Un café monde aux saveurs d’ailleurs

Un café monde aux saveurs d’ailleurs

Il y a dix mois, Anne-Catherine de Nève a fait de son rêve une réalité en créant à Louvain-la-Neuve Le Café Monde, un lieu convivial ouvert à tous. Et spécialement aux migrants qui, quelle que soit leur situation, peuvent se retrouver autour d’un repas et de jeux de société.

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Publié le

31 mars 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Plusieurs personnes assises autour d'une table sur laquelle il y a des cartes et des boissons dessus

Qu’est-ce qu’on mange aujourd’hui ? » Accroupie devant un tableau noir, une craie en main, Anne-Catherine attend ce que va lui dicter le trio qui s’affaire en cuisine. Un recoin qui occupe une partie de la pièce dont les quelques canapés et poufs placés autour des tables basses sont déjà pris par des hommes et femmes d’âges et d’origine très variés. Côte à côte, Marie-Chantal et Danielle échangent les dernières nouvelles. Si la première, engagée dans le social, vient régulièrement, la seconde, chargée notamment du “Vestiaire solidaire” ouvert dans le quartier tout proche de La Baraque, passe plus occasionnellement. Pour Valentin, 37 ans, chercheur en agro-bio à l’UCL venu à vélo de Mont-Saint-Guibert, c’est la deuxième fois. « J’aime bien l’idée de soutenir des personnes en transit, rencontrer des gens, découvrir une nourriture qui nous change de la cuisine belge », commente, tout sourire, ce végétarien, un œil sur Milan, 4 ans et Noé, 2 ans et demi. Auprès desquels s’amusent les deux enfants du même âge d’une Érythréenne en Belgique depuis trois mois, pour qui l’association cherche un hébergement pérenne.

CRÉER DU LIEN

Le Café Monde a été ouvert en juin 2023 au rez-de-chaussée d’un immeuble du centre de Louvain-la-Neuve qui donne sur le parc de la Source. « Sous-titré : Ceci n’est pas un café, précise sa fondatrice, Anne-Catherine de Nève. Car notre objectif n’est pas de faire de l’Horeca, mais d’utiliser la nourriture pour créer du lien. Un repas est un vecteur de convivialité. Chacun est le bienvenu, quelles que soient sa situation administrative, son origine, sa religion. » De cet espace hospitalier, la quingénaire rêve depuis qu’elle est devenue “famille hébergeuse”, il y a six ans et demi. Médiéviste de formation, elle travaillait à l’époque chez Crédal, coopérative de finance éthique et solidaire, tout en voulant s’orienter vers le social. « J’étais fort interpelée par la question de l’injustice sociale, se souvient-elle. Je m’alarmais à l’écoute des discours politiques décomplexés, face à la montée des fascismes, à l’érosion des mécanismes démocratiques, à la réduction des droits pour les catégories les plus vulnérables… J’étais très indignée, je parlais beaucoup, mais je ne faisais rien de plus. Et je me disais que le jour où l’on aura un État fasciste, je pourrai juste me taire. »

Dès lors, quand, en 2015, au moment de la crise syrienne, la Plateforme citoyenne lance un appel pour héberger des réfugiés, elle se porte candidate. Mais, n’habitant pas Bruxelles, c’est impossible. Ce n’est que deux ans plus tard que cette mère de trois enfants, jeunes adolescents à l’époque, commence à en accueillir dans sa maison à Louvain-la-Neuve. Elle en a aujourd’hui vu passer plusieurs centaines, apprenant l’arabe avec des Soudanais. « Héberger signifie offrir à manger, une machine à laver, un sourire, de la chaleur. Ce sont principalement des hommes seuls, parfois très jeunes, ou des familles avec enfants en situation de migration, illégaux sur le territoire et victimes de beaucoup de violences, notamment policières. Assez vite, on s’est trouvé à accompagner des demandes d’asile, se rendant compte de la difficulté d’un tel parcours et de l’importance du lien. Pour la santé mentale, mais aussi parce que la qualité de ce lien va déterminer la capacité de créer un réseau et de rebâtir une vie intégrée dans la société. »

