Une respiration pour ceux qui portent tant

Une respiration pour ceux qui portent tant

À Etterbeek, dans un ancien garage aménagé en havre de lumière, l’association Émergences propose des cercles de méditation dédiés aux femmes. Fondée par Caroline Lesire, formée en sciences politiques et en études de genre, et Ilios Kotsou, docteur en psychologie, cette ASBL belge œuvre à créer du lien entre connaissance de soi, engagement solidaire et transformation intérieure…

Par

Publié le

29 avril 2025

· Mis à jour le

4 mai 2025
Plusieurs personnes assises par terre dans une salle avec du parquet clair

Derrière une façade discrète, une porte s’ouvre sur un silence habité. Ce sont les Jardins d’Émergences, un ancien garage devenu un cocon lumineux, espace de méditation et de transmission. Bois clair, murs blancs, grandes baies vitrées : ici, on quitte la ville sans même sortir de Bruxelles. Les Jardins d’Émergences portent bien leur nom. C’est là, dans cette maison baignée de calme, que se tient aujourd’hui un MamanCercle. Mamans, grand-mères, femmes sans enfants, toutes sont venues participer à une journée de pleine conscience. Certaines ferment les yeux. D’autres sourient. Certaines se connaissent déjà. D’autres arrivent pour la première fois. Mais, très vite, une chaleur circule, imperceptible et pourtant palpable. On s’assoit en cercle, on respire ensemble, on prend le temps d’atterrir. Ce n’est pas un atelier, encore moins une performance. C’est un lieu pour redevenir entière.

Les Jardins d’Émergences s’articulent autour de deux grands espaces. D’un côté, la salle Chozen, côté rue, accueille des groupes à taille humaine dans une atmosphère chaleureuse et feutrée. De l’autre, la salle Ozan, tournée vers le jardin, offre un vaste espace baigné de lumière. Ozan Aksoyek, à qui elle rend hommage, était un troubadour, fin connaisseur du corps, poète et enseignant de méditation. Entre ces deux salles, un espace détente permet de se poser, de se croiser, de partager une tisane ou un silence. Tout est conçu ici pour accueillir l’intériorité sans l’imposer.

UNE OASIS DE LUMIÈRE 

MamanCercle est un rendez-vous qui a lieu à chaque nouvelle et pleine lune en virtuel et deux fois par an, comme aujourd’hui, en présentiel. Au programme : méditation, silence, mise en mouvement, expression créative, écoute consciente. Mais, surtout, une parenthèse dans un quotidien souvent saturé. Delphine, 45 ans, y participe depuis cinq ans. « Mon fils est né deux semaines avant le confinement, détaille-t-elle. J’étais seule, maman solo, et le monde s’est figé. Ce cercle m’a permis de me reconnecter à d’autres femmes, et de tenir bon dans une période sensible. De plus, le fait d’y participer me stimule à méditer au quotidien. C’est un super format pour une maman : pas besoin de babysitting puisqu’en général, c’est en soirée depuis un PC. »

Autour d’elle, les visages s’ouvrent, les corps respirent. Il n’y a rien à prouver ici, seulement à être. Annabelle, 48 ans, raconte avec pudeur son propre chemin. « Mon psy m’a parlé d’Émergences il y a douze ans. Je ressassais trop, je dormais mal. J’ai suivi un cycle de pleine conscience avec Ilios [Kotsou] et ça a changé ma vie. Je me suis même réorientée professionnellement. De plus, après un déménagement, mon couple a explosé et je me suis retrouvée maman solo. Ce n’est pas toujours facile, il y a beaucoup de jugement. Ici, on vient chercher de la bienveillance entre femmes dans un espace de non-jugement. Ce n’est pas courant. On s’écoute, on partage des textes, des livres. Et puis, Ilios et Caroline [Lesire] incarnent vraiment les valeurs qu’ils prônent. »

Au fil des heures, les échanges sont entrecoupés de silences pleins, de méditations guidées et de gestes simples. Certaines dessinent, écrivent… Et toujours cette sensation d’un cercle où rien n’est à gagner, rien à perdre, juste à être.

UN ESPACE SANS DOGMES

Caroline Lesire, formée en sciences politiques (option humanitaire) et en études de genre, et Ilios Kotsou, docteur en psychologie spécialisé dans les émotions, auteur et conférencier, ont fondé l’ASBL Émergences en 2009, portés par l’envie d’un monde plus solidaire, plus conscient, plus relié. Leur mantra ? Se changer pour changer le monde, inspiré de Gandhi. Ensemble, ils ont conçu un espace sans dogmes, sans vérité absolue, sans gourou. Un lieu ancré dans la science et dans l’expérience vécue. « J’ai grandi dans une secte, confie Ilios Kotsou. Je suis donc très sensible à l’idée de liberté intérieure. »
Cette quête de lucidité et de bienveillance traverse aussi son nouveau livre, La sagesse des petits riens – Changer de regard pour vivre la magie du quotidien. Dans cet ouvrage composé de cinquante-huit courts chapitres, il en explore la beauté fragile : les échanges avec sa fille, les rencontres inattendues, les gestes minuscules qui disent la tendresse du monde. « Le quotidien comme un miroir nous donne mille occasions de nous découvrir. Ces petits riens sont des moments ordinaires qu’un regard attentif peut transformer en expérience unique », observe-t-il. Il évoque aussi, avec pudeur et courage, le traumatisme de son enfance dans une organisation sectaire — un chemin de résilience qu’il partage pour mieux souligner l’importance de la liberté intérieure. Loin d’un développement personnel clinquant, le livre est une invitation à « changer de regard et à laisser la vie nous prendre par la main ».

