Être électeur, c’est bien ! Être citoyen, c’est mieux !
Être électeur, c’est bien ! Être citoyen, c’est mieux !
Les élections du 9 juin et du 13 octobre prochains ont été nommées « le mégascrutin ». Elles se déroulent, en effet, à un moment assez mouvementé, dans la suite des périodes covid et post-covid, durant la guerre en Ukraine et le conflit sanglant dans la bande de Gaza, bouleversant les habitudes, laissant une large partie de la population pantoise, indécise et désarçonnée. Et les jeunes dans tout ça ? Et surtout, parmi eux, ceux qui votent pour la première fois.
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Dans de nombreuses écoles, à l’occasion des élections, les enseignants et les directions invitent des candidats des différentes formations politiques qui se présentent au scrutin à rencontrer les futurs primo-électeurs. Mais, de plus en plus, ce genre d’initiative, jadis acceptée avec intérêt, ne connaît plus le même succès. Ainsi, Florence, sortie de rhéto l’an dernier, se trouve plutôt perplexe : « Je ne comprends pas. Et, beaucoup, dans ma classe, ne comprennent pas non plus. Nous sommes donc devenu·e·s fatalistes. On imagine que notre avis n’est pas entendu. Les candidats, devant nous, se disputent comme des chiffonniers. À quoi cela va-t-il servir d’aller voter si je n’ai pas l’impression d’être reconnue ? Et, en plus, le vote et obligatoire. J’irai donc avec des pieds de plomb, en votant blanc, sans doute. Je préférerais, par exemple, via les réseaux sociaux, créer une sorte de moteur de recherche avec cinq mots-clés permettant d’accéder à une information plus crédible. »
ESPOIRS ET PROJETS
Aujourd’hui échevin Ecolo à la ville de Charleroi après plusieurs années de mandats comme député wallon, Xavier Desgain a plusieurs fois participé jadis à ces rencontres pré-électorales. Il n’y répondait pas directement aux questions des élèves, mais préférait leur demander de se projeter dans un avenir plus ou moins proche. « Comment vous voyez-vous dans cinq ans ? Quels sont vos souhaits, vos espoirs, vos projets ? Parce que voter n’est pas la recette à une réponse immédiate. Les éventuels effets, s’ils se font sentir, n’apparaitront que bien plus tard. Plongez-vous dans les programmes des partis avec vos souhaits et espoirs futurs. » Même si elle trouve ce type de question pertinent, Anne-Sophie Lejeune, directrice de l’Institut Saint-André à Ixelles, se montre fort sceptique à propos de son efficacité :« Beaucoup d’élèves ne savent pas se projeter dans l’avenir immédiat à la suite de leur parcours d’apprentissage. Comment se projetteraient-ils dans un avenir putatif lointain ? »
« À quoi cela va-t-il servir d’aller voter si je n’ai pas l’impression d’être reconnue ? »
Cette directrice rejoint les objectifs de plusieurs organisations de jeunesse et d’éducation permanente, comme, entre autres, Infor-Jeunes et la CNAPD (Coordination nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie). Même s’il est intéressant de rassembler des candidats des différentes formations politiques afin de les entendre défendre leurs programmes au scrutin proche, la sensibilisation à la citoyenneté et à la démocratie ne se cantonne en effet pas à ces périodes chaudes. Il est opportun de travailler ces problématiques à tous moments. “Le devoir de citoyenneté” est bien plus large que le droit de vote et le devoir de l’électeur.
PENSÉE CRITIQUE
À cet égard, Roberto Galluccio, ancien administrateur délégué du CEPEONS (enseignement officiel des Provinces et Communes), rappelle que l’éducation à la citoyenneté fait partie intégrante du Pacte pour un enseignement d’excellence, initié dès 2015 par la ministre Joëlle Milquet et mis en place depuis 2017. Dans l’enseignement officiel, un cours de philosophie et citoyenneté est proposé à tous les élèves depuis les classes maternelles jusqu’à la rhéto, à raison de deux périodes par semaine. Son objectif est de permettre de développer la pensée critique et la raison au sens humaniste. Ces cours théoriques se complètent de mises en situation des jeunes, de rencontres avec des acteurs de terrain, tant politiques qu’associatifs.
