Ensor : Peintre des masques, mais pas que…

Ensor : Peintre des masques, mais pas que…

À l’occasion du 75e anniversaire de la mort de James Ensor, plusieurs expositions lui sont consacrées. Elles proposent des points de vue complémentaires sur sa très vaste production. Une opportunité rare pour les amateurs.

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Publié le

29 février 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Peinture de James Ensor représentant des personnages, un homme entouré de deux femmes

James Ensor (1860-1949) est sans conteste l’une des figures marquantes de l’art de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe en Belgique. Ses œuvres sont d’ailleurs très facilement identifiables. Si la représentation fréquente de masques vient immédiatement à l’esprit, l’artiste a néanmoins abordé de nombreuses autres thématiques : portraits et natures mortes, monstres et squelettes, défilés, champs de bataille, etc. Les techniques qu’il utilise sont également variées : peinture, bien sûr, et aussi dessin et gravure. En outre, sa longévité lui a permis de produire une œuvre très vaste, ce qui rend possible l’organisation de plusieurs expositions en même temps.

NATURES MORTES

Le MuZee d’Ostende, sa ville de naissance où il a résidé toute sa vie, propose une exposition centrée sur la nature morte qui, au XIXe siècle, était considérée comme un genre mineur réservé aux exercices pour débutants dans les académies ou aux femmes, interdites dans ces écoles. Ce motif était aussi l’objet de productions en série pour la décoration des intérieurs bourgeois. Antoine Wiertz, le peintre des scènes historiques grandiloquentes de très grandes dimensions, a ainsi peint en 1840 Une carotte au patientotype minutieusement réaliste, où on peut lire l’inscription : « Fait par J. Verduldig après 15 leçons de peinture, procédé du patientotype. » Une manière pour lui de discréditer le genre avec ironie, laissant entendre qu’il ne demandait aucune imagination, mais seulement un peu de patience. 

Avec l’éclosion de l’impressionnisme à la fin du XIXe siècle, la nature morte prend un autre statut. Elle permet en effet aux artistes de tenter diverses expérimentations en atelier, par exemple pour tester de nouvelles techniques picturales ou étudier les effets de la lumière sur les objets. James Ensor ne s’en est pas privé puisqu’elle constitue environ un quart de sa production. L’exposition ostendaise présente une cinquantaine de tableaux et une vingtaine de dessins. On peut notamment y admirer La mangeuse d’huitres, ainsi que de nombreux bouquets de fleurs, des fruits et légumes, des bouteilles ou pots en verre, des poissons et, bien sûr, des masques. L’originalité de l’événement est de confronter ces œuvres avec les réalisations d’artistes contemporains comme De Smet, Anna Boch, Rik Wouters, Léon Spilliaert, René Magritte et bien d’autres.

MISE EN SCÈNE

À Bruxelles, Bozar offre un autre point de vue, partant du constat que la mise en scène est l’une des formes d’expression privilégiées du peintre. Dès son plus jeune âge, Ensor a témoigné d’un intérêt particulier pour le spectaculaire. Dans la boutique de ses parents, il côtoyait des masques de carton, mais aussi de théâtre chinois ou japonais. Dans un courrier, il parlait ainsi de sa grand-mère : « Elle avait les goûts les plus excentriques et les manies les plus singulières. Elle aimait beaucoup m’affubler de costumes singuliers et certes elle m’a donné le goût des mascarades. Le grand-père brave et digne homme se sauvait alors en haussant les épaules. À 60 ans, ma grand-mère sortait encore masquée. J’ai hérité de son goût pour les masques. Ma grand-mère m’affublait souvent de costumes bizarres, aussi son singe, elle l’habillait soigneusement. Elle lui avait appris cent tours, ce méchant animal, la terreur des voisins, l’accompagnait dans toutes ses promenades. Elle adorait les mascarades. Je la vois encore pendant une nuit de carnaval dressée devant mon petit lit. Elle était costumée en paysanne coquette et son masque était affreux. J’avais peut-être 5 ans alors, elle en avait plus de 60. »

Le masque de carnaval ou de théâtre, ainsi que le squelette, deviendront donc des éléments récurrents dans ses tableaux. Cela confère à son travail un curieux mélange de tragique et de comique, oscillant entre critique sociale et burlesque. L’exposition à Bozar aligne une centaine d’œuvres dans un parcours qui se décline autour de différents thèmes, chacun illustrant une des facettes de la mise en scène : le carnaval, la mascarade, la danse macabre, la pantomime, la saynète, la satire ou l’humour grinçant, le cortège, le champ de bataille, la fantasmagorie, la fête galante, l’opéra-ballet et le déguisement.

INSPIRATIONS BRUXELLOISES

C’est encore une autre approche qu’invite à découvrir la Bibliothèque royale (KBR), avec dix-huit peintures, vingt-quatre dessins et trente-trois estampes. Son cabinet des estampes a d’ailleurs été l’une des premières institutions à acquérir des œuvres d’Ensor : vingt-cinq gravures en 1892, déjà. Ici, il s’agit de rappeler qu’Ensor a également été inspiré par Bruxelles, ville où il a suivi trois années de cours à l’Académie royale des Beaux-Arts à partir de 1877 et où il séjournera très souvent par la suite. Il a ainsi été impliqué très activement dans les avant-gardes artistiques de ce temps et a participé à la création et à l’animation de groupes comme Les XX et La libre esthétique, dont les expositions ont permis de révéler au public belge les œuvres de peintres novateurs de Belgique et de France. 

Cette exposition se tient dans le Palais de Charles de Lorraine qui abritait alors le Musée d’art moderne fréquenté par l’artiste ostendais. Les œuvres sont accompagnées de documents d’époque, comme des affiches de salon et des courriers échangés entre Ensor et ses correspondants. On peut y apprécier quelques-uns de ses tableaux célèbres, tels Les masques scandalisés, sa première scène de masques, et La musique russe, une scène intimiste qui rappelle qu’il était aussi musicien et mélomane. Le visiteur pourra encore découvrir une vingtaine de dessins, œuvres fragiles rarement exposées. Notamment La Belgique au dix-neuvième siècle, critique acerbe de la situation politique sous le règne de Léopold II. Les gravures, elles, parfois accompagnées de leurs dessins préparatoires, permettent de suivre le processus créatif d’Ensor.

José Gérard

James Ensor et la nature morte en Belgique (1830-1930), MuZee, Romestraat 11 à 8400 Oostende 14/04 : muzee.be

James Ensor. Maestro. Mise en scène et spectacle dans l’œuvre d’Ensor, Bozar, rue Ravenstein 23 à 1000 Bruxelles 23/06 : bozar.be 

Ensor inspired by Brussels, KBR, Mont des Arts 28 à 1000 Bruxelles 02/06 : kbr.be 

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