Gauthier Louppe allie la lutherie et l’art

Gauthier Louppe allie la lutherie et l’art

Gauthier Louppe est un luthier wallon installé à Marloie dans les murs d’une vieille cense dont les parties les plus anciennes remontent au XVe siècle. Formé à Crémone, capitale historique de la lutherie et ville de Stradivarius, il tente aujourd’hui de créer de nouveaux sons et une pratique plus contemporaine, insérée dans cette époque ci.

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Publié le

1 novembre 2023

· Mis à jour le

4 février 2025
Photo du luthier Gauthier Louppe dans sa boutique devant plusieurs violons

« En quelque sorte, je suis né dans les métiers du bois. Quand j’étais petit, j’aimais aller bricoler dans l’atelier de mon père où je fabriquais de simples objets en bois comme les enfants s’amusent à faire », se souvient Gauthier Louppe, issu d’une famille de musiciens, comme il l’a découvert en désobéissant. Chaque Premier de l’an, toute la famille se retrouvait en effet pour le traditionnel repas chez Jules, le grand-père. Il fallait rester au rez-de-chaussée, pas question de monter les escaliers. Un jour, pourtant, l’enfant ose braver l’interdit, ouvrant la porte du grenier. « Le plancher en bois craquait, une odeur particulière flottait si singulière, qu’aujourd’hui encore je ne parviens pas la décrire. » 

Il découvre une multitude d’objets témoins de l’histoire de sa famille, dont un étui dans lequel git un violon sans corde et dont l’archet est dépourvu de crins. C’est celui d’enfance de son père, qui lui en fait cadeau. C’est ainsi qu’il commence à en jouer. « Cet instrument était conçu pour un droitier, précise-t-il. Or, je suis gaucher. Pour ma facilité, j’avais donc monté les cordes dans le sens inverse afin de tenir le violon de la main droite au lieu de la main gauche. » Après eux ans en autodidacte, il se rend compte qu’il ne progresse plus et qu’il lui faut un professeur. Il s’inscrit à l’académie d’Arlon dans la classe d’Eunice Arias qui, après deux-trois ans, lui lance, sous forme de boutade : « Tu pourrais devenir musicien professionnel. Mais tu ne le seras jamais car tu ne travailles pas assez. Cependant, tu pourrais devenir luthier. »

UN OBJECTIF DE VIE

Luthier ! Ce mot lui est alors inconnu. Cette profession, dont il n’a jamais entendu parler, va néanmoins devenir son objectif de vie. Pour y parvenir, il se rend à Crémone, en Italie, dans la ville de Stradivarius qui regorge de nombreux ateliers de lutherie. Il a la chance d’entrer dans celui de Giorgio Scolari qui devient son maître de référence. Ainsi, en quatre ans, il finalisera une vingtaine de violons. « Très jeune, avant d’arriver à Crémone, se remémore-t-il, j’avais découvert le travail du bois et fabriqué quelques instruments de musique populaire sans prétention. En Italie, je me suis approprié les règles de la lutherie classique. Ma progression était tangible. À chaque étape, je faisais mien de nouveaux savoirs. Cependant, après dix ans de métier, un sentiment de lassitude s’est insinué en moi. Si mon plaisir d’exercer cette profession restait entier, de plus en plus, je me sentais limité dans mes aspirations. Exécuter sans cesse les mêmes gestes m’ennuyait. »

