En fanfare – frères de sang et de son
En fanfare – frères de sang et de son
En Fanfare, le film d’Emmanuel Courcol, est un drame bouleversant de bout en bout. Deux frères, que tout oppose et qui ne se connaissaient pas, créent un lien de fraternité grâce à leur amour de la musique.
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Thibaut Desormaux est un chef d’orchestre internationalement célèbre. Il habite aux États-Unis, mais il passe sa vie à courir le monde pour diriger des orchestres, et il compose en ce moment une nouvelle œuvre qui s’appellera Quadrature. Benjamin Lavernhe, de la Comédie française, incarne avec talent cet homme au port noble, à la bienveillance naturelle et au charme irrésistible. En répétition, comme en concert, il se donne à fond à la musique, il la vit, il la transpire, il la porte à bout de baguette, jusqu’à s’écrouler de fatigue. C’est alors qu’il découvre qu’il a une leucémie et que seule une greffe de moelle peut lui sauver la vie.
Il se confie d’abord à sa sœur, avec laquelle il entretient une relation de grande complicité. Il n’y a qu’une chance sur quatre qu’elle soit compatible avec lui, sinon, il n’en aura plus qu’une sur un million de trouver un autre donneur. Elle accepte de faire les tests… et les résultats révèlent qu’elle n’a aucun lien de parenté avec lui. Thibaut découvre ainsi, à l’âge de 37 ans, qu’il est un enfant adopté. Sa mère ne lui a rien dit, parce qu’elle n’a jamais fait de différences entre sa sœur et lui. Qu’est-ce que ça aurait changé qu’il le sache ? Oh, deux fois rien… si ce n’est qu’à présent, il ne sait plus qui il est, et que ce mensonge le tue.
MUSIQUE RÉCONCILIATRICE
Il n’est pourtant pas au bout de ses surprises : il découvre avoir un frère, Jimmy, qui vit à Walincourt, un petit village du nord de la France, près de Cambrai. S’il été adopté dès sa naissance, son cadet a, quant à lui, vécu jusqu’à l’âge de 5 ans auprès de sa mère. Lorsqu’elle est morte, les services sociaux ont proposé à celle de Thibaut de l’adopter pour réunir les deux frères. Mais ce n’était pas le bon moment pour elle. Jimmy a donc été adopté par Claudine et José, sa famille d’accueil. Aujourd’hui, il travaille dans une cantine scolaire et joue du trombone dans l’Union musicale des mineurs de sa ville.
Pierre Lottin, le beau gosse découvert dans la série des Tuche, déploie ici toute sa palette d’acteur pour donner à son personnage le franc-parler, la spontanéité et la sincérité des Chtis. Ainsi que le grand cœur et la tendresse qui conviennent à cet homme aux prises avec les difficultés de la vie ouvrière, celles d’un divorce qui s’est mal passé et de relations qui se sont distendues avec sa fille de 13 ans. Les deux frères vivent donc à mille lieues l’un de l’autre, dans deux univers qui n’auraient jamais dû se croiser, mais le destin en a décidé autrement. C’est autour de leur amour commun pour la musique qu’ils vont composer une harmonie que les aléas de la vie viendront malgré tout fameusement chambouler.
C’est en découvrant le milieu des majorettes à Tourcoing qu’Emmanuel Courcol, le réalisateur, a eu l’idée de ce film. Il y a rencontré une fanfare où personne ne savait lire la musique, pas même le chef. « Après la répétition, se souvient-il, nous sommes allés boire tous ensemble un verre chez lui et, en voyant ces gens de tous âges si chaleureusement réunis, je pouvais réaliser l’importance de la musique et de la fanfare comme lien social et affectif. C’est une famille et un mode de vie, un remède à l’isolement, à l’omniprésence des écrans et à notre monde dématérialisé. » Il se demande alors ce que serait devenu ce chef s’il était né dans un milieu plus favorisé. Ainsi a germé l’idée de raconter l’histoire de deux frères qui ignorent chacun l’existence de l’autre et qui se découvrent un même amour pour la musique qui les transperce jusqu’aux entrailles. Ils évoluent pourtant sur des planètes différentes. L’un vit dans les hôtels de luxe et joue dans les plus grandes salles du monde entier, l’autre écoute sa musique dans son garage et joue du trombone lors des kermesses. Le choc culturel est total, mais la musique ne fait pas qu’adoucir les mœurs, elle rapproche les cœurs, sans gommer les différences, sans empêcher les malentendus ni les maladresses, mais en donnant un langage commun qui rassemble et réconcilie.
