Le bruit des faux prophètes
Le bruit des faux prophètes
«Ce qui me fait peur, ce n’est pas la méchanceté des méchants mais le silence des justes. » Cette citation attribuée à Gandhi fleurit sur les réseaux sociaux et je m’interroge.
Publié le
· Mis à jour le

Le silence des justes est certainement terrifiant. D’où viendrait leur silence ? Sont-ils lâches ? Ou leurs voix sont-elles étouffées par le brouhaha médiatique ? Plus que le silence des justes, ne doit-on pas alors craindre les cris des populistes ? Les paroles peuvent partager des faits, des sentiments, des besoins ou des propositions. Vous avez peut-être reconnu ici les quatre catégories de la Communication NonViolente. Toutes ces catégories peuvent être manipulées. Les faits peuvent être falsifiés ou présentés de façon partiale. Les sentiments peuvent être exacerbés par un effet de meute. Les propositions peuvent être formulées en vue d’intérêts personnels. La Communication NonViolente propose des outils pour déjouer ces pièges. Le fondateur de ce langage de paix, Marshall Rosenberg, posait comme principe préliminaire l’intention : une intention de profond respect d’autrui, le refus de toute domination, pression ou imposition.
LE BON CAMP
Interpelez-vous ! Je m’interpelle moi-même également. Comment puis-je savoir que je ne fais pas partie des populistes ? Sommes-nous certains et certaines de ne pas nous laisser entrainer nous-mêmes dans la fièvre des grands sentiments, et de devenir nos propres dupes ? Si je prends le bon parti, je suis une personne bien, je suis du côté des gentil·les, du côté des justes. Plus la violence ambiante est grande, plus on risque de chercher la sécurité en adhérant au “bon” camp. Mais adhérer à un camp, c’est déjà soutenir la guerre. Les guerres se nourrissent du manichéisme et de la diabolisation de l’autre. La paix, au contraire, exige de la modération dans les paroles, le refus des généralisations, le fait de favoriser les actes impliquants et de réduire les paroles enflammées.
Mes premières références en la matière sont les prophètes bibliques. Ils tiennent de grands discours critiques, certes, mais ils les délivrent aux personnes concernées, pour les aider à prendre conscience de l’avenir qui se profile, pour leur permettre de se reprendre. Ils critiquent le peuple qu’ils connaissent, avec lequel ils vivent. Leur première arme est l’implication personnelle. Ils ne s’indignent pas entre eux, en se congratulant de la puissance de leurs discours, à l’abri, loin des conflits. Au contraire, ils s’installent dans les lieux les plus exposés, ils agissent au péril de leur confort, et même de leur vie. Ils n’ont rien à gagner.
VOIX DISSONANTES
Les prophètes d’aujourd’hui sont les personnes qui refusent des disciplines de parti et les dominations dictatoriales : les Palestiniens et Palestiniennes qui dénoncent le Hamas ; les Iraniens et Iraniennes du courant “Femme, vie, liberté”, au péril de leur vie ; les personnes israéliennes, juives, arabes, musulmanes ou chrétiennes, druzes et bédouines, qui refusent d’être divisées par la guerre en cours, qui s’unissent malgré la douleur des pertes dans les enterrements, dans les associations, dans les réseaux sociaux, associant les deux exigences d’un cessez-le-feu immédiat et du retour immédiat des otages ; les femmes juives et musulmanes (ou considérées ainsi) qui s’associent en “guerrières de la paix” pour refuser l’instrumentalisation de ce conflit et lutter ensemble, à la fois contre le racisme et l’antisémitisme. Les exemples sont nombreux.
Il est tentant de se considérer soi-même comme juste, et donc légitime, voire éthiquement obligé·es de briser le silence. Mais si cela vous tente réellement, abstenez-vous. Si vous êtes tenté·es, c’est peut-être que votre discours n’est rien de plus qu’un “cri avec les loups”, un hurlement qui éclipse les voix courageuses et en danger des personnes réellement engagées. Si, au contraire, cela ne vous tente pas, si vous préfériez vous abstenir, si vous avez des craintes concernant votre confort et votre sécurité, alors, envisagez que votre voix est peut-être nécessaire. Les loups de tous les camps se ligueront contre vous. Vous vous sentirez bègue, comme Moïse, immature, comme Jérémie. On n’est prophète qu’en son propre pays, même si cela coûte cher.
Floriane CHINSKY, Docteure en Sociologie du Droit, rabbin à “Judaïsme en Mouvement”