9M2 : un autre regard sur l’enfermement
9M2 : un autre regard sur l’enfermement
9M2, c’est la dimension d’une cellule en Belgique, et c’est aussi un projet d’humanité. Son groupe porteur veut créer un lieu de dialogue avec tous les citoyens, spécialement ceux qui ne connaissent pas les réalités de la prison, convaincus qu’elle est pour la racaille. Il entend penser collectivement les institutions judiciaires, leurs pratiques et effets sur les individus et sur la société, réfléchir aux enjeux de la peine et changer les représentations sur les personnes enfermées pour, ensemble, sortir de la peur et de l’ignorance.
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Le 8 septembre dernier, l’association 9M2 a été lancée à la prison de Forest. Fruit des expériences de Luc Vervaet, un enseignant en prison, et de Jean-Marc Mahy qui, depuis 2003, après sa libération au terme de dix-huit années de vécu carcéral, témoigne de son parcours en intervenant dans les écoles, à travers des documentaires et dans son seul en scène, Un homme debout (voir L’appel de novembre 2024), cette initiative a vu le jour dans l’établissement pénitentiaire de Tongres lorsqu’il était désaffecté, entre 2006 et 2008. C’était un projet pédagogique avec des “cellules émotions” dans lequel des groupes scolaires, essentiellement, étaient invités à se faire une représentation de la prison à partir de témoignages, en particulier celui de l’ancien détenu. Près de trois cent mille visiteurs ont vécu cette expérience. L’aventure a pourtant pris fin quand la prison est redevenue un lieu de détention pour mineurs. Mais, en 2022, lorsque la prison de Forest s’est progressivement libérée de la présence de détenus, le duo y a vu une opportunité. Elle appartenait à la Régie des bâtiments qui, pour éviter la dégradation des lieux, utilisait les locaux administratifs habitables comme logements précaires pour des colocations d’étudiants ou de jeunes travailleurs.
UN LIEU DE DÉBATS
Les deux fondateurs, rejoints entre autres par Olivia Nederlandt, Marie-Sophie de Clippele, Xavier Rousseaux, Manu Lambert, Christophe Rémion et François De Borman, ont alors créé 9M2, transformant le projet d’origine pour l’adapter à la situation du nouvel espace et en faire un lieu de débats sur les enfermements. Ils étaient soutenus par deux partenaires institutionnels, la Ligue des droits humains et l’Observatoire international belge des prisons. Et en attendant d’avoir ses propres locaux dans la prison, l’ASBL a été temporairement hébergée dans la Maison des droits humains à Bruxelles. Manu Lambert, son président, pouvait ainsi intégrer sa fonction dans une partie de ses tâches pour la Ligue, alors que les autres membres étaient tous bénévoles.
Le jour du lancement de 9M2, c’est Jean-Marc Mahy qui, symboliquement, a ouvert la porte de Forest. Les visiteurs ont pu, en une heure, parcourir les deux ailes, la rotonde et l’ancienne annexe psychiatrique, sous la guidance d’Olivia Nederlandt et de Xavier Rousseaux qui ont rappelé que
le site, créé en 1911, a d’abord été occupé par une communauté religieuse féminine. Comme l’explique Xavier Rousseaux, « le parcours citoyen, ce sont des visites avec deux personnes, un
acteur du pénitentiaire et un autre plus à distance, comme un criminologue, pour avoir une visite en dialogue. 9M2 a identifié dans la prison une trajectoire qui va depuis la cour d’entrée vers le greffe, les parloirs, la rotonde, les cellules, dont un cachot et l’annexe psychiatrique ».
