L’abaya et la question de la pudeur

L’abaya et la question de la pudeur

La rentrée politique a été quelque peu mouvementée en France. Comme souvent, c’est une polémique à signature religieuse qui a été à l’origine des agitations. Très vite, un mot d’origine arabe s’est retrouvé propulsé à la une des médias : abaya. D’après les ouvrages de lexicographie d’arabe classique, l’abaya est une robe ample, parfois décorée…

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Publié le

1 septembre 2023

· Mis à jour le

4 février 2025
Le chroniqueur Hicham Abdel Gawad regardant la caméra, se trouvant à l'extérieur devant un buisson

La rentrée politique a été quelque peu mouvementée en France. Comme souvent, c’est une polémique à signature religieuse qui a été à l’origine des agitations. Très vite, un mot d’origine arabe s’est retrouvé propulsé à la une des médias : abaya. D’après les ouvrages de lexicographie d’arabe classique, l’abaya est une robe ample, parfois décorée de bandes de couleur noire ou marron. Bien que la connotation religieuse soit absente de cette définition, le pouvoir exécutif en France a considéré que le port de l’abaya entrait dans le cadre des mesures prévues par la loi de 2004 sur l’interdiction des signes ostensibles d’appartenance religieuse.

PRO ET ANTI

On rappellera succinctement l’essentiel des arguments qui ont alimenté le bras de fer entre ceux qu’il serait permis d’appeler les “pro-abaya” et les “an- ti-abaya”. Pour les premiers, l’abaya n’est pas un signe religieux et l’interdire revient à discriminer de jeunes filles. Pour les seconds, il s’agit d’un signe religieux “par destination”, c’est-à-dire que, même si l’abaya n’est en substance qu’une robe orientale, elle sert à opérationnaliser une norme religieuse; à savoir : la pudeur par camouflage du corps. L’éternelle question de ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas trouve dans cette polémique une autre occasion de témoigner de sa complexité. Mais au-delà de la problématique strictement sociétale et politique, on peut prendre le temps de se poser la question de ce que la “pudeur” peut signifier d’un point de vue croyant. En ce sens, une métaphore tirée des Évangiles me semble particulièrement inspirante. Cette métaphore est celle où Jésus dit à ses disciples qu’ils sont «le sel de la terre» (Matthieu ch. 5, v. 13). Le sel est sans doute l’assaisonnement le plus connu et le plus indispensable. Il est aussi le plus invisible de tous. Quand il est présent en quantité adéquate, tout se passe correctement et il se fait oublier de lui-même. Lorsqu’il manque, son absence est directement ressentie ; tout comme sa trop forte présence, en cas d’excès.

AUSSI INVISIBLE QUE LE SEL

Ne tient-on pas, avec cette métaphore du sel, un moyen de repenser la question de la pudeur en so- ciété, d’un point de vue croyant ? L’idée d’être aussi invisible que le sel dans un plat, tout en participant de façon centrale à sa saveur, me semble en effet être une excellente illustration du concept de pudeur. Le Coran lui-même se fait écho d’une telle perspective, en des termes plus prosaïques, grâce à la notion de ma`rûf, que l’on peut traduire par « ce qui est reconnu comme étant de bon aloi ». Les musulmans sont ainsi invités à embrasser la cohérence de la culture où ils vivent, à s’y fondre, un peu à la manière du sel dans un plat.

Il ne fait nul doute que le débat politique autour de la normativité religieuse à l’école, notamment en matière d’habillage, continuera selon le schéma polémique qu’on lui connait depuis 2004. Cela ne doit cependant pas empêcher les dignitaires religieux, en l’occurrence ici musulmans, d’approfondir ce qu’ils entendent par “la pudeur”. Et si trop se distinguer, même par intention spirituelle, était une manière d’outrepasser la pudeur ? À la manière du sel qui, en trop grande quantité, manifeste de façon trop agres- sive sa présence dans un plat, l’affichage constant d’une décision spirituelle, fût-elle sincère, n’est-elle pas une manière de prêter le flanc à l’ostentation ? Sans doute qu’une fois de plus, tout se jouera sur l’équilibre entre la “loi et l’esprit de la loi ”.

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