Une planète ensanglantée

Une planète ensanglantée

En trente ans, le nombre de conflits – externes ou internes – en cours dans le monde a été multiplié par six, dépassant la centaine. Derrière ceux dont les médias rendent compte quotidiennement, d’autres sont trop souvent oubliés ou ne sont qu’épisodiquement rappelés.

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Publié le

30 septembre 2024

· Mis à jour le

24 février 2025
Paysage de guerre avec des ruines de chaque côté de la route. Un cycliste roule au milieu de tout.

Depuis la fin de la guerre 40-45 et de la Guerre froide en 1989, des centres d’études basés dans divers pays informent sur les conflits armés liés à des ambitions politiques et à l’augmentation des dépenses militaires. C’est notamment le cas du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) créé à Bruxelles en 1979. Leurs contributions concernent entre autres les armes de destruction massive, les armes légères qui frappent avant tout les populations civiles, ainsi que les transferts d’armes, les questions de défense, etc.

DES CONFLITS EN FORTE AUGMENTATION

Ces analyses comprennent des interprétations relatives à la nature des guerres et des conflits, notamment par rapport à leurs étendues géographiques et aux pertes causées en vies humaines et matérielles, soulignant une augmentation enregistrée depuis le début de ce siècle. Récemment, le Comité international de la Croix rouge (CICR) a même estimé à cent vingt le nombre de conflits actuels, contre une vingtaine il y a trente ans ! Il a aussi indiqué que le record de près de trois cents travailleurs humanitaires tués en 2023 – dont la moitié à Gaza – risquait d’être dépassé cette année. Tout en n’échappant pas aux effets de censures, propagandes et fake news, les informations, images et analyses ne manquent pas à propos du retour de la guerre en Europe avec l’agression de l’Ukraine par la Russie. Il en est de même concernant l’extension, y compris au Liban, du conflit au Proche-Orient depuis la meurtrière attaque du Hamas il y aura un an ce 7 octobre. Provoquant la mort de quelque 40 000 Palestiniens à Gaza et aussi en Cisjordanie, ainsi que des victimes israéliennes, dont des militaires. Sans oublier la question des deux cent cinquante et un otages dont un certain nombre a été tué. 

On peut se demander si des avancées auront été faites fin septembre lors du Sommet pour l’avenir de l’Organisation des Nations unies (ONU) à propos de ces deux conflits et de celui d’Afrique centrale, pour lequel un cessez-le-feu a cependant été conclu il y a peu entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC). De leur côté, de courageux correspondants de guerre, dont un grand nombre de femmes, expliquent que les combattant·e·s et les populations civiles ne savent souvent pas ce qui est vécu dans le camp adverse, voire même dans leurs propres rangs. De telles situations sont évidemment liées aux stratégies et tactiques militaires, ainsi qu’aux propagandes qui ont toujours existé. Mais elles prennent d’autres dimensions en ces temps de guerres de l’information marqués par la multiplication des canaux de communication, dont les réseaux sociaux parfois propagateurs de fake news.

UN MANQUE D’INFORMATIONS ET D’ANALYSES

À côté de ces guerres médiatisées, il en est d’autres, oubliées, pour lesquelles on manque d’informations et d’analyses. Par exemple, celle du Soudan. Ainsi, alors que le mouvement en ligne mondial Avaaz avait identifié fin 2023 un “réseau dormant” de journalistes soudanais prêts à témoigner, des négociations menées à Genève n’ont apporté qu’une garantie d’accès pour l’aide humanitaire. Le journal parisien La Croix s’est donc interrogé sur les raisons de la grande indifférence vis-à-vis de cette dramatique réalité. Une « descente aux enfers » pour la population causée par deux généraux ennemis et par l’intérêt stratégique que de nombreuses puissances régionales accordent à ce territoire, situé entre le Sahel et la mer Rouge. Tout cela en lien avec la livraison d’armes en provenance de nombreux pays, la contrebande de l’or ou la présence du groupe paramilitaire Wagner.

Les guerres et violences entre nations ou au sein de celles-ci ont de lourdes conséquences, longues et même parfois historiques. Que l’on songe au génocide des Arméniens ou à la guerre d’Espagne. Ou encore aux relations toujours tendues entre le Pakistan et l’Inde remontant à l’accession à leur indépendance en 1947. Tandis que Mahendra Modi, Premier ministre de “la plus grande démocratie du monde”, se présente en artisan de paix auprès de son allié russe Poutine et de l’Ukrainien Zelensky !

