Laura Wandel : « Je suis dans l’empathie »

Laura Wandel : « Je suis dans l’empathie »

Quatre ans après le multiprimé Un monde, où elle mettait en scène la violence scolaire, la réalisatrice belge soulève une autre thématique sociale et sociétale avec son deuxième film, L’intérêt d’Adam, en racontant une nuit dans un service hospitalier pédiatrique. Une volonté chez elle de poser des questions et de susciter un débat, en allant au-delà des jugements tout faits.

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Publié le

1 octobre 2025

· Mis à jour le

8 octobre 2025
Portrait de Laura Wandel

Quatre ans après le multiprimé Un monde, où elle mettait en scène la violence scolaire, la réalisatrice belge soulève une autre thématique sociale et sociétale avec son deuxième film, L’intérêt d’Adam, en racontant une nuit dans un service hospitalier pédiatrique. Une volonté chez elle de poser des questions et de susciter un débat, en allant au-delà des jugements tout faits.

Elle marche vite, très vite, tente de se frayer un chemin dans des couloirs encombrés d’hommes, de femmes et d’enfants, pénètre dans des chambres trop exiguës pour les familles qui s’y pressent, franchit sans cesse des portes, parfois avec son badge, les laissant claquer derrière elle, le tout dans un brouhaha continu, lâchant dans sa course effrénée un bout de phrase à la va-vite. Impression d’urgence, de trop-plein, d’étouffement. Elle, c’est Lucy, infirmière en chef d’un service pédiatrique dans un hôpital public belge. Elle est l’héroïne de L’intérêt d’Adam, le deuxième long métrage de la réalisatrice belge Laura Wandel qui, en mai dernier, a fait l’ouverture de la section la Semaine de la critique au Festival de Cannes.

Cheveux accrochés en chignon, la quinqua solidement incarnée par Léa Drucker est continument filmée en plans serrés par une caméra qui la suit ou la précède, en épousant son rythme. Elle ne prend le temps de s’arrêter qu’auprès de jeunes patients et leur famille : un père qui refuse que son fils soit examiné par une femme (« Ici, c’est l’hôpital public ! », lui rétorque-t-elle), une jeune Indienne qui sort douloureusement d’un avortement et ne veut pas que sa mère l’apprenne, une fratrie d’enfants battus… Un monde socialement et culturellement cosmopolite où différentes langues s’entrechoquent. Et puis, bien sûr, le jeune Adam, 4 ans, souffrant d’une décalcification osseuse car dénutri par sa mère (Anamaria Vartolomei, parfaite entre réserve et colère) qui s’entête à ne lui donner à manger que ce qu’elle a elle-même préparé, persuadée d’ainsi le protéger.

STAGIAIRE À L’HÔPITAL

« Ma mère travaillait en radiologie à l’hôpital et j’allais l’y rejoindre, raconte Laura Wandel. Pourtant, elle ne parlait jamais de ce qu’elle ressentait, cela m’intriguait. » C’est peut-être moins, cependant, du ravivement de ses interrogations enfantines que de son intérêt pour l’hôpital comme « amoncellement de vies » et représentation de la société qu’est né L’intérêt d’Adam. L’été 2020, elle a passé trois semaines à l’hôpital Saint-Pierre, à Bruxelles, sous l’apparence d’une stagiaire. Cela lui a permis d’aller aux consultations, aux urgences, en hospitalisation, d’assister aux réunions de service, sans savoir a priori quel pôle elle allait explorer. Et de comprendre, in vivo, le système, la hiérarchie entre les médecins et les infirmières. Elle a ainsi pu se rendre compte combien le médical, le social et le judiciaire sont imbriqués, et combien la question du bien-être de l’enfant est en réalité indissociable du rapport avec le parent.

