Les beautés de l’océan

Les beautés de l’océan

Dans ses deux précédents romans, L’Arbre-Monde et Sidérations, Richard Powers a exploré l’intelligence des arbres et l’origine de la vie au cœur du cosmos. Dans Un jeu sans fin, il prolonge sa quête dans l’immensité cachée de l’Océan.

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Publié le

24 mars 2025

· Mis à jour le

25 mars 2025
Couverture du livre de Richard Powers avec le dessin d'une raie

En exergue de son nouveau roman,Richard Powers remercie une certaine Peggy Powers de lui avoir offert un livre sur les récifs coralliens alors qu’il avait dix ans. C’est sans doute cet ouvrage qui en a fait naître l’idée et la trame. Des livres, il en sera beaucoup question tout au long de ce superbe récit, ainsi que des salles de bibliothèque, des extraits de poèmes, des aphorismes ou une tirade de Shakespeare. Son premier chapitre présente un mythe millénaire qui raconte comment Ta’aroa, un dieu artiste, a créé le monde et combien il a pris plaisir à « regarder les humains » le« déchiffrer ». Hommage vibrant à la littérature et à sa force de recréation infinie de l’univers visible et invisible.

Comme à son habitude, l’écrivain américain possède le talent de transporter ses lecteurs là où ils s’y attendent le moins. Il les désarçonne par la complexité de sa pensée, tout en les émerveillant en leur faisant découvrir la face cachée du monde qui les entoure. Et toujours à travers des fresques grandioses et un récit haletant. Défiant les lieux et le temps, il offre un regard multiple où science, écologie et poésie se mêlent. Dans Un jeu sans fin, il cerne et détaille des personnages curieux et attachants réunis dans une île en « forme de larme », « un caillou grand comme une chiure d’oiseau ». Le lecteur les suivra à différentes époques de leur vie sur ce lieu minuscule et clos ouvert sur l’immensité de l’océan et ses beautés cachées.

VILLES FLOTTANTES

L’île est celle de Makatea. Aujourd’hui laissée à l’abandon avec ses quelques rares habitants, elle a jadis été exploitée et ravagée pour ses richesses en phosphate. Et c’est là que pourrait se jouer une grande aventure pour l’humanité future : un investissement étranger pour la construction de villes flottantes. Cela modifierait encore une fois profondément la vie de cette terre dont les occupants sont partagés entre la conservation de la nature sauvage et le progrès et le bien être susceptible d’être apportés. L’un d’eux, Todd, atteint d’une maladie dégénérative du cerveau, s’empresse de mettre par écrit ses souvenirs. Tout au long de sa vie, il a créé et mis au point l’intelligence artificielle avec un certain cynisme et une volonté de réussite, sans vraiment trop se soucier des conséquences. « Notre credo, se félicite-t-il : accumuler les prototypes, jouer franco et encaisser les coups, trouver tout ce que les règles avaient oublié d’interdire, et laisser les abonnés nous indiquer la suite. »

À l’occasion d’une rencontre improbable due aux aléas de l’existence, il s’est lié d’amitié avec Rafi. L’un est blanc, l’autre afro-américain, et tout les sépare et même les oppose : milieu social, parcours de vie…. S’étant rapprochés grâce au jeu d’échecs, ils s’initient à celui de go. « Si chaque atome de l’univers était en soi un petit univers comprenant autant d’atomes que le grand univers, le nombre total d’atomes serait quand même moins grand que celui des configurations possibles d’une partie de go », déclare Todd, en quête de l’immortalité à travers la recherche de la perfection et la pratique de la poésie.

CRÉER DES MONDES

Une autre héroïne du roman est Ina, une artiste polynésienne, auteure de sculptures réalisées avec des déchets plastiques glanés sur les plages ou dénichés dans les corps d’oiseaux morts. Elle est un peu un OVNI glissé dans la vie des deux amis rencontrés au cours de ses études artistiques dans la même université. Elle s’en sent bien différente, tant par ses originesque par sa quête artistique. « Je ne suis pas de la même planète que vous, assène-t-elle. Sur votre planète, il y en a toujours plus. Plus de ressources, plus de territoire, plus de possibles. Tu peux prendre ta voiture et rouler pendant trois jours sans arriver à destination. Et quand tu y arrives, il est temps de repartir. Moi, j’ai vécu dans huit mondes différents avant de venir ici, et chaque fois j’aurais pu sans problème traverser l’endroit à vélo d’un bout à l’autre. »

Et enfin Evi. Elle est la fille de l’ingénieur qui a imaginé, pour le commandant Cousteau, un nouveau régulateur de scaphandre qu’enfant, elle a testé, immergée sous trois mètres d’eau avec comme seule injonction paternelle : « Tu n’as qu’à respirer ». Ce qu’elle a fait, devenant du même coup « poisson, anguille, pieuvre – une créature sous-marine pour qui l’idée de l’eau allait de soi ». Elle publiera, au terme de sa vie, un livre sur les beautés cachées des fonds sous-marins intitulé Clairement, c’est l’océan. Une magnifique clé de lecture qui éclaire la fin surprenante de ce roman, qui se clôt comme il a commencé, par l’intermédiaire d’un livre, au cœur de l’immensité de l’océan et de l’éternité du « jeu sans fin » qu’est la vie.

Christian MERVEILLE

Richard POWERS, Un jeu sans fin, Actes Sud, 2025. Prix : 23,80€. Via L’appel : -5% = 22,61€.

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