LES FEMMES EN IRAN ET EN AFGHANISTAN

E Iran, on connaît le courageux combat des femmes dans le mouvement Femme, Vie, Liberté. Par contre, d’autres violences sont moins documentées. Celles qui sont faites quotidiennement non seulement aux femmes, mais aussi aux jeunes, aux intellectuels et aux artistes par des dirigeants qui souhaitent pourtant revenir à de meilleures relations avec l’Union européenne à propos du dossier nucléaire. En Afghanistan, où l’URSS, les États-Unis et leurs alliés sont successivement intervenus pour des raisons géopolitiques, les talibans mènent, depuis leur retour au pouvoir en 2021, une politique basée sur une interprétation de la charia réduisant les femmes au silence. Une réglementation de plus en plus stricte unique en son genre dans le monde musulman et vue par l’ONU comme un « apartheid du sexe », tandis que la toute grande majorité de la population est victime de la faim. D’où la demande faite à la Belgique par différentes ONG afin qu’elle s’aligne sur les autres pays européens en matière de protection internationale des Afghans.

Soucieuse d’aller au-delà des informations fournies par les médias européens, la journaliste belge Gabrielle Lefèvre a repris celles données par l’ONU concernant les morts des Palestiniens ainsi que les drames et pluies diluviennes vécus par les habitants du Myanmar (Birmanie), encore plus graves depuis le coup d’État de 2021, et par ceux du Yémen, pays impliqué dans le conflit israélo-palestinien. Par ailleurs, à la suite de la guerre civile, la moitié de la population de Somalie n’a plus accès à l’eau douce, alors que les moyens manquent pour en puiser en grande profondeur. Et parmi les migrants qui arrivent en Europe, nombreux sont ceux qui fuient les régimes forts de Syrie et d’Érythrée. 

LA RESPONSABILITÉ DES DÉTENTEURS DES POUVOIRS

En Amérique centrale, les Nicaraguayens souffrent à présent des mesures imposées par le couple présidentiel, qui avait pourtant contribué au renversement de la dictature le siècle dernier. Comme l’indique régulièrement le Conseil œcuménique des Églises, on est loin de la réconciliation entre les deux Corées et il reste beaucoup à faire en Colombie à la suite de la guerre civile et de l’afflux de migrants, dont ceux provenant du Venezuela après la réélection contestée du président Maduro. C’est dans ce pays que le mouvement catholique pour la Paix Pax Christi International remettra ce mois-ci son Prix 2024 à la Commission Justice et Paix de Haïti engagée, depuis les années 70, dans la défense des droits humains au sein de cette première république noire à présent sous la coupe des gangs.

Face à ces nombreux conflits se pose la question de la responsabilité des détenteurs des divers niveaux de pouvoirs. Elle renvoie à des propos que l’historien Tacite attribuait à un chef rebelle britannique à l’époque romaine « Saccager, massacrer, voler, c’est ce qu’ils appellent “l’Empire” : ils laissent derrière eux un désert et l’appellent “Paix”. » Après le récent Sommet pour l’avenir,sans doute doit-on réactualiser – pour la crédibilité même de l’ONU avec un conseil de sécurité à la composition désormais obsolète – cet extrait de l’encyclique Pacem in Terris, que le pape Jean XXIII a signé en 1963 en pleine Guerre froide : « De nos jours, le bien commun universel pose des problèmes de dimensions mondiales. Ils ne peuvent être résolus que par une autorité publique dont le pouvoir, la constitution et les moyens d’action prennent, eux aussi, des dimensions mondiales et qui puisse exercer son action sur toute l’étendue de la terre. » À rappeler encore que les États membres de l’ONU et le pape Paul VI ont, dans les années 60, dit que le “développement” était le nouveau nom de la “paix”. Et que d’autres ont ensuite prôné le développement durable pour l’humanité tout entière et pour la sauvegarde de la création.

Quant à la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Muntjatovic, elle a déclaré que les défenseurs des droits humains doivent être davantage soutenus par les États, les sociétés civiles et les citoyens. De même, le 26 août, à l’occasion du septante-cinquième anniversaire de la Convention de Genève, un appel a été lancé dans cette ville en faveur du respect du droit international humanitaire, en présence de représentants des membres du Conseil de sécurité de l’ONU, hormis la Russie. Et il a été relevé, dans le public, que ce droit avait été bafoué à Gaza. C’est en se basant sur l’expérience du mouvement international contre l’apartheid qu’en 1986, alors qu’il présidait l’Afrique du Sud, Nelson Mandela a dit : « Merci de continuer à combattre pour la Justice et la Paix partout dans le monde. »

Jacques BRIARD

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