HUMUS ET DAHL

La salle s’est progressivement remplie, tous les sièges ont trouvé preneurs. Un petit groupe s’est même installé en terrasse pour profiter du timide soleil de cette fin d’hiver. Au menu : humus, ragoût de haricots et pois chiches, baba ganoush, salade comme un tzatzíki, dahl de lentilles, thiéboudienne. Tous ces plats sont répartis sur les tables, chacun se sert selon ses envies. Un baklava est proposé en dessert. Et le tout est arrosé au choix par un yellow pseudo mojito, un jus de fruits ou un thé à la menthe. Cette nourriture végétarienne et bio, donnée par des magasins partenaires, est préparée par la douzaine de cuisiniers bénévoles qui se relaient chaque semaine. Les repas étant gratuits, chacun est libre de mettre son obole dans une urne placée à cet effet.

Le Café Monde est ouvert trois jours par semaine. Le jeudi où, après le repas, il n’est pas rare que quelqu’un sorte une boîte d’Uno, un jeu de cartes ou de dames. Le samedi voit plutôt venir des familles. Et, entre les deux, la journée du vendredi, en partenariat avec le Collectif des femmes, une ASBL de Louvain-la-Neuve, est exclusivement féminine. « On s’est aperçu, explique Anne-Catherine, que beaucoup de jeunes femmes en migration, dans leur pays, ne fréquentent pas l’espace public. Elles sont confinées dans l’espace domestique. La mixité constitue souvent un frein pour elles, même pour assister à des cours de français. C’est pourquoi nous faisons de la discrimination positive, en espérant que, si elles se sentent à l’aise dans ce lieu, elles viendront pour les autres activités. Cela prend du temps. Au début, on n’avait pratiquement personne. Elles sont aujourd’hui une vingtaine. »

HÉBERGEMENTS COLLECTIFS

Outre Le Café Monde, la Plateforme citoyenne-BelRefugees héberge de nombreux migrants pour les mettre à l’abri du froid et de la violence de la rue, soit dans des familles, soit dans des logements collectifs. Ces maisons vides sont prêtées en convention d’occupation précaire pour un temps plus ou moins long par des propriétaires solidaires. L’association ne paie pas de loyer et assume en général les charges. Les migrants y vivent en autonomie, supervisés par une équipe de bénévoles qui assurent l’approvisionnement, la résolution des problèmes, l’entretien, le respect des règles, etc. Mais ils doivent s’en aller au bout de six semaines, laps de temps qui sert à la mise en place d’un processus d’accompagnement. En ce début d’année, environ septante personnes sont en habitat collectif, une cinquantaine en famille et autant sur une liste d’attente. Parallèlement, une antenne a été ouverte il y a trois ans à Louvain-la-Neuve où sont donnés des cours de français et d’informatique ou des in- formations juridiques.

« Nous mettons sur pied tout ce qui est nécessaire pour améliorer leur parcours ou, du moins, faire en sorte qu’ils soient dans la meilleure situation possible », espère Anne-Catherine de Nève. À part elle, et une jeune Érythréenne qui parle sept langues engagée à mi-temps, chacun est bénévole. La Plateforme est subventionnée par la Région wallonne pour les frais de fonctionnement dans les hébergements collectifs, mais le reste est à sa charge et provient de dons. « La situation est catastrophique. En plus des personnes irrégulières que la Belgique n’entend pas prendre en compte, on est face à une grave crise de l’accueil. Je dois héberger des familles en permanence. Par exemple, une guinéenne avec des enfants en bas âge a été récemment laissée à la rue. Et un homme seul qui demande l’asile va attendre en moyenne cinq mois en vivant dehors. »

Le Café Monde, Verte Voie 20, Louvain-la-Neuve. : facebook.com/LeCafeMonde

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