« N’oublie pas les pauvres ! »
« N’oublie pas les pauvres ! »
Il est sans doute trop tôt pour faire un bilan du pontificat du pape François. On peut quand même en dégager les principaux éléments.
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Le pape François nous a quittés le matin du lundi de Pâques.
Au cours du conclave, le 13 mars 2013, alors que l’issue de la votation devenait évidente, le Cardinal Claudio Hummes, archevêque de São Paulo, soufflait à l’oreille de son ami Jorge Mario Bergoglio : « N’oublie pas les pauvres. » Le mot « pauvres » résonnait fortement dans le cœur du futur pape, évoquant la figure du poverello d’Assise. C’est alors que le nom de “François” s’est imposé à lui, comme il l’a expliqué aux cardinaux quelques jours plus tard.
Tout au long de son pontificat, non seulement les pauvres, mais tous ceux qui se trouvent, d’une façon ou d’une autre, à la périphérie ont été l’objet spécial de son attention pastorale. Plus d’une fois, il a visité les prisonniers de la prison romaine Regina Cœli et, dans ses derniers jours, il utilisait les forces qui lui restaient pour saluer les pèlerins dans la basilique Saint-Pierre. Il voulait une Église pauvre et pour les pauvres. Il a donc refusé d’habiter le palais apostolique, mais s’est installé à la maison Santa Marta, qui était un lieu d’accueil pour les évêques et cardinaux de passage à Rome. Cela lui permettait un contact constant plus immédiat avec ce qui se vivait dans l’Église.
UN ESPRIT DE DIALOGUE
Le soir de son élection, habillé d’une simple soutane blanche, il avait salué la foule assemblée sur la place Saint-Pierre avec un simple « sorelle e fratelli, buona sera » (frères et sœurs, bonsoir), et, expliquant qu’il leur demandait une faveur, il s’était incliné durant quinze secondes pour permettre à cette foule de prier pour lui et de le bénir. Le ton était donné d’un long pontificat qui allait être marqué par un bon nombre de gestes symboliques du même genre, mais surtout par une constante attention pastorale, toute faite de tendresse et de respect, à l’égard du peuple de Dieu confié à ses soins. Un dialogue était établi entre lui et ce peuple de Dieu, qui allait se poursuivre tout au long de son pontificat.
Dès le 13 avril 2013, il crée un groupe de huit cardinaux de plusieurs parties du monde pour le conseiller dans son gouvernement de l’Église universelle et aussi pour travailler à un projet de réforme de la Curie romaine déjà lancé par Jean-Paul II. Le 5 juillet, dans le même esprit de dialogue, il écrit, avec Benoît XVI, Lumen Fidei, où ils expriment leur vision commune de la foi, marquant ainsi la continuité dans la direction de l’Église.
CONSULTATION DES FIDÈLES
En octobre 2013, il convoque deux synodes sur l’enseignement de l’Église au sujet de la famille. Ces synodes seront tenus en 2014 et 2015. Leur préparation aura été d’un style tout à fait nouveau. Il demandera aux conférences épiscopales à travers le monde de consulter les fidèles sur leur opinion concernant l’enseignement de l’Église au sujet de la contraception, du mariage entre personnes du même sexe et du divorce.
La publication en 2016 d’Amoris Laetitia, sa réponse à ces deux synodes, manifestait clairement que l’exercice du leadership avait changé. Il y développait le thème de la Miséricorde divine : clé pour penser le couple et la famille. François s’est aussi engagé dans le dialogue de l’Église avec le monde musulman, visitant onze pays à majorité musulmane au cours de ses quarante-sept visites à l’étranger.
Le dialogue s’est aussi étendy à toute la création. Déjà en juin 2015, il avait publié Laudato Si, la première encyclique écrite de sa main, sur le soin de notre Maison commune, où il appelait à une action concertée pour combattre le changement climatique en cours. Ce thème de la Terre conçue comme notre Maison commune deviendra un élément important de sa pensée, de même que le concept nouveau d’écologie intégrale. Christiana Figueres, l’architecte des accords de Paris, déclarera en 2023 que la voix du pape François était l’une des plus fortes, sinon la plus forte actuellement dans le monde en ce qui concerne l’écologie et le changement climatique.
PREMIER VOYAGE À LAMPEDUSA
Son premier voyage hors de l’Italie avait été à Lampedusa, le 8 juillet 2013. Il avait choisi cette île, entre la Sicile et la Tunisie, où de nombreux migrants africains et arabes attendaient de poursuivre leur voyage vers un monde meilleur, pour parler de la mondialisation et de l’indifférence. En novembre 2016 paraissait l’encyclique Evangelii Gaudium où se trouvent réunis tous les grands thèmes de son pontificat. En octobre 2019, s’est tenu le synode sur le ministère de l’Église dans les neuf pays constituant l’Amazonie et finalement, en 2023 et 2024, les deux synodes sur la synodalité.
Une deuxième encyclique sociale, Fratelli tutti, parue en octobre 2020, sur le thème de l’amitié sociale, présente une nouvelle approche de la vocation universelle de l’Église. Il n’est plus question de conquête ou de reconquête. La mission de l’Église y est définie comme une façon d’habiter le monde et d’y manifester la présence de Dieu.
UNE NOUVELLE VISION DE LA CURIE ROMAINE
Cette vision renouvelée de la mission de l’Église nécessitait une nouvelle organisation de ses organes de service. En 2022, est parue la Constitution apostolique Praedicate Evangelium (Prêchez l’Évangile) sur la Curie romaine et son service à l’Église dans le monde. Désormais, n’importe quel fidèle, laïc ou clerc, homme ou femme, peut être à la tête d’un office du Vatican autrefois réservé aux évêques et cardinaux. C’est ainsi que sœur Simona Brambilla, des Missionnaires de la Consolata, sera nommée en janvier 2025 à la tête de la Congrégation pour les Instituts Religieux, première femme à la tête d’un dicastère romain. De même, depuis avril 2023, des laïcs, hommes ou femmes, peuvent être nommés comme membre du “synode des évêques” avec droit de vote.
Selon le père John O’Malley, jésuite, grand historien de Vatican II, des quatre papes depuis Vatican II, François est celui qui a le mieux perçu ce que le Concile voulait faire : ouvrir une période de dialogue. Au conclave de 1963 se posait la question : « Est-ce que Vatican II va continuer ? » La question qui se posera au prochain conclave, dans les semaines à venir, sera : « Le mouvement de réforme mis en marche par François va-t-il continuer ? » Le fait que, des cent trente-huit cardinaux qui éliront le nouveau pape, deux tiers ont été choisis par François aura sans doute un certain poids.
Armand VEILLEUX, Moine de l’abbaye de Scourmont (Chimay)