Violences conjugales : femmes en danger

Violences conjugales : femmes en danger

Les violences conjugales sont très largement le fait des hommes à l’encontre de leur partenaire féminine. Si elles sont mieux reconnues aujourd’hui, elles ne sont pas pour autant en diminution. D’autant plus avec l’apparition des cyberviolences qui prennent des formes multiples et insidieuses.

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Publié le

31 octobre 2023

· Mis à jour le

15 mars 2025
Image d'une femme recroquevillée dans un coin avec le poing serré d'un homme devant

Les Nations unies ont choisi le 25 novembre comme Journée internationale pour l’élimination de la violence faite aux femmes. Selon l’organisation, une femme sur trois subit de mauvais traitements au cours de son existence. Et il faut malheureusement constater que ces chiffres augmentent en période de crise. Un récent rapport d’ONU Femmes, basé sur des données provenant de treize pays depuis l’apparition de la pandémie, montre que deux femmes sur trois ont déclaré qu’elles-mêmes, ou une femme de leur connaissance, avaient enduré une forme de violence. Mais seulement une sur dix a indiqué que les victimes s’adresseraient à la police pour obtenir de l’aide. Il reste donc beaucoup à faire.

VIOLENCES DIVERSES

Les violences subies par les femmes peuvent prendre des formes très diverses. Chez Julie, elle Ă©tait psychologique : « C’est très insidieux, je compare ça Ă  une perfusion de poison administrĂ© au quotidien. Au dĂ©part, c’est juste de l’humour glacial. Puis des rĂ©flexions assassines, des SMS jour et nuit et la sensation d’être en permanence jugĂ©e et Ă©piĂ©e. Â» DaphnĂ© recevait des coups : « Dissimuler les bleus et les bosses Ă©tait devenu une prĂ©occupation rĂ©gulière. Quand cacher n’Ă©tait plus possible, il fallait mentir : pour un hĂ©matome, je disais que j’avais pris une porte, pour un bras cassĂ©, c’Ă©tait un tas de bĂ»ches qui s’Ă©tait Ă©croulĂ©. Quand je ne pouvais pas sortir, c’Ă©tait une gastro. Â» La violence peut aussi prendre la forme d’une emprise sur l’autre, comme en tĂ©moigne Sabrina : « Je sortais d’un divorce lorsque je l’ai rencontrĂ©. Après un mois de relation, il s’est installĂ© chez moi, je n’ai pas trop osĂ© dire non. J’ai deux enfants de trois et sept ans : il a commencĂ© Ă  leur interdire de manger sucrĂ© après 16h, Ă  me dire que je leur faisais trop de câlins, que j’allais les rendre gagas. Je n’ai rien dit. Il laissait entendre que j’étais une mauvaise mère et je pensais qu’il avait raison. J’étais brune, il m’a demandĂ© de devenir blonde, ce que j’ai fait. Il m’a aussi demandĂ© de maigrir sinon il me quittait. Il surveillait tout ce que je mangeais : j’ai perdu quatorze kilos. Â»

« Dissimuler les bleus et les bosses Ă©tait devenu une prĂ©occupation rĂ©gulière. Quand cacher n’Ă©tait plus possible, il fallait mentir. »

Ces histoires pourraient se multiplier. Elles comportent souvent des réalités communes. Une emprise sur le conjoint qui s’installe sur base d’une fascination amoureuse. Un isolement progressif du partenaire vis-à-vis de sa famille et de ses amis, sous des prétextes divers. Une dépendance matérielle, puis une dévalorisation de la personne, un travail de sape de l’estime de soi. Viennent ensuite les agressions verbales et les coups, de plus en plus forts. Souvent, après un accès de violence, l’auteur des faits s’excuse et se montre très attentionné. Une sorte de nouvelle lune de miel s’installe… jusqu’à la crise suivante.

MULTIPLES CYBERVIOLENCES

Un nouveau type de violences est apparu assez récemment : les cyberviolences. Elles sont définies par le Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE) comme « le contrôle, le harcèlement, la surveillance et la maltraitance d’une personne par son ou sa partenaire par le biais des nouvelles technologies et des médias sociaux ». Elles permettent aux conjoints, ou aux ex, d’exercer, voire d’élargir leur contrôle et leur domination sur leurs proies, sans parfois que celles-ci ne s’en rendent compte. Et le phénomène se répand à mesure que se développent les technologies numériques. 

Dans une “recherche-action” menée en 2018 par le centre français de ressources pour l’égalité femmes-hommes, Hubertine Auclert identifie cinq types de cyberviolences conjugales. Le cybercontrôle consiste dans la multiplication des SMS, l’exigence que la partenaire soit joignable en permanence, etc. Le cyberharcèlement peut prendre la forme d’appels incessants et envahissants, d’injures, de menaces de mort… La cybersurveillance permet un contrôle continu des déplacements et agissements, par exemple via un logiciel espion ou grâce au GPS. Les cyberviolences sexuelles peuvent s’exercer par la diffusion ou la menace de diffusion d’images. Quant aux cyberviolences économiques et administratives, elles consistent à pirater les comptes bancaires de la partenaire, voire à bloquer ou perturber certaines démarches administratives, comme des demandes d’allocations sociales.