L’injonction de la neutralité est martelée incessamment dès la création de ce pacte scolaire. Thibault Zaleski, enseignant détaché à la CNAPD, n’hésite pas à affirmer que cette « neutralité outrancière a aseptisé les écoles et beaucoup d’enseignants. Ce qui aboutit, en quelque sorte, à la dépolitisation de tous les acteurs éducatifs ». C’est pourquoi, la CNAPD, entre autres, coordination pluraliste d’organisation de jeunesse, met à la disposition des jeunes des outils multiples et variés « afin de nourrir une réflexion collective et plurielle pour réinventer et construire d’autres horizons politiques toujours plus proches de l’utopie démocratique ». Parmi ces outils, un coffret de huit fiches thématiques, Democra-quoi ?, permet à leurs utilisateurs de retrouver les sources de la démocratie et d’en interroger les fondements et l’histoire.
OUVRIR DES DÉBATS
Dans le cadre du projet Débagora (lire ci-dessous), des élèves de l’institut Saint-Stanislas à Etterbeek, en partenariat avec le centre Eddy Merckx de Woluwe-Saint-Pierre et deux athénées (Evere et Robert Catteau), ont pu échanger et débattre avec des acteurs de terrain autour de la réalité des problématiques de la sécurité, du logement et de l’urbanisme à Bruxelles. À l’issue de ces expériences et de prises de conscience, les élèves ont ouvert un dialogue avec les instances de leur école afin d’obtenir des organes de participation. Par ailleurs, en 2018, une poignée d’étudiants à l’université, constatant que l’intérêt pour la politique et son fonctionnement laissait à désirer, ont créé l’ASBL Civix. Son but est de leur permettre de revigorer cet intérêt en aidant les jeunes à s’informer, principalement via les réseaux sociaux. Aujourd’hui, cette ASBL rassemble plus de septante bénévoles et a déjà enregistré plus de 68 000 téléchargements.
Le 23 mars dernier, plus de cinq cents personnes – jeunes pour la plupart – se sont ainsi retrouvées dans un grand auditoire de l’ULB pour ouvrir un débat avec des candidats des principaux partis se présentant aux élections. « La preuve, disent-ils, qu’il y a non seulement un intérêt, en tout cas une demande d’informations les plus complètes possibles. »
« Nous étions de “vrais parlementaires” et négociions avec de “vrais ministres” pour voter de “vraies propositions” de loi. »
Cela n’étonne pas la directrice de l’institut Saint-André, Anne-Sophie Lejeune. Au sein de son établissement, plusieurs expériences – parfois même en dehors du programme requis – sont en effet organisées par les professeurs, en fonction de leur bonne volonté et de leur engagement, avec le devoir de réserve indispensable. Comme l’échéance électorale approchait, ils ont proposé, fin mars, aux élèves de rhéto, une rencontre avec seize candidats aux futures élections. Bien cadrés par le secrétariat de l’enseignement catholique (neutralité obligatoire), quelques points d’attention ont été mis en avant :
« Veiller à inviter tous les partis démocratiques. Le PTB est actuellement repris dans les groupes siégeant dans les différents parlements. Ce serait sans doute délicat de ne pas les inviter. À voir s’ils répondront à votre demande. Le VBlock n’est pas à inviter vu le cordon sanitaire. Dans l’invitation aux différents partis, préciser que l’objectif est d’informer les élèves sur la vie politique de notre pays et sur les élections à venir. Il ne s’agit pas strictement d’un débat politique où chaque parti viendrait défendre son programme et convaincre. Préparer les questions en amont avec les jeunes, de manière à cadrer les échanges. L’intervention des professeurs de français est utile sur ce point. De manière à préparer finement la question et à travailler l’éventuelle argumentation.
Après la rencontre, il serait utile de débriefer avec les jeunes ce qui a été échangé, les éventuelles contradictions et d’analyser avec eux les réponses reçues. Tous les jeunes ne profitent en effet pas d’un décodage possible à la maison.
