La secousse Spinoza

La secousse Spinoza

Spinoza est originaire d’une famille juive marrane (convertie de force au catholicisme) portugaise. Ses ancêtres ont fui l’inquisition pour émigrer à Amsterdam, capitale des Provinces-Unies où il naît le 24 novembre 1632. Cette « terre de liberté », qui correspond plus ou moins aux Pays-Bas d’aujourd’hui, compte alors parmi les régions les plus florissantes et ouvertes d’Europe….

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Publié le

31 mars 2024

· Mis à jour le

6 mars 2025
Photographie portrait de l'auteur Dos Santos sur un fond noir

Spinoza est originaire d’une famille juive marrane (convertie de force au catholicisme) portugaise. Ses ancêtres ont fui l’inquisition pour émigrer à Amsterdam, capitale des Provinces-Unies où il naît le 24 novembre 1632. Cette « terre de liberté », qui correspond plus ou moins aux Pays-Bas d’aujourd’hui, compte alors parmi les régions les plus florissantes et ouvertes d’Europe. Les juifs y sont bien considérés. Il leur est en effet octroyé la possibilité de pratiquer leur culte en privé ainsi que d’y installer leurs cimetières. Ils sont dès lors très nombreux à y accourir d’un peu partout, créant ainsi une “Nouvelle Jérusalem”.

VIVACITÉ D’ESPRIT

Dès l’âge de 8 ans, Baruch (ou Bento de son prénom portugais) fréquente l’école rabbinique où il éblouit ses enseignants par sa vivacité d’esprit et son intelligence. Au sein de sa synagogue, pas nécessairement parmi les plus progressistes, il est, très jeune, le témoin de l’autocritique d’un juif, Uriel Da Costa, qui, victime d’un cherem (excommunication de la communauté), subit un châtiment “compensatoire” suite auquel il se suicidera. Spinoza en restera très marqué, sans savoir que, seize ans plus tard, il recevra l’anathème qui le transformera en réprouvé, mais aussi en homme libre.

Plus il avance en âge, plus il fréquente des adeptes d’autres religions, principalement des catholiques. Ce qui, malgré la liberté des cultes, n’est pas vraiment bien vu, tant au sein de sa propre communauté qu’auprès des predikanten (calvinistes fondamentalistes). À cette époque, la Bible est considérée comme l’unique source d’information sur l’existence, et seuls les religieux s’arrogent le droit d’en arracher les secrets pour les communiquer aux communs des mortels. Puisqu’il y a la sanction de Dieu, les contenus des saintes Écritures sont jugés nécessairement vrais, jusque dans leurs moindres détails. Dès lors, tout ce qui se situe en dehors de la Bible ou la contredit est faux. 

Spinoza va à l’encontre de cette croyance. Il tente de débarrasser Dieu de toute projection anthropomorphique pour ne laisser aucune prise à la superstition déguisée en morale religieuse. « Celui qui cherche son salut, affirme-t-il, peut le trouver dans n’importe quelle Écriture sainte, y compris dans le Coran, à condition qu’elle enseigne la règle universelle de justice et de charité envers le prochain et qu’elle permette à son lecteur d’interpréter le texte sacré de la manière qui facilite le mieux l’obéissance à cette règle. » « Le croyant, ajoute-t-il, n’est pas celui qui est vertueux et qui obéit aux commandements comme un esclave, uniquement parce qu’il a peur d’être puni par Dieu, mais celui qui est vertueux par conviction et non par crainte d’un châtiment terrestre ou divin, ni parce qu’il aspire à une récompense dans cette vie ou dans une autre. »

SOIS PRUDENT !

C’est pourquoi Spinoza pousse à interpréter les Écritures en se tenant rigoureusement au texte, servi par un exercice méthodique de la raison. Il peut donc être légitimement considéré comme un pionnier de l’exégèse biblique moderne. Il est d’ailleurs l’auteur de l’une des premières grammaires hébraïques. Cette posture lui vaut de nombreux ennemis, et il échappe même à un assassinat. Il prend alors comme devise Caute ! (Sois prudent !). Car, à ses yeux, la prudence incite l’individu à se gouverner lui-même et à augmenter son “capital de vie”. Il est convaincu qu’« il y a un prix à payer pour vivre selon la vérité dans un milieu hostile ». Gardant en permanence cette devise en ligne de mire, il conserve sa tunique déchirée par son assassin afin de ne jamais oublier qu’en toute circonstance, il faut rester prudent. En ce sens, ce roman biographique possède une dimension contemporaine car, à l’époque actuelle, on observe que bien des anathèmes sont lancés sur des personnalités différentes.

Malgré l’importance de sa pensée, qui a influencé les philosophes des Lumières par la primauté accordée à la raison pour comprendre le monde, il faudra pourtant attendre le XIXe siècle pour commencer à entendre parler de lui “clairement”.

Michel LEGROS

J.R. DOS SANTOS, Spinoza, l’homme qui a tué Dieu. Bordeaux, Éditions Hervé Chopin, 2023. Prix : 22,50€. Via L’appel: – 5% = 21,38€.

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