« Nous souhaitons collaborer avec des institutions d’aide à la jeunesse et des écoles pour déconstruire une représentation erronée de la prison. »
FAIRE RÉFLÉCHIR
L’association nourrit l’objectif d’être reprise dans les programmes de formation permanente, ce qui lui permettrait d’obtenir des subsides pour pouvoir donner vie à un musée virtuel ou localisé en un lieu. Mais comment peut-elle se positionner dans un monde où la prison est mal considérée ? Elle a en effet le sentiment de parler aux gens convaincus et de recevoir un silence poli de l’administration pénitentiaire. Certains estiment qu’il faut visibiliser le projet et en faire un lieu de débats critiques pour les personnes qui vivent en prison et y travaillent. D’autres pensent qu’il est important de toucher les “pro-prisons” qui en ont une idée toute faite, persuadés de son utilité parce que l’on y met la “racaille”, sans que cela concerne le citoyen “honnête”. C’est ce public que voudrait atteindre 9M2 par le biais d’un musée décalé, par un lieu qui secoue et fait réfléchir, qui invite à débattre. Forte de la conviction que, sans connaître la prison de l’intérieur, on ne peut pas la comprendre. L’installation de 9M2 à Forest est le résultat de plusieurs années de long travail. Il lui a fallu rentrer des dossiers pour tenter d’obtenir des financements et organiser un certain nombre d’activités. Tout en se formant, notamment en assistant au spectacle de Jean-Marc Mahy, Un homme debout, et en suivant une formation à la gestion des ASBL. Elle souhaitait que, dans le cadre de la réaffectation sur laquelle elle n’avait aucune prise, une partie muséale puisse être conservée dans un projet intégrant de l’espace public, des logements et une école pour les besoins de la population locale. Mais c’était très incertain car, à tout moment, la Régie des bâtiments pouvait décider de vendre le lieu. Comme la Région bruxelloise était candidate au rachat des sites de Saint-Gilles et Forest, ce dernier ne devait pas être réaffecté en établissement pénitentiaire. Même si des membres du SPF Justice, s’en inquiétant, voulaient carrément voir les murs abattus, afin de ne pas être tenté, comme avec la prison de Tongres, d’en faire un établissement semblable.
UN MUSÉE PORTABLE
Dès lors, sans perspective à long terme, 9M2 a essayé de monter d’abord des “parcours”, avant d’imaginer un musée portable qui pourrait être déplacé au cas il ne pourrait être accueilli à Forest. Des visites étaient prévues, couplées à une réflexion plus structurée via une présentation menée par des comédiens dans la prison. Il a également été envisagé de créer un site internet avec des documents d’archives, des images et des interviews d’anciens détenus, agents pénitentiaires, médecins, infirmiers, psychologues et familles de détenus. Pendant ce temps, de nombreux contacts politiques étaient pris, mobilisant fortement l’équipe. Si, partout, on reconnaissait l’excellence du projet, celle-ci s’entendait répondre que, pour être financée, il est indispensable qu’elle dispose des clefs de la prison.
Et enfin, cet été, cet accès lui a finalement été accordé par la Régie des bâtiments. Quels éléments ont motivé cette décision ? « Deux peuvent être mis en avant, commente Xavier Rousseaux. La nouvelle secrétaire d’État en charge de la Régie propriétaire des lieux, Vanessa Matz, tout comme son prédécesseur, Mathieu Michel, est favorable de permettre aux citoyens d’apporter leur pierre dans la réaffectation des espaces publics, comme le site de Tour et Taxis. D’autre part, 9M2 a travaillé avec Communa, une association chargée des occupations temporaires à finalité sociale et qui, en outre, a un bon contact avec la Régie des bâtiments. »
TROIS PUBLICS VISÉS
« Un axe patrimonial serait d’utiliser l’espace carcéral pour en faire un musée ou un centre d’interprétation sur les enfermements, dans une perspective belge mais aussi internationale, ajoute Xavier Rousseaux. Du côté wallon, il n’y a rien d’accessible au niveau du grand public à part un petit musée à Marneffe que l’ASBL a pu inventorier et dont il souhaite utiliser certaines pièces pour le futur musée. Son objectif actuel, mais précaire, est d’occuper une partie de la prison de Forest, l’avant avec le greffe, les parloirs, ainsi que deux ailes et la partie de l’ancienne annexe psychiatrique désaffectée où il reste notamment des traces des cellules capitonnées et de celles avec du mobilier fixé dans le sol. »
C’est le public “pro-prison ”que voudrait atteindre 9M2 par le biais d’un musée décalé, par un lieu qui secoue un peu et fait réfléchir, qui invite à débattre.
