Un (f)acteur en tournée
Un (f)acteur en tournée
Facteur le jour, acteur le soir : Vincent Pagé porte cette double casquette depuis de nombreuses années. Quel que soit le rôle joué, il aime, dans ses spectacles humains, jeter un regard de tendresse et d’humour sur lui, les gens et la société.
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Vincent Pagé déboule sur scène dans les habits rouges bien connus de l’employé de poste. Un costume qui, dans son cas, n’est pas réservé au théâtre car, dans la vie, il est réellement facteur. Dans sa sacoche, de moins en moins de lettres, mais de plus en plus de catalogues et de colis. Et surtout, au fil du temps, beaucoup d’anecdotes et de réflexions nées de ses rencontres avec les personnes côtoyées lors de ses tournées quotidiennes. Raconter est, chez lui, chose naturelle. Il pratique depuis toujours cet art de dire le monde avec humour. C’est même une question d’hérédité.
PREMIÈRES BLAGUES
« Mon papa était un fabuleux raconteur de blagues et d’anecdotes, se souvient-il. À l’époque, nous habitions un petit village de l’Ardenne. Un endroit où il n’y avait pas un magasin, pas un arrêt de bus. Alors, le samedi ou le dimanche, mon papa montait à Nassogne retrouver des amis pour partager l’apéritif. Je l’accompagnais et le voyais raconter des blagues et des histoires qui faisaient rire. Cela m’a donné envie d’apprendre par cœur des sketches de Raymond Devos, de Stéphane Steeman. J’ai commencé à raconter des blagues comme mon père. On me plaçait debout sur la table, comme sur une scène, et je tenais le crachoir pendant une demi-heure. Et les spectateurs mettaient de l’argent dans un cendrier. Ce fut d’ailleurs mon premier argent de poche. »
Vincent a 16 ans quand sa route croise celle du comédien Philippe Vauchel avec qui il crée un spectacle de clown, Donne-moi le Signal, qu’ils joueront plus de six cents fois. Il aurait donc pu devenir acteur en suivant des cours au conservatoire. N’était-ce pas sa vocation la plus profonde ? La voie la plus normale ? « Malheureusement, à l’époque, j’ai eu un veto parental, d’autant plus que mon papa a déclaré qu’il n’y avait pas de sous pour des études supérieures. Il fallait aller bosser. J’ai pratiqué des petits boulots en attendant de faire mon service militaire et, celui-ci terminé, je n’avais pas de travail. J’ai alors passé les examens pour devenir agent de l’État. J’ai postulé au chemin de fer et à la poste. J’aurais pu aussi le faire à la gendarmerie, mais mon papa était gendarme et je n’avais pas envie de le suivre. Je suis devenu facteur. C’est donc loin d’être une vocation. »
DÉBUTS DIFFICILES
Sa carrière a même d’ailleurs très mal commencé. Le nouveau facteur débarque à Bruxelles début février 1989, sans que personne lui ait appris le métier. De plus, à ce moment-là, l’entreprise sort d’un très long mouvement de grève et du courrier en retard s’amoncelle le long des murs, jusque dans les couloirs. « Prends une sacoche et démarre, il faut vider le bureau », lui lance-t-on comme consigne. Au bout de trois semaines, il est au bord de la crise de nerfs, avec l’envie de tout envoyer promener. Un vieux facteur lui dit de se calmer et le prend sous son aile. « Il m’a appris ce métier que, grâce à lui, j’ai adoré et que j’aime toujours après trente-cinq ans de carrière. »
Après trois années passées à Bruxelles, Vincent Pagé est muté dans le Namurois où il pose ses valises. Et où, ranimant son goût pour le théâtre, il se produit dans des troupes d’amateurs. De fil en aiguille, il se retrouve aussi à côtoyer des professionnels réputés, tels Alexandre Von Sivers ou André Debarre. « J’avais parfois deux ou trois répliques, j’étais tétanisé devant ces monstres sacrés. » Petit à petit, il en vient à tenir des rôles plus importants. Tout en faisant l’acteur sur scène, il raconte à ses camarades de plateau, en coulisses, les anecdotes qu’il vit en tant que facteur. Quelqu’un lui suggère d’en faire un spectacle. C’est ainsi qu’il y a une dizaine d’années est né C’est ma tournée, joué plus de deux cents fois.