Ne pas tenir ces rencontres trop tard, car plus les élections approchent, plus le débat politique deviendra tendu. Des interventions avant le congé du mois de mai semblent donc correspondre à une bonne temporalité. »
EUROPEAN YOUTH PARLIAMENT
Par ailleurs, tout au long de l’année et du cursus des élèves, des cours formels sont organisés. En seconde année, par exemple, une option “activité citoyenne”, à raison de cinquante minutes par semaine, propose des modules de sensibilisation montrant les arcanes de la démocratie. Une dizaine d’élèves de rhéto en immersion anglais, en dehors des cours obligatoires, participent au European Youth Parliament. Cette année, celui-ci a rassemblé près de deux cent cinquante étudiants venus des quatre coins de l’Europe début avril à Gand (présidence belge du conseil européen oblige). Ces jeunes ont été plongés pendant une semaine dans les réalités européennes.
De plus, l’institut d’Anne-Sophie Lejeune participe à la MUN (Modélisation des Nations unies) dont le but est de former ses acteurs aux négociations au sein des instances de l’ONU. Laetitia Parion a eu la chance d’en faire partie quand elle était en rhéto : « Je suis allée à Londres où j’ai rencontré des jeunes venus du monde entier. Tout est très codifié et demande beaucoup de travail. Mais, j’y ai appris énormément de choses. De plus, cette année-ci, j’ai pu participer au JPJ (Jeugd Parlement Jeunesse) au Parlement fédéral avec cent vingt autres jeunes venus de toutes les régions de notre pays. Nous étions pendant une semaine de “vrais parlementaires” et discutions et négociions avec de “vrais ministres” pour arriver à voter de “vraies propositions” de loi. J’y suis allée sans a priori, pour voir et apprendre. C’est une bonne occasion de former mon esprit critique et mon appartenance citoyenne. »
Fédération Infor-Jeunes, rue armée Grouchy 20, 5000 Namur. 081.98.08.16 – federation@fcwb.be
CNAPD, rue de l’éclipse,6, 1000 Bruxelles. 02.640.52.62 – info@cnap.be
ÉDUQUER À LA DÉMOCRATIE ET À L’ÉGALITÉ
Sociologue spécialiste des multiples enjeux de l’éducation, Bernard Delvaux participe notamment au projet Débagora Quand les jeunes se mêlent de la politique. Il a été développé à Bruxelles sur le thème des inégalités en 2022-2023 et sur celui de la place des jeunes dans la ville en 2023-2024, sous la conduite de deux centres de recherche (UCLouvain et ULB) et de trois organisations d’éducation à la citoyenneté (Jeune Et Citoyen, Infor Jeunes Bruxelles et Musée BELvue). Pareille démarche, qui concerne les années de la fin du secondaire, implique un travail en classe durant plusieurs mois et des journées interclasses. Son but est de présenter les analyses, positions et propositions à d’autres classes et à des acteurs politiques en vue d’en débattre.
Ce projet qualifié d’« ambitieux » par Bernard Delvaux doit composer avec les contraintes scolaires, les compétences des enseignants et les habitudes des élèves. « Former les jeunes aux élections est insuffisant, estime-t-il, puisque c’est se centrer sur un seul moment de la vie de la démocratie en informant sur les droits et les devoirs des électeurs, ainsi que sur les institutions, tout en comparant les programmes des partis. Mais, au-delà, éduquer au politique, c’est aussi apprendre certaines compétences utiles pour peser sur les politiques publiques, en sachant rédiger, défendre oralement son point de vue, chercher des alliances, etc. Une telle démarche évite cependant de remettre en question le système tel qu’il existe et part de l’hypothèse non dite qu’il faut d’abord apprendre avant de pouvoir prendre part. »
« Il importe, insiste-t-il, de remettre en question cette idée qu’il n’est possible de participer vraiment au politique que lorsqu’on maîtrise certaines compétences. Il faudrait plutôt, dès le plus jeune âge, apprendre à vivre l’égalité des pouvoirs et à pratiquer la démocratie participative dans le microcosme de la classe (qu’il conviendrait de nommer “collectif d’apprentissage”), puis, progressivement, dans des contextes plus larges. ». Et d’ajouter : « Il faudrait apprendre durant la scolarité à expérimenter et questionner les rapports de pouvoir ainsi que les processus de construction d’un commun à partir des individualités singulières, des intérêts divergents, des compétences différentes… » Parmi des démarches développées dans ce sens, en plus du projet Débora, Bernard Delvaux cite celles du réseau des écoles citoyennes (ecolecitoyenne.org) et de Jeune Et Citoyen, ex-Jeunesse étudiante chrétienne (jecasbl.be) (J.Bd.)
Michel LEGROS