La culture, moteur des démocraties

La culture, moteur des démocraties

« La culture, si elle n’est pas partagée, elle est un privilège. » Cette phrase du fondateur du mouvement ATD-Quart monde, Joseph Wresinski, résonne fortement dans les nombreuses prises de parole actuelles sur le bien-fondé d’un ministère dédié à la culture.

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Publié le

30 avril 2025

· Mis à jour le

13 mai 2025
Une femme portant une pile de livre au dessus de la tête

« Nous désignerons la culture comme l’ensemble des productions imaginaires, des représentations du monde, des constructions symboliques, des expressions du langage et des comportements de vie individuels et collectifs qui y sont liés. » Ces propos de Roland de Bodt ont été prononcés en 1998 à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme. Ce haut fonctionnaire belge, qui a été très actif dans de nombreuses institutions culturelles, adressait une lettre ouverte aux parlementaires de la Communauté française afin de rappeler le rôle vital de la culture comme moteur du développement des sociétés démocratiques. Il poursuivait : « Une telle définition de la culture permet d’expliquer pourquoi une civilisation évoluée qui dispose d’un patrimoine artistique, philosophique, scientifique très important, qui connaît un taux de scolarisation élevé peut, dans certaines circonstances, basculer dans la barbarie, le fascisme, le totalitarisme. » 

INVESTIR MASSIVEMENT

« Afin d’initier un développement économique, social et démocratique de notre communauté, insistait-il, il faut investir massivement dans la culture et la formation. Ce n’est pas seulement le problème d’un ministre, d’un gouvernement ou d’une formation politique, c’est le problème d’une communauté de citoyens qui doit prendre en main son devenir. » La culture est le fondement sur lequel se bâtit une société digne et humaine, en donnant les clés d’une démarche visant l’analyse critique de la société, la stimulation d’initiatives démocratiques, le développement d’une citoyenneté active et l’exercice des droits sociaux, culturels, environnementaux et économiques. Le tout dans une perspective d’émancipation individuelle et collective de tous les publics. C’est pourquoi une politique culturelle dynamique est indispensable à la démocratie. Et l’accès à la culture – quelle qu’elle soit – ne peut être l’apanage d’une élite de la population. Elle doit pénétrer toutes les classes de la société.

« Je suis jaloux de tous ceux qui ont pu, dès leur jeune âge, découvrir Beethoven »

Ainsi, le père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD-Quart Monde, a, tout au long de sa vie, mené de front ce combat. « Il ne suffit pas d’assister matériellement les pauvres, prévenait-il. Les aider vraiment, c’est leur donner les moyens de leur autonomie culturelle, de leur indépendance intellectuelle, de leur liberté spirituelle. Je suis jaloux de tous ceux qui ont pu, dès leur jeune âge, découvrir Beethoven, découvrir Mozart ou d’autres. Et moi, je n’ai pas pu le faire. C’est pour cela que toute ma vie, j’ai voulu que les enfants apprennent, connaissent l’art, la poésie, la beauté. Toute ma vie, j’en ai souffert. Pouvoir l’offrir aux plus pauvres a été mon combat. C’est pourquoi, ATD Quart Monde a toujours lutté, que des bénévoles luttent pour que, dès l’enfance, les enfants reçoivent le maximum de ce qu’ils peuvent recevoir, qu’ils puissent en profiter et le développer pour pouvoir se permettre demain d’avoir un esprit clair, un langage compréhensible et pouvoir, de ce fait, se sentir exister devant les autres. »

LE PRIX D’UN PAIN

En écho à cette déclaration, Catherine Legros, directrice pendant vingt ans de l’ASBL Article 27 (en référence à l’article de la Déclaration des droits de l’homme), déplore que « beaucoup de personnes n’ont même pas accès à cette jalousie, parce qu’ils ne se rendent pas compte des manques qui sont les leurs. Créée en 1999, Article 27 ouvre des accès à l’offre culturelle pour tous au moyen d’un ticket d’entrée au(x) spectacle(s) pour le montant du prix d’un pain, ce qui permet d’affirmer l’équivalence entre nourritures physiologique et spirituelle. Le problème n’est pas de se dire qu’on n’a pas accès au théâtre, mais de penser que le théâtre, ce n’est pas pour moi, qu’on n’est pas fait pour ça, qu’on ne va rien comprendre. »

La reconnaissance des droits culturels est le levier permettant aux plus démunis de prendre en main la réalisation de leurs autres droits, parce que toute culture est lien, réconciliation avec soi-même et autrui. De plus, nier le droit à la culture, c’est assécher les ressources humaines, les désespérer et clôturer l’engrenage des précarités dans une misère sans issue. « C’est pourquoi, poursuit Catherine Legros, la mission d’Article 27 est d’ouvrir des portes à l’imaginaire, à la créativité. L’aspect financier n’est pas nécessairement le premier frein, c’est souvent l’aspect psychosocial. Il nous faut travailler tout d’abord sur l’accompagnement vers la culture des autres et partir à la recherche de ce qui est enfoui au fin fond de chacune et de chacun, en tentant d’organiser un mieux vivre ensemble, le plus en adéquation avec l’endroit où la personne se trouve. »

