Orient et philosophie à l’UNamur

Orient et philosophie à l’UNamur

À la fin du baccalauréat de philo, l’université namuroise propose un cours, dispensé par Nicolas Monseu, pour sensibiliser à l’importance d’un dialogue entre la pensée occidentale et la pensée orientale dans le monde contemporain.

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Publié le

1 septembre 2025

· Mis à jour le

7 septembre 2025
Portrait de Nicolas Monseu souriant avec de l'herbe derrière lui
AUDACE ACADÉMIQUE. Un cours qui invite à découvrir la conception de l’humain que propose la pensée indienne.

Professeur au département de philosophie de l’université de Namur où il enseigne la métaphysique et l’histoire de la philosophie, Nicolas Monseu y donne depuis deux ans un nouveau cours, “Orient et philosophie”, dans lequel il approche la conception de l’humain proposée par la pensée indienne. Une audace académique soutenue par l’université, qui invite les étudiants à « se faire écoutant d’une autre tradition » et à découvrir la dimension proprement réflexive et philosophique de cette pensée.

Il y a une vingtaine d’années, le professeur Claude Troisfontaines, spécialiste de l’œuvre de Maurice Blondel, le conduit à travailler sur la pensée de Gaston Berger. Père de Maurice Béjart, Berger est un homme dont l’horizon philosophique s’ouvre déjà sur l’Orient comme sur l’Occident. Bernard Stevens est un autre de ses maîtres et lui fait découvrir la philosophie japonaise et l’école de Kyoto. Mais c’est Berger qui lui offre un premier contact avec les Upanishads, textes philosophiques à la base de la religion hindoue, ainsi qu’une conception du soi proche de la phénoménologie d’Husserl. Et puis cette intuition de Troisfontaines comme une évidence : « Un jour, tu devras travailler les Upanishads ! »

UNE RICHE ALTÉRITÉ

Sa rencontre avec Jacques Scheuer – spécialiste de la pensée indienne – sera marquante elle aussi. Scheuer initie dans les années septante un petit groupe d’indianistes et côtoie le moine Henri Le Saux qui désirait rencontrer l’Inde en visionnaire plutôt qu’en missionnaire. Un pont vivant se construit. L’ashram chrétien “Shantivanam” est un exemple inspirant du dialogue fécond entre Orient et Occident spirituel. 

Nicolas Monseu est passionné par cet enseignement. « Il ne s’agit pas seulement de transmettre un savoir objectif, mais d’initier à une disposition qui consiste à interroger, commente-t-il. C’est une pédagogie dialogale comme celle d’ailleurs qui entoure les Upanishads ! Il s’agit de proposer aux étudiants, dans la structure même du programme du bachelier, une première ouverture à des formes de pensée non occidentales et interroger certaines tendances ethnocentriques de la pensée. Introduire les étudiants à d’autres façons d’élaborer des questionnements, tels que la nature du soi et de la conscience, le rapport à autrui ou encore une conception du corps. »

L’HUMILITÉ FACE À L’INFINI

Les étudiants de philo expriment leur satisfaction et leur gratitude pour ce nouveau cours. L’un d’entre eux, Bruno, explique ses motivations : « Il me semblait pertinent, dans une démarche d’apprentissage philosophique, de pouvoir découvrir les éléments fondamentaux des philosophies orientales, principalement indiennes. Elles constituent une altérité d’une richesse et d’une diversité incroyables, encore souvent méconnues par les étudiants philosophes dont le corpus est principalement circonscrit aux écoles de pensées ancrées dans leurs racines grecques et occidentales. Cette pensée indienne convoque autant le corps que l’esprit, elle tisse des liens subtils entre la vie intérieure et le vaste monde extérieur pour atteindre une forme d’harmonie censée guider tous les aspects de l’existence. »

Pour Léa, autre étudiante, c’est prendre conscience que la démarche philosophique ne trouve pas son origine exclusivement en Grèce et que des formes de questionnements philosophiques existaient bien avant dans d’autres cultures.Ce cours lui a ouvert la voie à une autre compréhension du rapport entre l’être humain et le monde qui l’entoure. Un rapport marqué non par la domination, mais par l’humilité face à l’infini qui nous dépasse. 

ÉVOLUTION INTÉRIEURE

Pierre-Paul estime, lui, que les Upanishads ne peuvent pas s’apprendre seulement intellectuellement, et qu’à travers leur apprentissage, on est censé évoluer intérieurement. « L’apprentissage des Upanishads permet une découverte de soi-même et une expérience de la philosophie, analyse-t-il. Nous apprenons que la philosophie n’est donc pas seulement l’étude historique des philosophes ou l’apprentissage de l’argumentation philosophique, mais bien aussi une expérience intérieure et une façon de vivre. » 

Joé précise qu’il s’agit plutôt de voir comment des pratiques d’Orient – notamment spirituelles – possèdent des dimensions proprement philosophiques. Il est important pour lui d’y aborder la question du soi, de la vérité, du rapport à l’enseignement, des relations à autrui. Tous soulignent la chance de rencontrer, lors de deux leçons exceptionnelles du cursus, le professeur Jacques Scheuer et d’être initiés à quelques-unes des plus anciennes Upanishads de la tradition indienne.

