Écrivain suisse d’origine turque séfarade, diplômé en physique (qu’il a enseignée), Metin Arditi est un romancier de l’intime dont les nombreux livres (Le Turquetto, Carnaval Noir, Rachel et les siens) traitent des mêmes thèmes : la solitude, l’exil et la difficulté de la filiation. Il n’est dès lors pas étonnant qu’il se soit intéressé au personnage de Jésus dans Le bâtard de Nazareth. L’Évangile de Luc rapporte la conception miraculeuse de la Vierge et, en 1854, le Pape Pie IX proclame l’Immaculée Conception de Marie. Mais, dès le I^er siècle, a circulé l’affirmation d’une naissance adultérine de Jésus. Et, à la fin du siècle suivant, le philosophe Celse écrit qu’« un juif » lui aurait déclaré que Marie, pauvre fileuse, aurait eu ce fils d’un soldat. 

DEUX BANNIS

Arditi épouse cette idée d’une conception suite au viol par un légionnaire romain du nom de Pantera. À l’époque, une femme qui accouche sans mari est une sota et son enfant un manzer (bâtard), tous deux bannis par la Loi juive. Cette exclusion est la trame du roman qui raconte combien Jésus, meurtri par le rejet de sa mère, va en faire le combat de sa vie. Il ne comprend pas que la Loi exclut le faible qui n’est pour rien dans sa faiblesse. La réponse des rabbins est toujours la même : sa rigueur est indispensable pour sauvegarder la vigueur du peuple juif. 

COMME SON PÈRE

Jésus a une profonde admiration pour son père qui a épousé Marie alors qu’elle était enceinte d’un autre que lui. Il est son apprenti et, à 17 ans, quand Joseph vieillit, il réalise les pièces les plus lourdes ou complexes. Bien qu’il soit un manzer, il est très apprécié comme charpentier. Son humanité se lit aussi dans l’histoire d’amour qu’il vit avec Marie de Magdala, accueillie par sa mère à 14 ans, après la mort de ses deux parents. Cette arrivée installe une vitalité nouvelle dans la maison affectée par la disparition de Joseph. 

Jésus se fait baptiser par Jean-Baptiste, un prophète qui va de village en village prêcher la bonne parole, se distinguant des autres par sa fougue et sa foi. À sa question de savoir s’il adhère à toutes ses paroles, Jésus lui répond : « Pas à toutes, et certainement pas à celles diffusant la peur de Dieu. » Et, écrit Arditi, au moment précis où Jésus émerge des eaux, « les nuages s’écartèrent, un rayon de soleil le frappa et une mouette vint se poser à son côté ». Jean lui demande alors s’il est « celui qui doit venir ». Jésus ne répond pas. Et, dans le roman, ses miracles ont une explication naturelle. Il marche sur les eaux car le brouillard empêche de voir la barque. Et les guérisons des malades se comprennent par des techniques de kinésithérapie avant l’heure, découvertes dans sa vie rude de charpentier. 

AUPRÈS DE JUDAS

Ses relations avec Judas sont complexes. À la suite de l’un de ses sermons, Judas lui raconte qu’il habite un village, caché au sommet du mont Gilboa, qui s’est construit en recueillant les exclus prêts à tout pour cesser d’être traités en pestiférés. Invitant Jésus à créer sa propre secte, il lui propose de se présenter devant le Sanhédrin pour remettre en cause la Loi dans ce qu’elle a d’injuste à l’égard des exclus. Dans une de leurs nombreuses conversations, son interlocuteur lui répond avec fermeté : « La Loi juive est tout entière de charité. Je ne veux pas l’abolir, mais l’accomplir, le comprends-tu ? Je veux réformer et tu veux révolutionner. » Après sa crucifixion, les douze qui le suivent depuis quelques années sont abattus et désemparés. Ils voient s’envoler leur rêve d’une nouvelle Loi. Vilipendé dans un premier temps par ses compagnons qui le rendent responsable de la mort de Jésus, Judas va leur proposer une idée inattendue et interpellante !

Thierry MARCHANDISE

Metin ARDITI, Le bâtard de Nazareth, Paris, Grasset, 2023. Prix : 19,10. Via L’appel : – 5% = 18,15€.