Christophe Rémion détaille les trois publics visés. « D’abord, les jeunes, par l’éducation et la prévention. Nous souhaitons collaborer avec des institutions d’aide à la jeunesse et des écoles pour déconstruire une représentation erronée de la prison, parfois issue des séries télévisées. Ensuite, nous voulons être un soutien à la formation des professionnels. Nous souhaitons permettre à de futurs éducateurs spécialisés, des sociologues, des assistants sociaux, des criminologues, des juristes d’ajouter une corde à leur arc pour leur permettre d’avoir un aperçu des conditions dans lesquelles le détenu a vécu. Enfin, nous voulons aller vers le grand public pour y susciter un questionnement sociétal. Nous vivons dans une société où le caractère sanctionnel est très marqué et l’environnement des prisons, très aseptisé. Le côté éducatif des détenus est mis de côté et les réalités de l’univers carcéral belge demeurent largement méconnues d’un grand nombre de citoyens. 9M2 constitue une opportunité rare pour les gens de mieux comprendre l’univers des prisons. »
Thierry MARCHANDISE
Contact : info@9m2
HAREN : UNE NOUVELLE PRISON CATASTROPHE
Haren est la plus grande prison jamais construite en Belgique. Elle remplace les trois vieilles structures pénitentiaires de Forest, Saint-Gilles et Berkendael. Inaugurée en 2022, et prévue pour 1035 détenus, elle est conçue comme un village pénitentiaire de dix-neuf bâtiments sur quinze hectares. Elle est totalement informatisée et les détenus disposent, avec leurs badges, d’une certaine autonomie.
Ses concepteurs en donnent une vision idéalisée sur le site de l’établissement : « Les bâtiments où résident les détenus sont divisés en unités de vie. Ces derniers y vivent en petits groupes de dix à trente-cinq personnes. Les unités de vie sont conçues pour favoriser la vie en communauté et encourager les détenus à effectuer des activités quotidiennes similaires à celles de la vie normale. La prison de Haren est également la première prison où les accompagnateurs de détention et les assistants de sécurité entreront en fonction. En distinguant davantage les tâches en matière de sécurité, d’une part, et les tâches d’accompagnement, d’autre part, et en les spécialisant davantage, nous pourrons préparer au mieux les détenus à leur réinsertion. Les accompagnateurs de détention guident les détenus à chaque étape de leur séjour en prison et les motivent à donner un sens à leur détention. Les assistants de sécurité se concentrent principalement sur les tâches de contrôle et de surveillance. Chacun dans son rôle spécifique, ils veillent ensemble à assurer une sécurité dynamique dans la prison avec une approcha humaine. »
Mais la réalité d’aujourd’hui est toute différente. L’établissement a été mis en service avant que toutes les opportunités d’un nouveau bâtiment n’aient été testées. Ainsi, le système informatique connaît de nombreux problèmes… Mais, plus grave, la prison se révèle le contraire de ce qu’elle propose. Du côté du personnel pénitentiaire, il y a un véritable ras-le-bol dû au fonctionnement de l’établissement, au manque de personnel et à la démotivation de ceux qui restent, sans compter les menaces dont ils sont l’objet, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des bâtiments. Quant aux détenus, les informations qui parviennent laissent entendre que le préau est un lieu d’échange pour des opérations criminelles futures. Alors que chacun d’eux dispose d’un accès téléphonique dans sa cellule, les GSM, pourtant interdits, circulent en masse. Nathalie Galand expliquait déjà que, comme avocate, elle constatait des dérives importantes dans cette toute nouvelle prison. Et des agents pénitentiaires et des détenus viennent d’être mis sous mandat d’arrêt pour corruption ! (T.M.)