Laurent Capelluto: « La liberté, c’est apprendre à maîtriser les contraintes »

Laurent Capelluto: « La liberté, c’est apprendre à maîtriser les contraintes »

Laurent Capelluto est une figure importante du théâtre belge depuis les années 90. Tout en interprétant régulièrement des seconds rôles au cinéma et à la télévision. De retour du festival d’Avignon, il met en scène à Bruxelles une pièce traitant du conflit israélo-palestinien, Les passagers.

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Publié le

1 septembre 2022

· Mis à jour le

29 août 2025
Portrait en noir et blanc du visage de Laurent Capelluto

Le Théâtre du Chêne Noir est une scène permanente située au cœur d’Avignon. Et non l’un des multiples garages, hangars ou arrière-salles transformés en espaces théâtraux le temps du festival pour accueillir, dans sa sélection off, plus de mille cinq cents troupes durant les trois semaines de juillet. C’est là que Laurent Capelluto, troquant ses habits de comédien pour ceux de metteur en scène, a créé Les Passagers de Frédéric Krivine qu’il monte en septembre au Théâtre le Public, à Bruxelles. « Être dans le off à Avignon, c’est assez particulier, reconnaît celui qui y travaille pour la première fois. On jouait tous les jours à 19h30. On avait vingt minutes pour monter le décor, et dès qu’on avait fini, on le démontait pour laisser la place à la compagnie suivante. Il y a là un côté usine. Mais les programmateurs viennent. Les inconvénients sont donc liés aux avantages. Je suis très content de l’avoir fait, mais ce n’est pas un lieu où il est facile d’apprécier un spectacle, je préfère les choses plus confidentielles. »

Les Passagers met face à face, à Jérusalem de nos jours, un policier israélien et une Palestinienne suite à un attentat meurtrier dans un bus. « Ce très bon texte fait ressortir l’humanité des personnages qui n’ont a priori aucune raison de s’entendre, de se comprendre. Progressivement, ils ne deviennent plus les représentants de leur camp. À travers eux, Frédéric Krivine développe un propos fin et intelligent sur cette réalité complexe. »

FRUIT D’UN ACCIDENT

« Si une voiture n’était pas passée au moment où mon père traversait, peut-être ne serais-je jamais venu à Bruxelles ni devenu comédien. » Le parcours de ce fils de parents italiens, né à Kinshasa en 1971, est en effet le fruit d’un accident. Renversé par une voiture, son père, qui avait fait ses études à l’ULB avant de partir travailler dans l’ancien Congo belge, où il était né, est opéré par des médecins belges qui l’envoient à Bruxelles pour des opérations plus poussées. Il décide de s’y installer définitivement avec sa famille. Adolescent, Laurent va régulièrement au théâtre pour lequel il voue une véritable fascination. « Assister à une pièce me transportant, j’avais le sentiment que c’était ma maison. Il y avait aussi quelque chose d’un peu narcissique dans cette attirance : aux saluts, j’avais envie de bondir dans la salle et de saluer aussi. J’étais très touché par l’émotion qu’apportait le spectacle vivant. J’ai toujours été frappé de voir qu’il est possible de raconter des histoires de manière différente pour des publics divers. »

Si le jeune passionné veut résolument investir cette “maison”, encore lui faut-il assumer ce choix et convaincre ses parents de sa pertinence. « Devenir acteur est un rêve que je n’osais absolument pas exprimer. J’avais du mal à franchir le pas. Autant il était valorisé comme hobby, comme passion, par contre, comme métier, dans le milieu qui était le mien où étaient favorisées les grandes études, c’était impensable. J’ai mis du temps à avoir le courage de me dire à moi-même et à ceux qui m’entouraient que c’est ce que je voulais faire. » Au conservatoire de Bruxelles, il est dans la classe de l’acteur et metteur en scène Pierre Laroche. Une rencontre fondamentale qui le confirme dans ses choix. « Il donnait à chacun de ses élèves un sentiment de légitimité. Il disait qu’il ne fallait pas juste dire le texte, mais rompre le silence. Il m’a appris ce qu’est le théâtre. » 

PERSONNAGES-OUTILS

La seconde personne qui va jouer un rôle primordial dans son parcours est la metteuse en scène Dominique Serron. Elle lui apprend, d’une part, et cela peut sembler paradoxal, que les personnages n’existent pas. Ce sont des outils utilisés par l’auteur pour raconter une histoire, pour livrer un propos sur le monde. « Quand on travaille une scène, on ne doit pas se demander ce que ferait ou pas le personnage, chercher une quelconque identification psychologique, mais s’interroger sur ce que veut raconter l’auteur à travers lui. » Elle lui fait aussi prendre conscience de la dimension extraordinaire d’un projet théâtral. Chaque comédien possède en effet sa propre vision de l’histoire, et ce sont ces multiples subjectivités qu’il faut mettre en commun. « Si tout le monde avait l’occasion de faire cela, le monde tournerait mieux, pense-t-il. En tant que metteur en scène, je me considère comme l’animateur à la fois de ces visions individuelles et des talents de tous ceux qui participent à la réalisation d’un spectacle. »

Au fil des ans, Laurent Capelluto a interprété de nombreux personnages classiques, tels Rodrigue/le Cid de Corneille, Alceste/le Misanthrope de Molière ou Dorante dans Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux. « Ces classiques sont intemporels car ils ne cessent de raconter des choses sur notre monde. Ces textes sont aussi plus contraignants. Et plus on a de contraintes, plus on est libres. La liberté, ce n’est pas l’absence de contraintes, c’est parvenir à les maîtriser. Avec ces personnages, une fois qu’on a saisi leur matière dans leur complexité, on laisse faire et on invente. C’est le seul endroit où l’on se sent vraiment créatif. »

NOMMÉ POUR UN CÉSAR

Au cinéma, l’acteur apparaît dans une quarantaine de films – majoritairement d’auteurs – depuis Le Tango des Rashevski de Sam Garbarski en 2003, où il a une courte scène avec Hyppolite Girardot. Lorsque, quelques années plus tard, le réalisateur français Arnaud Desplechin prépare Un Conte de Noël, il se souvient de cette scène et fait appel à lui. Ce rôle lui vaut d’aller au Festival de Cannes en 2008 et d’être nommé pour le César du meilleur espoir masculin. Dans les années suivantes, il recevra à deux reprises le Magritte du second rôle. Il fait aussi partie de la distribution de la série de science-fiction belge Into de Night (Netflix). Et tient l’un des rôles principaux de Zone blanche (France 2, RTBF, Netflix), ce qui lui permet de développer« une partition » dans sa continuité. À Paris, il a joué dans les deux célèbres comédies d’Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri Cuisine et dépendance et Un air de famille

« Un acteur est un canal qui transmet la parole de l’auteur. Chaque fois que j’ai eu l’impression de faire du beau travail, c’est quand j’avais réussi à transmettre la passion que le texte m’avait procurée. Au théâtre, il est épatant de voir que tant de gens se sont déplacés et se rassemblent pour écouter une histoire qui se raconte dans l’instant. Quand on a repris après la covid, je ressentais l’émotion des gens de se retrouver dans une salle. La fermeture des théâtres a provoqué un manque, un certain isolement social, comme s’il y avait quelque chose qui ne se partageait plus et que rien ne pouvait venir compenser. En ce sens, le théâtre a un rôle citoyen. »

Michel PAQUOT

Les Passagers, avec Axelle Maricq et Benoît Verhaert, Le Public, rue Braemt 64-70, 1210 Bruxelles, du 09/09 au 22/10 ☎02.724.24.44 theatrelepublic.be/

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