RISQUE D’UNE ILLUSION RÉTROSPECTIVE

Il y a bien sûr une sorte de paradoxe à enseigner des textes d’une culture différente. On ne peut sous-estimer la difficulté que représente la lecture de ceux de l’Inde ancienne, l’éloignement qui les caractérise par rapport à nous, d’un point de vue à la fois historique et culturel, mais sans doute aussi métaphysique. Nicolas Monseu en est conscient : « Le risque est de céder à une illusion rétrospective consistant à injecter nos propres concepts sur ces textes qui nous échappent à bien des égards, et qui les réduirait à des premiers tâtons archaïques de la modernité ne pouvant finalement valoir que comme ce qui doit être résolument dépassé. Le fait que la philosophie occidentale s’ouvre toujours davantage aux formes non occidentales de pensée suggère qu’elle ne peut plus se croire autorisée à s’enfermer dans une pure affirmation d’elle-même – à se prendre pour seule référence. Mais que la rencontre des cultures devient un enjeu majeur de son acte. Plus que jamais, le dialogue entre les cultures est nécessaire et une condition de la rencontre de l’autre, du lien à sans cesse tisser entre les humains. Il ne s’agit surtout pas de faire de la philosophie comparée qui suppose toujours, d’une façon ou d’une autre, une position de surplomb. Mais plutôt d’installer un lien et d’ouvrir un espace dans lequel la pensée occidentale puisse entrer en dialogue avec l’orientale. »

UNE CONSCIENCE ÉCOLOGIQUE

La première partie du cours porte sur la section philosophique des Védas, les Upanishads. Ces textes védiques enseignent une conception spécifique de l’humain et de l’univers basée sur une conscience écologique de la manière dont l’humain est en relation avec la nature, avec les autres et finalement avec lui-même. La seconde partie étudie un texte important de la tradition indienne inspiré, lui aussi, des traditions spéculatives les plus anciennes de l’Inde : les Yoga Sūtra attribués à Patañjali. Le travail du yoga conduit à élever l’humain à la conscience de sa nature profonde et à lui permettre de pratiquer un chemin dans lequel il puisse s’avancer vers la libération de la conscience de tout ce qui la conditionne, de la souffrance et de l’agitation des activités mentales. 

« Si le motif de la connaissance de soi est bien constitutif du projet philosophique, développe l’enseignant, il importe d’en interroger le mode de rapport à soi, c’est-à-dire de se demander à la fois ce que l’on entend par “soi” et ce qu’il en est de son mode de connaissance, du chemin permettant son accès. La philosophie indienne travaille beaucoup par aphorismes, genre littéraire spécifique qui entend condenser une expression à partir d’une concision et d’une économie extrême de mots. C’est une philosophie du rythme, de pulsations. Une respiration. Ces aphorismes n’ont pas vocation à exposer une vérité absolue et définitive, mais ils ouvrent aussi un espace d’interprétation qui en respecte à la fois la lettre et l’application aux situations concrètes actuelles. Il s’agit d’en déplier certaines significations adaptées aux contextes contemporains. »

UNE ANTHROPOLOGIE DE L’INTERCONNEXION

Avec Socrate – qui n’a rien écrit – le dialogue était constitutif du projet de la philosophie. Mais cette forme dialogique était déjà présente des siècles avant lui dans le jeu des questions-réponses propre aux Upanishads. On capte mieux l’intérêt du nouveau cours pour les jeunes universitaires qui s’interrogent sur la place de l’humain dans le cosmos, sur la relation des humains aux autres vivants. Car oui, « respirer est un acte profondément philosophique, cosmologique, écologique ». Pour Nicolas Monseu, « c’est aussi être attentif à la conscience aigüe de l’échange constant d’un souffle qui est reçu et qui est redonné ». 

Le dialogue se termine par l’évocation de Bruno Latour (philosophe, sociologue et anthropologue) et de sa critique de la vision dualiste du monde et de notre modernité. Son appel à une cosmopolitique à l’apprentissage du regard cosmologique. Comme il le disait au journaliste Youness Bousenna, le 11 février 2021 dans la revue Socialter, « l’ampleur de la tâche est la même que celle du XVIᵉsiècle : en découvrant une nouvelle Terre, il a fallu tout changer. AuXXIesiècle, nous découvrons aussi une nouvelle Terre, et il nous faut à notre tour tout changer. Ce travail immense est actuellement accompli par des philosophes, des scientifiques, des artistes, des citoyens. Malgré la crise que nous vivons, j’observe un niveau de sérieux et une qualité dans ces travaux qui sont tout à fait nouveaux… et enthousiasmants ».

Les sagesses plurimillénaires de l’Inde et leur vision non duelle (advaïta) nous rappellent que l’universel est aussi en nous et que notre quête est de le retrouver. Elles nous invitent à relire les évangiles avec un regard renouvelé et enrichi. L’enjeu ne demeure-t-il pas celui de prendre conscience de ce qui fait notre commune humanité ? Quant aux étudiants, il faut espérer qu’ils poursuivront ce tissage des pensées orientales et occidentales pour participer à l’édification d’une anthropologie qui réconcilierait l’homme avec son milieu, avec la transcendance, avec ses frères et avec lui-même. 

Nicolas Monseu proposera en février-mars 2026 à l’Université des aînés (UDA) un cours intitulé “La philosophie des Upanishads : une approche écologique du vivant humain.” Site : uda-uclouvain.be/home3.asp?ClubID=164&LG=FR

Michel DESMARETS

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