ESPACES DE LIBERTÉ 

Chaque année, l’association donne rendez-vous à son public pour un grand moment de réflexion et de reliance : les Journées Émergences. L’édition 2025, prévue les 27 et 28 septembre, posera une question essentielle : est-il possible de vivre libre ? Deux jours pour explorer ce qui entrave et ce qui élève. Attachements, croyances, élans du cœur, fidélités invisibles, autant de fils à dénouer pour retrouver de l’espace en soi. « En chacun de nous, une voix nous appelle à nous affranchir de ce qui nous enchaîne, remarque Caroline Lesire. Mais comment concilier cette soif d’émancipation avec l’amour du monde, des autres, de la vie telle qu’elle est ? La liberté se trouve-t-elle dans la rupture ou dans la transformation ? Est-elle l’apanage des sages solitaires ou une pratique quotidienne à réinventer ?
Pendant ces deux journées, neurosciences, philosophie, spiritualité et art se répondront dans une alternance d’interventions, de dialogues, de pratiques méditatives, de récits de vie et de moments musicaux. Parmi les invités : Matthieu Ricard, moine bouddhiste et photographe, Alexandre Jollien, philosophe et écrivain, ou encore Albert Moukheiber, docteur en neurosciences. « Ce que nous proposons, précise Caroline, ce n’est pas un simple colloque, mais une expérience collective. On vient pour écouter, mais aussi pour méditer, se relier, transmettre, semer de la conscience et de l’amour dans le monde. »

La méditation de pleine conscience, véritable fil rouge de cet événement, prend ici tout son sens. En ces temps d’incertitudes, de tensions sociales et de bouleversements écologiques, elle devient une boussole intérieure. « Elle propose de retrouver en nous un espace d’apaisement, de tranquillité, de lucidité, explique Ilios Kotsou. Elle nous aide à puiser notre énergie, à nous nourrir intérieurement, pour mieux prendre soin des autres et contribuer à un monde plus vivable. »

Pour le psychologue, méditer, ce n’est pas fuir le réel, mais l’habiter autrement. « La méditation augmente les chances que nos actes soient en accord avec nos désirs profonds. Elle nous permet de mieux naviguer dans la vie, en trouvant un endroit d’où observer le monde avec plus de clarté. » Et d’ajouter : « Chacune et chacun est une petite partie du monde. Prendre soin de soi par la méditation, c’est déjà prendre soin du monde. »

Avec Mathieu Ricard en invité, Caroline Lesire et Ilios Kotsou proposent au public une expérience de réflexion.

LA PLEINE CONSCIENCE SOLIDAIRE 

Chez Émergences, pas d’injonction à aller bien. Juste l’envie de semer des graines de conscience, en douceur. Le lieu, rénové en 2022, abrite également un studio d’enregistrement où sont produits les podcasts de l’application Prezens. Gratuit pour ceux qui n’ont pas les moyens, accessible sur abonnement libre, ce projet solidaire offre des méditations guidées par de vrais enseignants. « On ne voulait pas que le bien-être soit réservé à ceux qui peuvent se le permettre », commente Caroline Lesire. Leur approche est inclusive, tournée vers les publics fragilisés, loin des tendances zen chic qui marchandisent l’intériorité.
Ce qui relie toutes ces initiatives, c’est le soin. Celui qu’on apprend à se donner. Celui qu’on choisit de porter aux autres. Caroline aime à dire que « la société défaille dans le soin, et nous, on tente de le ramener ». Pour elle, habiter le monde autrement, c’est aussi créer des lieux où l’on peut respirer, pleurer, se réjouir, déposer ses fardeaux. « On ne maudit pas l’obscurité. On regarde où mettre la lumière. »
Dans le livre d’or posé à l’entrée, les mots tracent une mémoire sensible de ces instants partagés. Marie écrit :  « En entrant chez Émergences, une sensation de calme, l’envie de respirer plus profondément, de ressentir de la douceur, et d’être dans la lumière. » Une autre participante confie : « Je suis venue participer à cette rencontre MamanCercle avec l’intention de prendre soin de mon cœur, de mon corps, avec la force du groupe. Et je repars avec bien plus que cela : c’est l’amour pour toutes ces femmes, qui me donne une nouvelle fois la force de repartir dans le monde, juste là. Vous êtes si précieuses. » Et c’est peut-être cela, au fond, le cœur d’Émergences : permettre que chaque être humain retrouve, l’espace d’un souffle, ce lieu en soi où tout peut recommencer.

Infos :  emergences.orgjournees.emergences.org 

Virginie STASSEN

Partager cet article

À lire aussi

  • Plusieurs personnes assises les unes à côté des autres, chacune avec un emoji différent sur la tête.