TRAITEMENT MÉDIATIQUE

Les personnes qui subissent ces violences ne s’en rendent pas toujours compte. Si certaines femmes consentent librement à montrer le contenu de leur messagerie comme une preuve d’amour, d’autres sont suivies et épiées dans tous leurs mouvements, sans même s’en douter. Cela implique que des victimes qui se décident à quitter leur compagnon violent peuvent être retrouvées facilement par celui-ci. La journaliste française Marine Périn, créatrice de la chaîne YouTube Marinette – Femmes et féminisme et porte-parole de Prenons la Une, un collectif de journalistes féministes, a consacré son documentaire Traquées aux cyberviolences conjugales. Elle constate que, si les violences “classiques” aboutissent rarement à des condamnations, c’est encore pire pour celles-là, souvent minimisées par la police.

L’utilisation fréquente des termes « drame familial » ou « crime passionnel » laisse penser que l’homme a été emporté par une force qui le dépasse.

Dans une analyse rĂ©cente, le CVFE attire aussi l’attention sur l’importance du traitement mĂ©diatique de ce type de violences. Le collectif salue tout d’abord l’adoption, en juin 2021, par le Conseil de dĂ©ontologie journalistique (CDJ), soit l’organe de rĂ©gulation des mĂ©dias en Belgique francophone et germanophone, de la recommandation “violences de genre”. Cet outil de rĂ©fĂ©rence destinĂ© aux journalistes, aux rĂ©dactions et aux mĂ©dias rassemble les règles dĂ©ontologiques en la matière. Mais le CVFE prend ensuite un exemple concret d’un article publiĂ© dans un quotidien suite au dĂ©mantèlement d’un rĂ©seau de prostitution de mineures en Belgique. Le papier relaie la dĂ©pĂŞche de l’agence Belga en l’illustrant d’une photo montrant le haut de la cuisse d’une jeune femme en porte-jarretelles et lingerie fine, quelques billets de banque glissĂ©s dans l’Ă©lastique de son bas. Cela donne Ă©videmment une image glamour de la prostitution forcĂ©e de ces mineures, tout en laissant supposer qu’elles se sont laissĂ©es appâter par la perspective d’un argent facile. 

CRIME PASSIONNEL ?

L’association Vie FĂ©minine, pour sa part, attire l’attention sur le vocabulaire employĂ© pour qualifier les violences faites aux femmes. En particulier, l’utilisation frĂ©quente des termes « drame familial Â» ou « crime passionnel Â» Ă©voque un univers théâtral et laisse penser que l’homme a Ă©tĂ© emportĂ© par une force qui le dĂ©passe, et n’est donc pas entièrement responsable de ses actes. Parler de crime passionnel conduit aussi Ă  dĂ©placer l’accent du crime vers la passion amoureuse. Et, de ce fait, Ă  dĂ©douaner, au moins partiellement, le coupable, lui-mĂŞme victime de ses passions, explique la linguiste française Anne-Charlotte Husson. Lorsque la femme tuĂ©e souhaitait la rupture, la ou le journaliste parlera d’ailleurs souvent d’« amoureux Ă©conduit  Â», se mettant inconsciemment du cĂ´tĂ© de l’agresseur. Pour Natacha Henry, auteure de Frapper n’est pas aimer, « ces articles viennent d’une mĂ©connaissance des journalistes de ce que sont les violences faites aux femmes. Elles/ils se trompent sur ce qu’il s’est passĂ© et pensent qu’il s’agit d’un drame de la jalousie. Les journalistes utilisent Ă©galement un vocabulaire archaĂŻque et romanesque. Personne ne va dire de nos jours : j’ai vu ton amoureux Ă©conduit au magasin, il faisait ses courses . Â»

« Les journalistes ne sont pas outillĂ©-es pour aborder ces sujets », affirme Pamela Morinière, responsable communication de la FĂ©dĂ©ration internationale des journalistes (FIJ) qui a publiĂ© un guide Ă  destination de cette profession. Elle donne des lignes directrices. Par exemple, « ne pas parler de rapport sexuel quand on parle de viol ou d’agression sexuelle. Dans les cas de violences, donner toute l’histoire et la placer dans le contexte d’un problème de sociĂ©tĂ© plus large, notamment Ă  l’aide de statistiques Â».Avec quel rĂ©sultat ? « Les journalistes n’aiment pas qu’on leur dise comment traiter l’information  Â», remarque-t-elle amèrement. 

Autre rĂ©alitĂ© d’aujourd’hui : la pression du clic. Vie FĂ©minine relaie les paroles d’une ancienne journaliste : « On me parlait tellement du nombre de clics Ă  atteindre que j’ai fini par mettre un article sexiste en Une du site. Face aux rĂ©actions nĂ©gatives de certaines collègues, j’ai mĂŞme dĂ©fendu ma dĂ©cision ! Ce n’est qu’en y rĂ©flĂ©chissant plus tard que je me suis rendu compte que c’était en contradiction avec mes valeurs. Â» Si la reconnaissance et la prise en compte des violences conjugales ont progressĂ©, il reste toutefois encore du chemin Ă  parcourir pour atteindre l’objectif de l’ONU : l’élimination de la violence faite aux femmes.

José Gérard

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