Par le chas de l’aiguille

Par le chas de l’aiguille

Pourquoi critiquer ce jeune riche qui rejoint Jésus en courant ? Quel gendre rêvé ! Car non seulement il a de la fortune, mais de la morale. Et ça ne lui suffit pas !

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Publié le

30 septembre 2024

· Mis à jour le

26 février 2025
Le chroniqueur Gabriel Ringlet, la tête posée sur la main, portant des lunettes et regardant la caméra

« Bon Maître, que faire pour hériter de la vie à jamais ? » (Marc 10 ,17)

Non, il veut plus. D’abord, il observe les commandements depuis sa jeunesse, très bien, mais il vise plus haut, plus grand, plus durable : la vie éternelle. Jésus en est bouleversé : « Posant sur lui son regard, il se mit à l’aimer. » Il vaut la peine de suivre ce regard-là. À trois reprises, Jésus regarde avec intensité : le jeune homme d’abord, puis la foule, et enfin les disciples, comme si tout, dans cette histoire, se jouait à travers les yeux.

Face à cette question brûlante et tellement actuelle, « Bon rabbi, que faire pour avoir la vie, toujours ? », Jésus répond : « Une seule chose te manque : va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres… puis viens et suis-moi. » Qui peut vraiment entendre cette parole ? Comme le “bon” riche, beaucoup s’en vont, même pas tristes. Et pour être sûr que ce texte ne dérange pas, on l’a “classé x”, comme les films de fin de soirée, pour vocations très particulières. 

« EFFILER SON ÂME »

Au moment où ce riche idéaliste s’efface dans l’anonymat, Jésus, pour faire réagir ses disciples “stupéfaits”, leur lance une de ces expressions populaires dont il a le secret : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » (Marc 10,25) Du coup, tout au long des siècles, déconcertés par le radicalisme de la formule, certains ont voulu croire à une “erreur” des Évangiles. En fait, n’y a-t-il pas confusion entre le mot grec kamelos (chameau) et le terme kamilos (câble, gros cordage) ? Ça expliquerait tout. Ou alors, il visait peut-être, à Jérusalem, la porte dite du “chas de l’aiguille”, trop étroite pour y faire passer des chameaux ? Astucieux. 

Mais c’est oublier que Jésus, en bon oriental et en rabbi captivant, adorait le langage paradoxal ou hyperbolique. Pour alerter. Pour réveiller. La foi n’est pas une affaire d’héritage, mais une invitation à sortir de soi et devenir comme un fil. Vendre ses biens, c’est donc « effiler son âme » selon la belle expression de Gérard Bessière. À ce moment-là, même nous – qui sommes quelquefois des chameaux – nous passerons par le chas de l’aiguille.

LE FERMIER AU PARADIS

Un “chas” que Jésus a peut-être emprunté au Talmud, un enseignement des rabbins qu’il connaissait bien, et qui dit, dans un aphorisme célèbre à l’époque : « Mes fils, ouvrez pour moi un accès à la repentance aussi étroit que le trou d’une aiguille, et j’ouvrirai pour vous des portiques où puissent passer de forts véhicules et des chars. » Autrement dit, la repentance permet de faire passer des chameaux par les trous des aiguilles, ce qui leur permet d’« hériter de la vie à jamais », comme le raconte Antoine Nouis dans son histoire du fermier qui arrive au paradis.

Un jour, donc, un pauvre fermier arrive au paradis en compagnie d’un homme riche qui faisait partie de l’élite du pays. Au moment où arrive le riche, les anges entonnent un choral de Bach, saint Pierre prononce un discours émouvant et tous les élus applaudissent à l’arrivée de ce nouveau venu. Quand c’est au tour du fermier d’entrer, il est simplement accueilli par des paroles fraternelles de bienvenue. Il fait part de son étonnement : « Pendant toute ma vie, j’ai travaillé dur et les riches ont souvent été arrogants à mon égard. Je croyais qu’au ciel il y avait égalité entre les élus ? » Saint Pierre lui répond : « Ici, tout le monde est traité de la même façon, mais aujourd’hui, il s’est passé quelque chose de spécial. Des pauvres fermiers, on en reçoit tous les jours, alors que c’est la première fois depuis bien longtemps qu’un riche est arrivé jusqu’ici après être passé par le chas de l’aiguille. »

Gabriel RINGLET

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