Que n’a-t-on pas écrit sur Dieu… ? Philosophes, scientifiques, théologiens s’y sont essayés dans toutes les civilisations, pour le nommer, lui donner des attributs, douter ou nier son existence. Avec l’esprit critique de l’historien et la rigueur de l’universitaire, Jean Pirotte a profité de la période du covid et de ce temps libre disponible pour écrire ce bel ouvrage de quatre cents pages sorti ce printemps aux Éditions Karthala. Le titre, Dieux fantasmés, Dieu tout autre, et le sous-titre, Libres pensées sur les représentations de Dieu, indique bien qu’il s’agit de propos hors de toute vision imposée ou contrôlée. 

IMAGES FAUSSÉES

L’auteur entame son ouvrage par la voie purgative avec une évidente exaspération envers ceux qui parlent abusivement au nom de Dieu. Il souligne que certaines conceptions de Dieu apparaissent souvent comme les reflets de fantasmes divers, du besoin de sécurité ou d’appartenance à un groupe. Son nom est aussi utilisé à des fins politiques ou guerrières et, ici et là, il est représenté comme tout puissant, triomphaliste ou fonctionnarisé. Face à tous ces détournements, Pirotte invite à l’honnêteté et met notamment en évidence ce qu’on appelle la voie négative qui préfère dire ce que Dieu n’est pas, plutôt que le qualifier. Selon cette approche théologique, la raison humaine est incapable de cerner sa transcendance radicale. Indicible, son nom est entouré de mystère. Cette sagesse de reconnaître ce que l’on ne sait pas, a également été dénommée la docte ignorance, et lui-même pourrait bien en être un adepte, tant il est prudent et mesuré dans ses appréciations.

Les penseurs les plus brillants ont tenté de mettre des mots sur l’étonnement face à ce qui est, parlant souvent d’un Dieu créateur, caché ou qui se révèle. L’historien résume de manière claire et accessible ce que des érudits comme Aristote, Platon, Thomas d’Aquin, Pascal, Kant ou Hegel, et plus récemment Bergson, Blondel, Georges Lemaître ou Teilhard de Chardin ont pu en dire. Il souligne que, si certains développements de la recherche physique récente peuvent conforter la possibilité d’une intelligence créatrice, l’existence de Dieu reste une énigme.

CHERCHEUR DE DIEU

Toute autre approche est celle des mystiques qui affirment avoir fait l’expérience intime du divin. Certains d’entre eux, d’une bonne foi évidente, sont à prendre en considération, comme Maître Eckhart, Jan Van Ruysbroeck, Hildegarde de Bingen, Thérèse d’Avila. Faut-il nier l’existence de réalités ne tombant pas sous les sens, ces perceptions en soi d’un Autre absolu, infini, aimant, exigeant ? L’auteur laisse la question ouverte. Un chapitre est consacré au monde désenchanté de l’époque actuelle, à ce que certains appellent la mort de Dieu à la suite des penseurs de l’athéisme, comme Feuerbach ou Nietzche. Le livre s’intéresse également aux représentations successives de Dieu dans le monde chrétien. Il y est question d’un Être qui veut faire alliance et entre en humanité avec Jésus. D’un Dieu Père relationnel qui place l’amour avant le sacré et veut que vive l’homme, sans le contraindre. 

Après ses longues années de recherche, Jean Pirotte s’exprime, dans les dernières pages, à titre personnel sur sa foi de chrétien. Il se dit chercheur de Dieu. Est-il croyant ? À ce terme, il préfère celui de confiance en un Dieu avec qui on vit une relation, mais qui garde son mystère. L’aventure de la foi est une prise de risque. La vérité ne serait pas dans la possession de certitudes, mais dans une quête jamais arrivée à son terme. Il insiste aussi sur le fait que la foi se partage et que le lien à une communauté chrétienne est important pour vivre la flamme de l’Évangile. 

Gérald HAYOIS

Jean PIROTTE, Dieux fantasmés, Dieu tout autre. Libres pensées sur les représentations de Dieu, Paris, Éditions Karthala, 2023. Prix : 30€. Via L’appel – 5 % = 28,50€.