Le feu sacré d’Abd El-Kader

Le feu sacré d’Abd El-Kader

Émir, chef de guerre résistant à la conquête française de l’Algérie, vaincu, emprisonné, puis libéré et exilé, Abd el-Kader (1808-1883) a aussi été un religieux musulman mystique. Karima Berger, Française d’origine algérienne, le raconte superbement.

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Publié le

26 février 2025

· Mis à jour le

6 mars 2025
Peinture de Jean Baptiste Ange Tissier représentant Abd el Kader

Très peu de gens connaissent, en Occident, la vie et, surtout, la personnalité d’Abd el-Kader, pourtant une grande figure historique et politique vénérée dans le monde arabe. Émir d’Algérie en 1830, au début de la conquête de son pays par l’armée française, et aube de la colonisation, il a été, pendant quinze ans de lutte, un chef de guerre attaché au code de l’honneur. Trahi par le colonisateur qui n’a pas respecté la parole donnée, il est emprisonné pendant cinq ans en France, avant d’être libéré. Il découvre alors avec intérêt ce pays, les maitrises obtenues par les découvertes scientifiques, ainsi que Paris où il est exhibé, admiré, célébré. S’il apprécie le développement technique, il s’inquiète que cette croyance absolue en la modernité constitue une menace pour la foi en l’être et l’évide de tout horizon spirituel. Exilé en Syrie durant trente-six ans, sans autorisation de retour chez lui, il défend et sauve plusieurs milliers chrétiens de Damas menacés de mort. Il mène alors une vie spirituelle et enseignante d’inspiration soufie et décrit sa foi de manière poétique. 

LA RENCONTRE DE L’AUTRE

Karima Berger raconte tout cela en détail dans Abd EL-Kader, l’Arabe des Lumières, un livre qui est toutefois bien plus que la simple biographie d’un homme hors du commun. Sa lecture est une invitation subtile à découvrir, au-delà de la figure politique du résistant, un érudit pétri de culture et avide de comprendre le monde nouveau. Et, surtout, un homme animé d’une riche vie intérieure, à la recherche de la lumière divine. L’auteure s’est beaucoup investie dans son ouvrage. Sans tomber dans l’hagiographie, elle exprime ouvertement son admiration pour ce personnage et, ici et là, entremêle le récit de son propre cheminement spirituel largement inspiré par lui. 

En cette période de repli identitaire, de préjugés et de connaissance réductrice de l’islam, Karima Berger invite le lecteur européen à ouvrir les yeux et le cœur sur ces personnes d’au-delà de la Méditerranée. Et aussi à percevoir la religion musulmane avec intérêt et bienveillance lorsqu’elle est pratiquée intimement, une manière différente d’être au monde qui anime la vie quotidienne. Elle fait ainsi œuvre utile.

LUMIÈRE INTÉRIEURE

Au fil de ce récit de vie, Karima Berger décille le lecteur ignorant de nombreux aspects du monde arabe et musulman. Elle n’élude pas ceux qui peuvent susciter les réticences d’un Occidental qui découvre, par exemple, certaines pratiques de cette époque comme la polygamie ou l’esclavage. Elle aborde et approfondit aussi de grandes questions universelles toujours d’actualité, telle la guerre, tant l’histoire tragique souvent se répète. Elle décrit concrètement la conquête, la colonisation et ce que celle-ci a représenté comme violence intrinsèque et horreurs, encore présentes dans la mémoire collective des Algériens. 

Ainsi, lorsque les soldats français se lancent en 1830 dans la conquête de ce pays, le général Bugeaud et ses cent mille hommes dévastent le territoire, brûlent, pillent les récoltes, affament, massacrent. L’auteure relève aussi le souci d’Abd El-Kader, pendant cette guerre, de bien traiter ses prisonniers. Cette préoccupation a été à ce point remarquée qu’il est considéré comme un des précurseurs du droit international pour le respect des prisonniers de guerre. C’est pourquoi, le Comité international de la Croix Rouge a érigé en 2013 son buste dans les jardins du siège de l’organisation à Genève.

UNIVERSELLE PRÉSENCE DE DIEU

Salon Karima Berger, Abd El-Kader n’est pas un “réformateur” de l’Islam, mais juste le croyant qui se tient dans la poigne de Dieu et exprime le mystère, la complexité dans ses écrits poétiques. Elle met en lumière la spiritualité d’un homme animé par la vision d’une universelle présence de Dieu en toute créature, qui veut promouvoir ensemble l’émotion, la beauté, la raison et l’esprit, tout en laissant, en même temps, parler le cœur. 

Gérald HAYOIS

Karima BERGER, Abd El-Kader, l’Arabe des Lumières, Paris, Albin Michel, 2025. Prix : 22,90€. Via L’appel – 5%= 21,76€

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