Cachez ces poils ! Le destin d’une femme à barbe.

Cachez ces poils ! Le destin d’une femme à barbe.

Rosalie, le film de Stéphanie di Giusto, retrace l’histoire d’une femme qui, envers et contre tous, assume sa différence et impose sa liberté et sa rage de vivre.

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Publié le

31 mars 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Une femme avec une barbe tenant un livre

Rosalie est une femme pleine de charme. Elle a toutes les qualités : son visage est lumineux, elle sait lire, écrire, coudre et, en plus, elle est attentionnée. Et pourtant, son père a presque dû la vendre pour la marier. L’histoire, inspirée de faits réels, se passe en 1870 dans un petit village de France tenu d’une main de fer par Marcelin, le directeur de l’usine, qui donne du travail à tous les villageois. Abel est revenu de la guerre avec le dos en compote et fendu d’une vilaine cicatrice. Il est couvert de dettes et trouve, en épousant Rosalie, l’occasion d’en éponger une partie en profitant de sa dot de quinze mille francs. Grâce à elle, il pourra conserver son bistrot et continuer à l’exploiter. Pourtant, les affaires ne tournent pas très bien, Marcelin voyant d’un mauvais œil ses ouvriers fréquenter un débit de boissons. Alors, il occupe son temps libre à faire de la taxidermie pour les chasseurs de la région.

Ce n’est qu’au soir de ses noces qu’il découvre le secret de Rosalie. Elle est en effet atteinte d’hirsutisme, une maladie qui couvre son corps et son visage de poils et contre laquelle aucun remède n’a d’effet. Abel est sous le choc, consterné par la monstruosité de ce corps et du mensonge dont il est la dupe. « J’espérais que vous seriez différent des autres », lui dit-elle. « Et moi, que vous seriez comme les autres », lui rétorque-t-il. Il est bien là, l’enjeu du film : Abel sera-t-il capable d’aimer Rosalie, malgré sa différence ?

SENSIBLE ET ANIMALE

Stéphanie di Giusto, la réalisatrice, s’est inspirée de Clémentine Delait, une femme à barbe qui a défrayé la chronique à la fin du XIXe siècle. « Je savais qu’elle avait refusé de devenir un banal phénomène de foire et qu’elle avait, au contraire, voulu être dans la vie, avoir une vie de femme », explique-t-elle. Sans vouloir faire un biopic, elle s’est également inspirée d’autres femmes atteintes du même trouble et qui se retrouvaient exhibées comme des monstres de foire. Elle se met alors à rêver de la vie d’une de ces femmes, de creuser son drame intérieur et celui, aussi, de l’homme qui partagerait sa vie. Abel joue en effet un rôle capital pour la réalisatrice : « Rien n’aurait été possible sans le miracle de la présence de Benoît Magimel. C’est à travers le regard d’Abel que l’on capte l’émotion de Rosalie. Seul Benoît me semblait capable de cette incarnation à la fois sensible et animale, intérieure et physique. Il est dans l’émotion pure en permanence. »

Abel doit apprivoiser Rosalie parce qu’elle veut vivre sa vie de femme, sans continuer à se cacher. Au détour d’un pari avec Jean, un des clients du café, elle se laisse pousser la barbe et devient l’attraction de tout le village. L’endroit ne désemplit pas. Et comme elle se montre gentille et aimable avec chacune et chacun, le commerce refleurit et la joie revient dans cette morne vallée. Nadia Tereszkiewicz incarne ce personnage solaire qui déborde de vie. « Dans son rôle de catalyseur, Rosalie révèle à eux-mêmes tous ceux qui l’entourent. Son cheval de bataille, c’est la chance de vivre, envers et contre tous. » Alors qu’on lui intime de se cacher, elle assume sa différence et revendique une rage d’aimer. Et elle qui est si coquette, féminine et délicate, elle parvient à faire oublier sa monstrueuse anomalie. On se met à l’aimer et à lui trouver du charme. « Il s’agissait de filmer la peau, oser les poils, faire ressentir la sensualité des corps, là où on ne s’y attend pas, pour en faire surgir quelque chose de troublant, de vibrant et de beau, sortir des codes habituels de ce que l’on peut voir sur les écrans, des corps lisses devenus presque surréalistes. Je voulais que la caméra ait un contact de peau avec mon histoire. »

LIBRE ET DANGEREUSE

Mais ce corps étrange et désirable est loin de faire l’unanimité dans le village. Des forces de résistance, soutenues par le prêtre, se font de plus en plus entendre. On fait courir des rumeurs au sujet de Rosalie, le café est décrit comme un lieu de débauche et elle est vue comme une malédiction. Marcelin, le patron de l’usine joué par un Benjamin Biolay glaçant de froideur, dans sa vision très paternaliste de la société, se montre particulièrement cruel et injuste. « La liberté́ de Rosalie fera aussi son malheur. La liberté́ est toujours une menace pour ceux qui se l’interdisent. Au nom de la religion, de la morale, de la société́, de l’ordre bien sûr, de la guerre à venir inévitable. » 

Rosalie revendique en effet une liberté qu’aucune autre femme du village n’ose prendre. Elle tient tête aux hommes, assume qui elle est : « Les femmes qui créent autre chose que des enfants sont encore aujourd’hui considérées par beaucoup comme dangereuses. Rosalie ne rentre pas dans la norme, elle est donc forcément un potentiel danger pour la société. » Dans le microcosme qu’est ce petit village rassemblé autour de son usine, Rosalie se révèle unique à bien des égards. Femme de caractère, d’une grande intelligence et d’un sens relationnel aigu, elle ose aussi afficher sa sensualité de femme. La presse commence à s’intéresser à elle et elle laisse photographier son corps. 

SENSUALITÉ TROUBLANTE

Stéphanie di Giusto a su, dès les premiers essais, qu’elle avait trouvé en Nadia Tereszkiewicz l’actrice idéale. Il y a eu, explique-t-elle, une évidence charnelle. Même avec une barbe, elle dégage une sensualité troublante. Chaque matin, lors de longues séances de maquillage, chaque poil a été collé sur son corps. Le pari, amplement réussi, était de rendre naturel ce qui ne l’est pas, de faire oublier cette barbe pour ne plus voir que la beauté de Rosalie. Cependant, pour Abel qui voit sa femme lui échapper de plus en plus, cela reste un obstacle insurmontable, une torture quotidienne. Rosalie, qui parade chez lui avec sa barbe, cherche-t-elle à l’humilier ? Ce serait tout de même plus facile de l’aimer, si elle acceptait de se raser et de reprendre son apparence féminine. 

« Dans ce film, il est surtout question d’amour. Et aussi de la liberté d’accepter d’être soi, de se créer soi-même. Liberté que très peu s’octroient, sans doute conscients du prix à payer. Rosalie n’aspire rien tant qu’à être elle-même. Elle fait jaillir l’amour, comme un message ultime qui abrase la haine et la différence. » Oui, à condition qu’on la laisse faire…

Jean BAUWIN

Rosalie, film de Stéphanie di Giusto, en salles dès le 17/04.

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