« Ce qui m’a énormément touchée, bouleversée, pendant mes observations, au-delà de l’aspect pratique et médical, c’est la dimension sociale qui prend presque le dessus. La prise en charge du parent est déterminante dans la guérison de l’enfant. Cette triangulation m’a passionnée et donné envie d’écrire cette histoire. On a filmé à l’hôpital de Huy dans un service qui devait être repeint. Il y a un côté labyrinthe, une sensation de vertige et d’être complètement perdu. Cela évoque une prison. Je suis Lucy en immersion afin que le spectateur soit pris avec elle, dans son mouvement. Elle n’arrête pas de marcher, le temps est condensé et l’aspect sonore assez épuisant. Je voulais que l’on ressente dans son corps ce qu’elle ressent. » Montrant le manque de moyens de ce secteur pourtant essentiel, la cinéaste lance un cri d’alarme en espérant susciter un débat, convaincue que « le cinéma peut faire changer les choses, sinon… à quoi bon ? ».

CLAQUE PHÉNOMÉNALE

« Si, dans mes films, il y a bien une valeur que je veux mettre en avant, c’est l’empathie, insiste la réalisatrice. On est dans un monde où l’on juge beaucoup trop, souvent par manque de temps. Il faut être davantage à l’écoute de l’autre avant de tout de suite émettre un jugement. Et lorsque, dans un film, cela fonctionne, quand on devient l’autre personne, c’est magnifique. Ce que je trouve bouleversant chez les frères Dardenne, par exemple, c’est qu’ils parviennent à toujours provoquer de l’empathie pour leurs personnages. Notamment, dans L’enfant, pour ce père qui veut pourtant vendre son enfant, c’est extraordinaire. À partir du moment où on réussit à le comprendre et à dépasser son premier jugement, c’est la plus belle chose que peut apporter le cinéma. »

Ce métier, Laura Wandel y pense depuis ses 14-15 ans. Elle ne se souvient pas avoir jamais voulu faire autre chose. Ce n’est pas son père, réalisateur à la RTBF, qui l’y a poussée, au contraire, il n’était pas chaud-chaud, en connaissant la dureté. Son envie est venue de films vus adolescente, ceux des frères Dardenne, tels Rosetta ou L’enfant, et, surtout, celui de Chantal Ackermann, Jeanne Dielman, découvert à 16 ans. Son « plus gros choc cinématographique », « une claque phénoménale » ressentie au plus profond de son corps. C’est donc logiquement qu’à 18 ans, tout juste sortie du secondaire, elle s’inscrit à l’IAD, où elle se retrouve avec des gens expérimentés, beaucoup plus âgés qu’elle qui ne sait pas, concrètement, ce que cela représente de faire un film. Elle va ensuite passer beaucoup de temps sur les tournages, principalement comme régisseuse, se rendant notamment compte de l’importance des rapports humains au sein de l’équipe. 

CROIRE EN L’HUMAIN

« Je n’avais pas une idée précise de ce que je voulais raconter, sinon transmettre des émotions », se souvient-elle. Après plusieurs courts métrages, elle réalise en 2021, à 37 ans, Un monde, sélectionné à Cannes dans la section parallèle Un certain regard. Ce film d’un peu plus d’une heure aborde la violence scolaire vue par les yeux d’une fillette qui assiste impuissante, mais révoltée, aux agressions répétées subies par son grand frère. « L’école est le premier moment où l’enfant est en contact avec les autres et où il apprend les rapports sociaux. Cela le forge en tant qu’humain et dans son futur lien au monde. Et la cour de récréation est une représentation de la société. » Elle a visé juste puisqu’Un monde a glané une vingtaine de prix, belges (sept Magritte) et internationaux (Cannes, Sarajevo, Acadie, Haïfa, Pingyao…).

« L’appel à l’imaginaire du spectateur est très important chez moi, je n’aime pas les films où tout est expliqué. C’est une forme de résistance, je n’ai pas envie de l’endormir, mais de le secouer. De répondre à des questions, mais d’en poser. Même si ce métier est très dur, pour rien au monde, je ne regrette de le faire. Pour réaliser des films, il faut être déterminée, avoir la foi dans ses intuitions, être convaincue que son idée va parler aux gens. Et pourtant, à certains moments, c’est tellement difficile que je me demande pourquoi je le fais. Et quand, enfin, cela aboutit, c’est prodigieux. À travers ce métier, j’ai trouvé ma manière d’être en lien avec le monde. Ce que j’aime, ce sont les contacts humains. Il est essentiel de croire en l’humain, même si ce n’est pas facile, surtout actuellement. Il faut être humaniste. » 

Michel PAQUOT

L’intérêt d’Adam sort le 15 octobre.

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