Et c’est ça l’Evangile!
Et c’est ça l’Evangile!
Dès les premiers mots, Luc entraîne son public dans un récit populaire particulièrement contrasté. Une pièce en deux actes avec, face à face, deux personnages qui ne se parlent pas.
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D’un côté, l’homme sans nom, un riche « vêtu de pourpre et de lin fin » comme un haut magistrat romain. Il n’existe que par sa richesse. Il se réduit à ses festins. Il est au ciel. De l’autre, un homme pauvre, mais il porte un nom, Lazare, et c’est tout un programme : El’azar, celui que Dieu aide. Pas pour l’instant puisqu’il est couché, couvert d’ulcères, devant la porte du riche. Il est en enfer.
À la levée du rideau, en début de deuxième acte, le décor a complètement changé. Mort et enterré, le riche se retrouve dans les douleurs du séjour des morts. Mort et pas enterré, le pauvre est emporté par les anges auprès d’Abraham. Le riche meurt de soif et mendie un peu d’eau. Impossible, répond Abraham, le gouffre est trop immense « entre vous et nous ».
UN ENJEU COLLECTIF
Dans cette parabole d’une rare dureté, la correspondance est parfaite entre les deux actes. Un grand abîme séparait, sur terre, le riche et le pauvre ; le même abîme – inversé – les séparera dans l’au-delà. Pas une miette ne venait atténuer la faim du pauvre, pas une goutte n’atténuera la soif du riche. Et c’est ça l’Évangile ! Le simplisme ! La vengeance ! Sans la moindre échappatoire. Alors que, pourtant, le riche commence à ouvrir les yeux. Ce début de conversion ne méritait-il pas un peu de compassion ?
On devine que, derrière ces deux personnages de l’histoire, se cache un enjeu plus collectif, que les deux hommes sont deux groupes, et que Jésus pose déjà, à sa manière, la question sociale. Peu nombreux, mais très organisés, “les riches” forment une classe dominante et vivent dans un luxe provocant. En face d’eux, beaucoup de traîne-la-rue en difficulté. Les Lazares se rencontraient partout dans le pays. Jésus (de la “classe moyenne” ?) invite ses disciples à choisir clairement la solidarité avec “les petits”.
PRÉVENIR, VITE !
Réduire la parabole du riche et du pauvre Lazare à la seule question de la consolation/condamnation dans l’au-delà ne ferait pas justice au problème posé par la jeune communauté chrétienne au moment où elle s’élargit. Une affaire très sensible chez Luc : si nous sommes ouverts à tous, un riche peut-il entrer dans la communauté ? À mesurer la réaction de Jésus après le départ du “jeune homme riche”, on peut répondre : oui, mais ils auront du mal, « car il est plus facile à un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille qu’à un riche de pénétrer dans le royaume de Dieu » (Luc 18,24-25).
Reste à regarder l’insistance du riche auprès d’Abraham en toute fin de parabole, à propos de l’avertissement aux cinq frères, car c’est peut-être là qu’il faut situer la pointe du récit. Cinq est un chiffre parfait. Il indique une totalité. C’est donc “tout le peuple” qu’il faut prévenir, l’ensemble des gens enfermés dans leurs richesses ou… leurs certitudes. Comment les réveiller ? Ne faudrait-il pas un événement un peu sensationnel ? Chercher du côté des sciences occultes ? Un revenant par exemple.
« Si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront », pense le pauvre riche… Mais non ! réplique Abraham. Pas de miracle. Pas d’apparition. Inutile de faire tourner les tables… Écouter, oui, accueillir « Moïse et les prophètes ». Richesse de la pauvreté, seule l’ouverture de la Parole permettra – peut-être – de franchir l’abîme « entre vous et nous ».
Gabriel RINGLET