Résilience : pour être en lien
Résilience : pour être en lien
Le terme de “résilience” est utilisé à tort et à travers, gommant toutes les richesses dont il pourrait se faire valoir. Pour Christine Calonne, psychologue et psychothérapeute, il s’agit d’un processus de transformation de soi, d’un ensemble de capacités à développer, comme elle l’analyse dans un essai.
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Quand on entend résilience, on peut supposer que c’est un terme psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à se reconstruire d’une façon socialement acceptable. « Boris Cyrulnik, se réjouit la psychologue Marie Andersen, a donné ses lettres de noblesse à ce processus courageux de réparation en rendant hommage à tous ces enfants maltraités, battus, violés, humiliés, abandonnés et mal aimés, qui ont trouvé sur leur chemin les nourritures nécessaires à leur reconstruction, mais surtout en donnant un formidable espoir à ceux qui en souffrent encore. Oui, on peut en sortir, même quand on a vécu le pire et oui, on peut donner aux autres ce qu’on n’a pas reçu soi-même. C’est possible et ce n’est pas rare. »
UTILISATION INAPPROPRIÉE
Aujourd’hui, cependant, le terme est utilisé de façon le plus souvent inappropriée. Par exemple, en parlant de résilience économique dans certaines publicités. Un journal s’est même risqué à titrer sur la résilience de l’Union Saint-Gilloise devenue championne de Belgique de football après nonante-deux ans de galère.
Dans son récent ouvrage, L’art de la résilience, la psychologue et psychothérapeute Christine Calonne explore la qualité et les aptitudes à développer par les individus pour favoriser la résilience face aux blessures émotionnelles et traumas complexes. « En fait, rappelle-t-elle, ce concept a été inventé en 1982 par Emmy Werner, psychologue pour enfants à l’université de Californie, suite à une étude qui a duré environ quarante ans, concernant le suivi d’enfants des rues sur l’île d’Hawaï. Elle a appelé “résilients” ceux qui manifestaient durant ce suivi des compétences à résoudre eux-mêmes leurs problèmes et avaient pu créer une famille en étant attentifs aux besoins de leurs enfants, malgré leurs nombreux traumas d’enfance. Beaucoup de gens vivent dans l’insécurité, puisque la plupart du temps, ils ont été élevés avec un système nerveux dans cette insécurité. »
« Cyrulnik, qui utilise principalement la psychanalyse – un processus la plupart du temps relativement long – nous dira qu’il faut vivre avec ça. J’ai aussi utilisé la psychanalyse. Mais cela travaille surtout au niveau de la tête. Ce qui, à terme, bloque le trauma plutôt que de l’apaiser. Moi, je m’engage à l’écoute du corps, de nos émotions et de nos besoins. » Apprendre à réguler ses émotions, ses hormones, son système nerveux… facilite ce processus. En travaillant sur leur corps, les patients partent en quête de leurs propres ressources, allant d’abord chercher les émotions agréables. En effet, commencer une thérapie en voulant faire revivre le trauma vécu ne fait que le confirmer et ne permet pas d’entrer en résilience.
MACHINE À PERFORMER
Dans la culture, le culte de la domination et de la performance à tout prix est prépondérant. Or ce culte ne valorise pas la personne, ni ce qu’elle est, mais l’individualisme, la compétition et le matérialisme, considérant l’individu – l’être humain – comme une machine à performer. À cause de ce contexte culturel, bien des gens souffrent d’insécurité. Les dominants, se percevant “forts”, méprisent les “faibles”, ceux qui ne peuvent adopter les codes de la domination et se battre pour survivre. « Mais survivre n’est pas vivre, insiste Christine Calonne. Être un survivant indique bien que la victime n’est plus connectée à la vie, à un sentiment de sécurité et d’apaisement. L’individu, dès lors, ne sait plus qui il est et quel sens à donner à son existence. Il ne parvient plus à se connecter aux autres, à accéder à des ressources et à un sentiment de sécurité. » La hausse importante du nombre de burn-out et de dépressions en est la dramatique expression.