Pour Gauthier Louppe, tous les arts évoluent. Il ne comprend pas, dès lors, que celui de la lutherie stagne. « Soit, il faut respecter l’orthodoxie des règles, soit il faut oser faire tout autre chose. Le musicien et luthier Auguste Tolbecque, dans L’art du luthier, dit qu’il faut s’en détacher, s’en libérer. Cela m’a donné l’audace d’oser être moi-même et de jeter un pied dans la fourmilière de la lutherie classique et d’explorer de nouvelles évolutions possibles. » Des années auparavant, il avait déjà tâté de l’inédit en examinant l’intérieur d’un instrument sans devoir l’ouvrir : distinguer la place exacte de la barre d’harmonie, discerner les cassures, leurs éventuelles réparations, leur nombre, la quantité et la forme des sparadraps, les taquets placés à l’intérieur, relever les dégâts causés par les xylophages. Grâce au musée de la radiologie intégré à l’hôpital militaire de Bruxelles qui collaborait avec l’IRPA (Institut Royal du Patrimoine Artistique), il avait pu radiographier cinq violoncelles. « Ces expérimentations n’avaient rien à voir avec mon travail habituel, et pourtant, elles me passionnaient. Aujourd’hui, j’utilise toujours la radiologie à des fins didactiques. Elle m’a permis de mettre en évidence des variétés de constructions et de structures internes entre instruments de divers auteurs. »

INSPIRÉ PAR SALVADOR DALI

« Le travail en atelier est très lent, constate Gauthier Louppe. Seul, face à mon établi, j’écoute de la musique tout en travaillant, je m’ouvre à ces moments de beauté propices à la méditation. Ma pensée va plus vite que mes mains. Quand un travail est en cours, mon esprit est déjà dans un autre. Ainsi est né le violon Vent de libertés inspiré des montres et des violoncelles mous de Salvador Dali. C’est un violon en même temps qu’une œuvre d’art. J’ai reconsidéré et le concept artistique et le concept acoustique. » Vent de libertés a, par ailleurs, donné à Anne Françoise Neyts le titre de son ouvrage relatant le parcours artistique de l’artiste. En lutherie, n’importe quel bois n’est pas bon à travailler, il nécessite des qualités spécifiques. Le Wallon utilise l’épicéa, l’ébène et l’érable en fonction de son “rôle” dans l’instrument. « L’ébène, par exemple est un bois précieux choisi pour sa grande résistance à l’usure. Il est utile pour les chevilles qui doivent tendre les cordes, les sillets, le bois de touche, le cordier et la mentonnière. » Cependant, cette essence figurant sur la liste des espèces en voie d’extinction, tout comme le permanbouc, bois brésilien utilisé pour les archets, il va sans doute falloir se tourner à l’avenir vers d’autres matières, comme des synthétiques.

Au fil des années, la renommée aidant, Gauthier Louppe s’est vu interpeller par de jeunes aspirants désireux de suivre une formation dans ce domaine. C’est pourquoi il a créé une école de lutherie avec l’aide de la ville de Marche-en-Famenne. Il a pu, ainsi, partager ses connaissances, stimuler des jeunes et, partant, laisser des traces. L’ensemble architectural La vieille cense est le siège de cette école reconnue par le Commissariat général au Tourisme en tant qu’association touristique. « C’est bien, signale l’hôte des lieux, mais je souhaiterais vraiment obtenir la reconnaissance comme musée et, pourquoi pas, plus rapidement, figurer dans le catalogue Attractions et Tourisme. Ce serait un véritable plus. Je ne désespère pas. » Le lieu abrite aussi le Cordaneum, Centre de la Lutherie et du Violon, dont la salle d’exposition s’ouvre par cette phrase : « L’art est le reflet d’une époque, d’une culture, d’une manière de vivre et d’une société. L’évolution artistique va de pair avec la création des instruments de musique qui racontent également l’histoire des évolutions. Les différents styles, selon les époques, évoquent l’architecture et la philosophie du moment en certains lieux. »

Michel LEGROS

Cordaneum – École de lutherie, Vieille Cense de Marloie, rue de la station 4, 6900 Marche-en-Famenne, expo permanente du ma-ve 8h30-17h30, sa 14h-18h  ☎08444 59 50  ecoledelutherie@marche.beecoledelutherie.eu

Anne-Françoise NEYTS, Vent de Liberté. Cheminement du maître luthier Gauthier Louppe, Paris, L’Harmattan, coll. Encres de vie, 2022. Prix : 19€. Via L’appel – 5% = 18,96€.

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