ENFANTS AMBASSADEURS

À ce titre, les travailleurs sociaux de première ligne, des CPAS, maisons d’accueil, centres de santé mentale, d’alphabétisation, etc., sont essentiels dans ces démarches avec le secteur culturel. Les enfants des écoles sont les premiers “ambassadeurs”.  Si, avec leur classe, ils découvrent une bibliothèque, ils en parleront avec leurs parents et pourront les y entraîner. « Cependant, observe l’ancienne directrice d’Article 27, un travail important de conscientisation s’avère indispensable vis-à-vis du secteur social. Il est en effet trop peu fait cas de ce genre de formation au sein des écoles sociales, où la focale est souvent placée sur le travail individuel, laissant de côté le développement communautaire. » Il ne faut pas occulter non plus tout un travail de base réalisé au quotidien avec les multiples et diverses associations qui œuvrent « à inventer une démocratie inspirée par la Déclaration des droits de l’homme, tient à préciser Roland de Bodt. Ce débat de nos imaginaires est inévitablement révolutionnaire. C’est-à-dire qu’il ambitionne une réforme en profondeur de la vie en société et des projets de vie individuelle dont elle est irriguée ».

Paul Timmermans, engagé dans de multiples associations culturelles et sociales dans le Hainaut et ancien directeur du collège Pie X à Châtelineau, remarque que « les domaines de l’éducation permanente et de la formation professionnelle sont aussi impactés dans ces problématiques ».« Rappelons deux aspects apparus dans les années 60 en Europe à leur propos, résume-t-il. Les concepts fondateurs utilisés éclairent la question de façon singulière et aujourd’hui ignorée. L’éducation permanente avait pour finalité de permettre aux travailleurs de s’adapter au changement des techniques et conditions de travail, favoriser leur promotion sociale par l’accès aux différents niveaux de culture et de qualification professionnelle, développer leur contribution au développement culturel, économique et social des nations. L’État, les collectivités locales, les établissements publics, l’enseignement, les associations, les organisations professionnelles, syndicales et familiales ainsi que les entreprises devaient concourir à assurer ces choix éducatifs. La responsabilité était donc collective. »

IMAGINAIRES

« Dans ce sens, argumente encore Roland de Bodt, orchestrer ce débat, cette polyphonie de nos imaginaires et de nos conceptions culturelles doit se vivre et se dérouler au cœur de la vie associative, sur les places publiques que sont nos centres culturels, nos bibliothèques, nos ateliers créatifs, nos centres de jeunes, nos télévisions communautaires, nos théâtres… Tous ces lieux de ressourcement de nos imaginaires que sont toutes nos institutions culturelles qui œuvrent dans la proximité de nos populations. » Tout ce qui est humain relève du monde de la culture puisqu’il contribue à participer aux préoccupations spécifiques des citoyennes et citoyens dans l’exercice concret de leur citoyenneté. Cette éducation permanente est un véritable garant de la démocratie. N’en déplaise à certains esprits chagrins qui tiennent à diaboliser les objectifs et la légitimité des associations qui concourent à un projet de société progressiste.

« L’aspect financier n’est pas nécessairement le premier frein, c’est souvent l’aspect psychosocial »

L’avenir de l’humanité, en effet, dépend de la capacité de tous les professionnels de la culture, de l’éducation permanente et de la formation professionnelle à construire un monde meilleur dans lequel chacune et chacun jouirait des droits fondamentaux tels que disposer de revenus adéquats pour une vie digne, vivre dans un pays en paix, connaître les libertés fondamentales, pouvoir exercer ses droits culturels, être acteur dans une société démocratique. En résumé, être porteur de tous les changements de société pour amorcer la capacité individuelle et collective de tout un chacun de vivre dans une société qui serait réellement ouverte à la diversité des personnes et des cultures. Ce qui relève, bien évidemment, également des compétences des ministres de la culture et de la politique qu’ils entendent mener.

Roland de BODT, le cercle ouvert, lettre ouverte au Parlement de la Communauté française de Belgique, Mons, Racines Textes, 1999. Epuisé.

Roland de BODT, L’humanité en nous. Pour une culture de la démocratie. Cuesmes (Mons), Le Cerisier, 2015. Prix : 13€. Via L’appel : -5% = 12,35€.

Joseph WRESINSKI, Refuser la misère 2, la culture comme levier, Paris, Le Cerf-Quart Monde, 2024. Prix :18€. Via L’appel : -5% = 17,10€.

Michel LEGROS

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