FRESQUE SOCIALE
Emmanuel Courcol s’est associé à Irène Muscari pour écrire son scénario, une collaboratrice dont il loue « l’approche tout en finesse de la psychologie des personnages et des interactions humaines ». Le film réussit un subtil équilibre entre le drame et la comédie, l’émotion et le rire, les musiques classiques et populaires. « Pourquoi choisir ? se demande le réalisateur. C’est un chemin exigeant sur une ligne de crête, pas toujours facile, mais c’est ce que j’aime. C’est ce qui conduit mon désir d’écriture. »
Autour des deux frères, le scénario brosse le portrait de personnages attachants. Sabrina, tout d’abord, la jeune mère de famille divorcée incarnée par Sarah Suco, qui doit gérer, en plus de ses enfants, une grève chez Sodalpro, l’usine du village menacée d’être délocalisée en Roumanie. Afin d’empêcher que les machines soient emportées vers la nouvelle implantation, elle fait un sitting toutes les nuits en solidarité avec les autres ouvriers. Le bras de fer social est déséquilibré et les chances de réussite sont minces… à moins que la présence au village d’un célèbre chef d’orchestre ne change la donne. Elle est amoureuse de Jimmy, sans qu’il ne le remarque. Il faut dire que, boosté par Thibaut qui lui rend confiance en lui, il se met à rêver son avenir en grand. Le frère de Sabrina, Jérémy est un jeune trisomique, engagé comme commis à la cantine où Jimmy travaille. Il a aussi trouvé sa place dans la fanfare. Il n’est pas avare de bons mots et chacune de ses apparitions à l’écran est un rayon de soleil.
Acteurs professionnels et véritables musiciens de fanfare se mêlent pour composer un patchwork de personnages très divers, depuis le fort en gueule râleur jusqu’au conciliateur bienveillant. « Il fallait qu’on ne puisse pas les distinguer les uns des autres. Sans jeu de mots, je suis très attaché à l’harmonie sur un plateau », sourit Emmanuel Courcol.
TROUVER SA JUSTE PLACE
L’émotion qui saisit le spectateur dès le début du film ne le quittera plus. On s’interroge, avec le duo, sur le déterminisme social et culturel qui a forgé leur vie à chacun. Thibaut semble avoir tiré le gros lot et mène une existence qui fait rêver Jimmy. Et pourtant, quand l’un tentera de prendre la place de l’autre, il se plantera lamentablement. Mais ils parviennent à s’entraider en restant chacun à sa place et en donnant le meilleur de lui-même. « Si le film touche, comme je l’espère, c’est grâce à l’émotion et à l’humanité de personnages dans lesquels on se retrouve. C’est de voir des gens généreux dans l’action, malgré la cruauté de la vie, des gens qui essayent de faire leur place en portant de grosses valises. C’est cela qui fait du bien. »
Déjà couronné par deux prix du Public au FIFF de Namur et au festival de San Sebastian, En fanfare a séduit les premiers spectateurs. Sans fanfaronnade, il raconte en effet une histoire si belle et si émouvante qu’elle laisse dans leurs yeux quelques larmes qui finissent par se noyer dans un sourire.
Jean BAUWIN
En fanfare, film d’Emmanuel Courcol, sortie en salle le 4/12.