoi il a besoin de la collaboration de celui que l’on appelle dans le jargon journalistique “le fixeur”. Vivant dans le pays en guerre, en plus de traduire, celui-ci trouve des contacts, des gens à qui parler, conduit la voiture vu qu’il connait fort bien les lieux. « Je préfère nettement travailler avec des fixeuses, précise la reporter. J’ai en effet remarqué que les femmes sont moins influencées par la propagande. Comme les enfants, elles disent davantage la vérité. Elles parlent avec leur cœur. Souvent, elles nous emmènent dans leur cuisine, leur domaine, surtout en pays musulmans, où elles enlèvent leur voile, et sont plus libres pour parler. Des amitiés profondes se nouent. J’ai rencontré des gens dans le monde entier qui sont restés des amis, même si je ne les ai connus qu’une semaine. Si on retourne sur place, on est heureux de les revoir et, grâce à internet, on peut rester en contact. »
À l’invitation de Sébastien Foucault, qui y menait un projet de théâtre documentaire reposant sur la recherche de témoignages vécus, Françoise Wallemacq est retournée à Tuzla il y a deux ans et demi. Elle se trouvait dans cette ville de Bosnie-Herzégovine le 25 mai 1995, le jour où les Serbes ont bombardé une fête de la jeunesse, faisant septante-deux morts. Elle y avait rencontré un jeune homme de 28 ans dont le fils de deux ans et demi, Sandro, était mort dans ses bras. Elle y a retrouvé Michel Villée, à l’époque porte-parole de MSF, devenu marionnettiste. Avec l’autorisation de ses parents, séparés depuis la guerre, il a créé une marionnette représentant Sandro. Elle a fait la connaissance de Vedrana Bozinovic qui, à l’époque, avait seize ans, était journaliste et aurait pu être sa fixeuse puisqu’elle l’était pour d’autres envoyés spéciaux. Après la guerre, elle était devenue comédienne. Elle dirige aujourd’hui le théâtre de Sarajevo.
SUR SCÈNE
Les nombreux témoignages recueillis sur place avec Sébastien Foucault ont abouti à la création d’une pièce intitulée Reporters de guerre dans laquelle chacun joue son propre rôle (autour de cette marionnette), dans sa propre langue. La journaliste interprète le sien en français, Vedrana en serbo-croate et Michel Villée en anglais. Les textes sont sous-titrés pendant la représentation. Si ce spectacle n’a toujours pas été montré à Sarajevo, il l’a été à Bruxelles, Liège, Maubeuge, Milan ou, récemment, Tbilissi, en Géorgie, avant Montreuil, en région parisienne. « Ce théâtre documentaire permet d’observer, d’interroger, de rendre compte et de révéler l’humanité. Il va vraiment dans le sens que je veux mettre dans mon travail et mon métier. J’avoue, humblement, que si, sur le terrain, je reconnais souvent ne pas avoir peur, ici, à l’issue de ces représentations, lorsque je viens saluer le public que je regarde droit dans les yeux, je ne peux jamais m’empêcher de pleurer. »
À ses yeux, les enfants restent des interlocuteurs prioritaires, elle n’a pas oublié leur complicité de jadis. Le 1er octobre 2021, elle a ainsi été amenée à en rencontrer au cours d’une conférence Raconter la guerre (dont le contenu vient d’être publié). « Leur spontanéité et leur intérêt m’ont donné beaucoup de joie. Leurs questions étaient d’une pertinence saisissante. J’ai été heureuse de partager mes récits de reportages avec eux. Cela m’a permis de leur faire part d’un élément essentiel pour moi : vivre en démocratie est une chance et un privilège. Nous avons le droit de dire ce que l’on pense sans risquer d’aller en prison. Le droit d’aller voter, d’élire celles et ceux qui vont nous gouverner et de les critiquer. Nous l’oublions trop souvent, or beaucoup d’habitants de la terre nous envient. »
Propos recueillis par Michel LEGROS

Françoise WALLEMACQ, Raconter la guerre, Paris, Bayard, 2023. Prix : 12,95€. Via L’appel : – 5% = 12,30€.