FIDÈLE AU POSTE
Le public en redemande, mais voilà, impossible de reprendre ce spectacle tel quel, la poste et le métier de facteur ayant subi bien des métamorphoses. « Quand je l’ai fait, on en était au Géoroute 1 et maintenant, on en est au Géoroute 9. Tous les deux ans et demi, les tournées de distribution sont rationalisées suite à la chute du nombre de courriers à distribuer. Les gens ne s’écrivent pratiquement plus. La poste essaie alors de trouver d’autres chevaux de bataille : la publicité, les colis. C’est essentiellement cela qu’on apporte aujourd’hui aux clients. »
L’écriture d’un nouveau seul-en-scène s’est donc avérée indispensable. Et Fidèle au Poste connaît le même succès que son prédécesseur, ce qui ne manque pas de surprendre son auteur. À la question de savoir si c’est un spectacle pour ou contre son métier, Vincent Pagé répond : « Je ne fais pas un spectacle pour décrier la poste ou pour casser le système. Mais pour partager ce que j’ai vécu et ce que je vis aujourd’hui dans un monde qui change. Mon spectacle n’est ni politique ni polémique. Je raconte simplement l’évolution de ce métier en privilégiant le côté humoristique. Je n’ai pas envie de regarder dans le rétroviseur et de pleurer en disant que c’était mieux avant. J’accepte l’évolution. J’ai encore quelques années à travailler et, si je dois aller au boulot avec des pieds de plomb, ça ne le fera pas. Il faut que je trouve du plaisir. »
Ce spectacle est comme un miroir où le spectateur est invité à donner du sens aux nombreux changements qui s’opèrent dans la société et le monde du travail. La Poste ne faisant pas exception. « Je continue à être facteur parce que c’est mon métier, parce que j’ai trois enfants qui doivent faire des études, que je dois terminer une carrière que j’ai commencée et que je poursuivrai jusqu’au bout. Mais, surtout, je n’ai pas envie de me lever le matin avec la nostalgie d’un métier qui n’est plus ce qu’il était. Tu as toujours deux solutions. Par exemple quand on change ton système de déplacement : tu pars travailler à pied et puis, du jour au lendemain, tu dois prendre le bus. Soit tu te mets devant le bus et tu dis : “Non je ne le prends pas !”, et le bus t’écrase et ça fait mal. Soit tu montes dans le bus et tu dis : “Je vais voir” et tu trouves des solutions pour t’adapter. Moi, c’est ce que je fais. Du coup je garde le moral et je n’ai pas les pieds de plomb. »
Ce serait donc une manière d’être philosophe ? Vincent Pagé répond par une pirouette : « Je ne sais pas si c’est de la philosophie, mais c’est surtout l’envie de ne pas être aigri et triste. C’est aussi une observation de la vie, de l’humain avec tendresse et respect. Accepter l’autre, quels que soient ses différences et ses travers. Ce qui est intéressant, c’est amener la réflexion par le biais de l’humour, même si la réalité est souvent cinglante. »
Christian MERVEILLE
Fidèle au poste. 29/03 : Cabaret Chez Émile, Nil St-Vincent. 10/04 : CC de Ciney. 11/04 : salle Culture et Loisirs, Kemexhe-Crisnée. 21/04 : CC de Flémalle. 10/05 : Besoin d’air, Sombreffe. 5-20/07 : Comédie centrale de Charleroi. : facebook.com/vincentpageofficiel/