Les sciences exactes ont étudié le phénomène de résilience comme intrinsèquement lié à l’environnement. Par exemple, en écologie, par l’observation des fleurs dans un environnement hostile : elles se recroquevillent avant de créer de dures épines. Ce type de réaction décrit l’expérience des victimes de maltraitances. Ce ne sont pas tant les épreuves qui conditionnent leur psychisme que la façon dont on a été accompagnés – ou pas – pour les traverser. On a besoin de ressources pour apaiser ses peurs. Le lien avec l’autre crée un climat favorisant la qualité de la résilience. Dans un climat favorable, la fleur recroquevillée se met à nouveau à s’ouvrir. L’être humain peut se rétablir après des traumatismes complexes si son système nerveux est corégulé par des liens sociaux sécurisants : regard bienveillant, expression du visage avenant, ton de voix et gestuelles calmes, orientation de la tête apaisante…
REPÉRER SES ÉMOTIONS
« Nos émotions ne sont pas pathologiques, analyse encore Christine Calonne, contrairement à ce que notre société inculque. Elles ont une valeur positive, mais il est essentiel de (bien) les définir et de les repérer par leurs manifestations dans le corps. Notre culture occidentale n’encourage pas l’empathie et la compréhension du vécu des victimes avec son culte de la domination et de la performance à tout prix, à court terme. Ce culte favorise l’individualisme, la compétition, le matérialisme. Beaucoup de personnes souffrent dès lors d’insécurité. » Eva Illouz, sociologue des émotions, se distingue depuis quelques années en stigmatisant le fait que le travailleur aujourd’hui est tellement investi dans sa tâche qu’il s’identifie à elle et cherche à y exprimer son moi le plus profond. Une nouvelle idéologie de la satisfaction s’est ainsi mise en place. Ce qui est politiquement très ambigu : incluant le travailleur pour mieux l’exploiter, on génère une forme de contrôle par les émotions, beaucoup plus subtile. Une victoire éclatante du discours économique utilisant la psychologie.
« Vous voulez être heureux, constate-t-elle, les livres de développement personnel qui caracolent en tête des ventes vous attendent. Le développement personnel vous dit que votre souffrance appartient à vous et pas à d’autres. C’est à vous, donc, de l’améliorer par votre travail sur vous-mêmes. C’est donc vraiment l’idéologie du néo-libéralisme. En fait, comme sociologue, je ne cherche pas tant à guérir les blessures psychiques qu’à déterminer dans quelle mesure la société est responsable de les avoir infligées. » Christine Calonne surenchérit : « la psychologie a aussi observé l’importance d’un lien avec l’environnement. Le lien à soi se construit dans celui avec autrui, une figure d’attachement sécurisante, soit un parent, soit un proche avec les qualités d’un parent suffisamment bon pour soi. Le parent est d’ailleurs le premier thérapeute. La métaphore de la fleur recroquevillée dans un environnement hostile démontre bien l’importance de la relation sécurisante. La fleur prend racine dans la terre nourricière et cette nourriture affective lui permet de s’épanouir. L’être humain se développe avec la nourriture affective qui lui offre sa figure d’attachement si elle se sent en sécurité, en confiance. »
S’il est impossible de contrôler ses émotions, on peut néanmoins canaliser leur expression. Apprendre à les observer, à les ressentir et à les accueillir. Ce qui fait dire à Eva Illouz qu’elles « nous définissent en tant qu’individus -individus dont les trajectoires personnelles et les configurations psychiques sont uniques – mais aussi, et surtout, en tant que membres de groupes et de cultures qui exercent un ensemble de contraintes invisibles sur la vie intérieure ». Les émotions expriment et “rejouent” des dimensions décisives de la société, souvent à son insu. Les normes, règles, structures sociales et orientations culturelles forment un magma invisible et pourtant incandescent qui constitue le noyau même de l’énergie émotionnelle.
Michel LEGROS
Christine CALONNE, L’art de la résilience. Récit et témoignages, Paris, Ellipses, 2025.
Eva ILLOUZ, avec Edgar CABANAS, Happycratie, comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, Paris. Premier Parallèle, 2018.
Eva ILLOUZ, Explosive modernité, malaise dans la vie intérieure, Paris, Gallimard, 2025.