Benoît de Roubaix, forestier humain et urbain
Benoît de Roubaix, forestier humain et urbain
Cet homme-là initie des projets rassembleurs qui envisagent la vie sous des angles collectifs et coopératifs. Après avoir imaginé, il y a six ans, l’école Second’Air Singelijn, à Bruxelles, il a récemment mis en œuvre le projet SOWoods pour planter des forêts au cœur des villes.
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Benoit de Roubaix est une start-up d’idées à lui tout seul. Quelqu’un qui met tout en œuvre et réunit les personnes nécessaires pour qu’une idée qui a germé en lui puisse se développer. Sa dernière initiative en date est le projet SOWoods qui consiste à recréer des forêts primaires au cœur des villes. « C’est un concept imaginé et mis sur pied dans les années 70 au Japon par le professeur Miyawaki, explique-t-il. Il a découvert qu’en plantant des espèces indigènes très variées sur des petites superficies, on recrée rapidement des forêts primaires impénétrables telles qu’on les trouvait à l’origine. Les arbres de grandeurs différentes poussent très vite serrés les uns contre les autres dans une lutte vers la lumière. Cela les stimule à grandir en donnant en très peu de temps naissance à une riche biodiversité. »
VILLES PLUS VERTES
« Cette méthode de gestion forestière a fait ses preuves. Elle est pratiquée aux quatre coins de la planète. Elle permet de se protéger des conséquences du dérèglement climatique, comme les inondations, d’avoir un mur de protection sonore et aussi de rendre les villes plus vertes. L’homme a trop souvent planté des arbres de même espèce comme les hêtres en forêt de Soignes et les sapins bien rangés en Ardenne. Mais la nature ce n’est pas ça. Quand elle reprend ses droits, elle se met à pousser dans une diversité incroyable. »
L’originalité de la démarche de SOWoods est de transformer les habitants en explorateurs de leur lieu de vie, leur faisant découvrir les espèces qui poussent naturellement dans le moindre espace de terre à deux pas de chez eux. L’association fournit alors graines et jeunes pousses et offre son expertise pour que chacun puisse devenir planteur de sa propre forêt, qu’il respectera pour l’avoir fait naître. « Nous voulons que les gens – habitants d’un quartier, élèves des écoles toutes proches – mettent les mains à la terre et plantent “leurs arbres”, raconte le forestier urbain. Cela deviendra ainsi leur forêt tout en étant aussi celle de tous et de nos enfants. C’est un geste pour l’avenir. Déjà au bout de deux ans, on peut voir ainsi des forêts devenues des poumons verts au cœur de la ville. » Ainsi, à une centaine de mètres de la sortie de la station de métro Belgica, à Bruxelles, pousse déjà l’un de ces lieux magiques composé d’essences d’arbres qui s’épanouissent naturellement, relayé par la commune de Jette avec la participation enthousiaste des enfants d’écoles primaires.
SCOLARITÉ LABORIEUSE
Si quelques forêts de ce type commencent à s’épanouir en Belgique, l’une d’entre elles lui tient particulièrement à cœur : celle qui se développe autour de l’école Second’Air Singelijn, à deux pas du site de la RTBF. Car, de cet établissement dont il parle avec ferveur, Benoît de Roubaix a été l’initiateur, comme pour “rattraper” un parcours scolaire douloureusement chaotique. « Tout ce que j’ai entrepris et la manière de le faire, avance-t-il, je ne le tiens pas de ma famille, mais plutôt de mon parcours scolaire qui a été assez laborieux et pénible. Je n’étais pas du tout heureux dans le collège réputé, traditionnel et catholique qui m’avait été désigné. C’était celui de mon père, de ses frères. Et il ne m’a pas du tout convenu. »
Il redouble, multiplie les examens de passage, n’obtient aucun diplôme au bout d’une scolarité qui l’amène à suivre (de loin) des études d’ingénieur commercial. « Je ratais mes études, mais je bossais comme un dingue pour pouvoir manger et vivre. C’était pour moi très formateur. » Si l’école est, pour lui, un calvaire, il réussit à gagner sa vie avec des expériences diverses. Jusqu’à être le premier engagé dans la filiale Moët Hennessy par le groupe LVMH pour la Belgique. « Sans aucun diplôme, sinon celui de rhéto. Cela m’a vraiment redonné confiance en moi. »
Pour ce “cassé de l’école”, il était important d’offrir à ses propres enfants un établissement où ils pourraient vraiment s’épanouir. Il les inscrit donc dans un lieu à pédagogie active, l’école Singelijn à Woluwe-Saint-Lambert. « Dans ce type d’endroit, l’enfant est acteur de son enseignement. Cela rejoint vraiment une sensibilité chez moi et quelque chose auquel je crois. Nous sommes huit milliards d’habitants sur terre, tous différents, et c’est là notre force. L’enseignement traditionnel a toujours stigmatisé les faiblesses et les échecs. Or chacun réalise des choses extraordinaires que l’autre souvent ne sait pas faire. À deux on fait plus qu’un plus un, à deux ont est alors trois. Si on disait : “Toi tu vas faire ce dans quoi tu es fort”, on pourrait alors retirer le meilleur de chacun. Quand on est fort dans quelque chose, on aime faire ce qu’on fait. Du coup, on est fier de ce qu’on est et tout ce qu’on va entreprendre, on va voudra bien le faire. »
RÉALISER SES RÊVES
Comme l’école où sont scolarisés ses enfants ne va pas au-delà du primaire, qu’à cela tienne, avec quelques familles, il crée Second’Air Singelijn d’où viennent de sortir cette année, après six ans d’existence, les premières rhétos. « Il suffisait de réunir quelques parents intéressés. Chacun a pris une responsabilité en fonction de ses expertises et, en un an et demi, on mettait cette école secondaire sur pied. Entre nous, il n’y avait aucune hiérarchie, aucun contrôle. Chacun s’investissait parce que cela correspondait à l’idéal qui le portait. Tous, nous nous sommes concentrés sur ce que l’on avait à faire dans le domaine de nos compétences. Il y avait une maman à la communication, une autre plus spécialisée en pédagogie. Quelqu’un qui s’occupait de la partie juridique, un autre qui coordonnait le tout en mettant chacun en lien avec les autres. De mon côté, j’apportais mon expertise acquise dans le secteur de l’immobilier, dans l’achat et la vente et la rénovation de bâtiments. »
Et d’ajouter, dans un grand sourire : « Je crois que la création de cette école a été thérapeutique pour moi. J’ai réalisé ce dont je rêvais à l’époque de ma scolarité. » Les élèves de Second’air Singelijn, qui ont grandi ensemble au cœur de la ville, témoignent, par la création et l’entretien de la forêt qui entoure le bâtiment, combien les humains et les arbres sont faits du même bois et ont besoin de temps et d’attention pour pouvoir prendre leur juste place au cœur de leur vie, et de la ville.
Benoît de Roubaix sait, pour l’avoir vécu, que le processus pour devenir “quelqu’un” est lent et profond. « Comme pour les arbres, il faut être bien ancré dans le sol. » Dans sa tête poussent tant de projets pour lesquels il continue à mettre des personnes ensemble. Par exemple, accueillir les réfugiés, « quelque chose qui nous attend dans l’urgence et qui est liée au climat qui déraille ». Ou créer une “Haute École de la Vie” où les jeunes en difficulté pourraient découvrir « quelles sont leurs vraies forces qui les feront briller et qui vont les épanouir. »
Christian MERVEILLE