Goya, icône de la culture espagnole
Goya, icône de la culture espagnole
L’exposition phare d’Europalia propose de découvrir l’œuvre de Francisco de Goya (1746-1828). Il ne s’agit pas d’une grande rétrospective, mais d’un parcours dans les différents aspects de son travail, resitué dans l’histoire de l’art espagnol jusqu’à aujourd’hui.
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Le visage halluciné de Saturne dévorant un de ses fils. Tres de mayo et la chemise blanche du combattant espagnol au cœur de la pénombre, mis en joue par les soldats français qui vont le fusiller. Une scène de tauromachie où le taureau vient d’encorner le torero. Voilà les images fortes et violentes surgissant spontanément à l’esprit quand on pense à Goya. Son œuvre est pourtant beaucoup plus variée, et c’est ce que s’attache à montrer l’expo d’Europalia España, tout en la replaçant dans l’histoire de la peinture espagnole. C’est la raison pour laquelle, à côté de ses tableaux et gravures, les créations de plus de septante artistes du XVIIIe au XXIe siècle sont mises en vis-à-vis, pour illustrer son héritage et comment il est devenu une sorte de symbole de l’âme espagnole.
UN ARTISTE CONTRASTÉ
L’œuvre de Goya contient des aspects très contrastés, qui peuvent s’éclairer tout d’abord par les différentes étapes de sa vie illustrées dans le parcours de l’exposition. Il est né en 1746 dans la région de Saragosse, dans une famille bourgeoise. Son père est maître doreur, ce qui le met très jeune en contact avec la pratique artistique. C’est donc tout naturellement qu’il fréquente une académie de dessin où son professeur est un peintre baroque. Son trait est alors très académique. Il apprend à copier les classiques, mais ne se révèle pas assez prometteur pour obtenir une bourse et effectuer le voyage en Italie. Il doit financer lui-même la découverte des maitres italiens. De retour en Espagne, il parvient à se faire engager à la Fabrique royale de tapisseries, où il réalise des cartons préparatoires pendant une dizaine d’années. Il devient ensuite premier peintre de la cour d’Espagne et produit ce que l’on attend de lui : des portraits de dignitaires tout à leur avantage. Sa situation lui permet cependant de peindre parfois hors des commandes officielles. Il réalise par exemple la Maja nue, ce qui lui vaudra d’être convoqué par l’Inquisition parce qu’il montre la nudité en dehors d’un contexte mythologique.
Après l’invasion de l’Espagne par les troupes napoléoniennes, il se fait de plus en plus critique sur le pouvoir et les horreurs de la guerre. Atteint de surdité, il vit la dernière période de sa vie retiré chez lui et signe des œuvres plus noires, où la mort est très présente. Sa pratique de la gravure lui permet aussi de poursuivre ses recherches personnelles de manière beaucoup plus libre. Il compose des séries thématiques, dont “les caprices”, ”les folies” et “les désastres de la guerre”. D’académique à ses débuts, il se fait classique à la Cour, puis davantage personnel et critique.
UNE OEUVRE VARIÉE
S’il a réalisé de nombreux portraits officiels, il a traité en parallèle une variété de sujets qui feront de lui l’icône de la culture espagnole. Fort attentif à la vie quotidienne de ses contemporains, il puise son inspiration dans le folklore : des scènes de fêtes populaires ou de carnaval, des combats de tauromachie, des processions religieuses, des danses. On voit aussi beaucoup d’images montrant des sorcières ou l’intervention de l’Inquisition, avec les hauts chapeaux pointus que devaient porter ceux ou celles qui étaient mis en examen. Enfin, la mort et sa confrontation avec la vie le hante également. Des sujets à la fois joyeux et dramatiques, légers ou plus intériorisés, qui reflètent la vie telle qu’elle est, riche en drames comme en réjouissances.
Qualifié de réaliste espagnol, il s’éloigne des représentations conventionnelles. S’il peint une scène de guerre, ce n’est pas pour glorifier un roi victorieux se pavanant sur sa monture, mais des combattants marqués par l’atrocité des combats. Même chose pour les tauromachies, où les toreros sont tout autant susceptibles d’y laisser la vie que les taureaux. L’exposition met également en lumière la grande complexité de ses compositions, qui fait qu’on distingue de suite une gravure de Goya de celle d’un contemporain illustrant une scène identique. Celle-ci parait statique, l’autre donne l’impression du mouvement. Les lignes de force de plusieurs œuvres sont mises en évidence et montrent qu’il ne se contente pas d’un seul type de structure.
Par la place qu’il accorde aux émotions, Goya se voit parfois qualifié de précurseur des romantiques. Et par ses évocations de rêves hantés, il a aussi été un temps salué par les surréalistes. Il est en tout cas souvent perçu comme l’initiateur de l’art moderne. Le commissaire de l’exposition s’exprime en ces mots : « Goya est considéré comme le premier artiste contemporain car son œuvre incarne deux aspects clés : sa capacité à assimiler les influences et son approche expérimentale de l’art. Formé vers la fin du baroque et au début du classicisme qui était l’avant-garde de son époque, Goya a puisé dans les deux courants, intégrant leurs enseignements dans ses pratiques. En outre, il a réinterprété la culture populaire, l’utilisant comme contenu et comme langage, et a traité chaque œuvre d’art comme un problème expérimental en constante évolution et jamais réellement achevée, jusqu’à ce qu’elle soit vue collectivement. »
UN CATALOGUE ABONDANT
Comme à son habitude, Europalia ne se limite pas à une seule exposition phare à Bruxelles, mais donne la possibilité de rencontrer l’ensemble des expressions culturelles de l’Espagne, dans les différentes régions de Belgique. Le catalogue renseigne ainsi des événements dans le domaine de la musique, du flamenco, des arts de la scène, du cinéma et de la littérature. Dans la section expositions/installations, il faut relever, parmi tant d’autres propositions intéressantes, Resistance. The power of the image au SMAK de Gand, qui semble bien dans la continuité du travail de résistance de Goya. Cette manifestation fait référence à la capacité des images d’infiltrer, dénoncer et collectiviser des idées dans la lutte contre la dictature franquiste, mais aussi des mouvements plus récents de contestation, comme les Indignados.
Au Musée Royal de Mariemont, on pointera Marie de Hongrie. Art et pouvoir à la Renaissance. Cette exposition illustre la manière dont l’archiduchesse d’Autriche a préparé l’accession au pouvoir de Philippe II par un véritable programme de propagande qui aura une influence durable sur les arts, et organisé une tournée de présentation de l’héritier. Pour l’art plus contemporain, Elsa Paricio expose à la Fondation Boghossian cinq cents tubes de verre déposés pendant six ans en différents lieux d’Espagne, et qui ont recueilli les marques laissées par le temps et la nature, à l’instar d’objets archéologiques.
Luz y sombra, Goya et le réalisme espagnol, Bozar, rue Ravenstein 23 à 1000 Bruxelles 01/02/2026, bozar.be/fr , europalia.eu/fr/espana
José Gérard
