Intérêts, capital et démocratie
Intérêts, capital et démocratie
Dans un pays aussi complexe et divisé que la Belgique, où les décisions politiques sont quasi toujours le fruit de consensus et de coalitions, un parti peut-il, à lui seul, revendiquer être la voix de toute une communauté ?Alors que nous avions choisi de poser la question dans ce numéro à propos de ce qui…
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Dans un pays aussi complexe et divisé que la Belgique, où les décisions politiques sont quasi toujours le fruit de consensus et de coalitions, un parti peut-il, à lui seul, revendiquer être la voix de toute une communauté ?
Alors que nous avions choisi de poser la question dans ce numéro à propos de ce qui se passe depuis des mois en Flandre (voir pp. 6-7), voilà que l’interrogation touche aussi désormais le sud du pays. En effet, si elle se met en place, la coalition « suédoise » portera au gouvernement fédéral des représentants de trois partis du Nord, qui représentent une large majorité des électeurs de cette partie du pays, et d’un seul parti du Sud, qui est loin, à lui seul, d’incarner 50,001% des votants de la communauté dont il est issu.
Dans la Constitution et les coutumes de formation des gouvernements, rien ne s’op- pose à cette situation. Mais ce n’est pas un hasard si la loi fondamentale belge décrète notamment que le gouvernement doit compter autant de ministres francophones que néerlandophones. Lorsqu’il a été pensé, cet article laissait bien supposer que le gouvernement devait être, dans chaque communauté, l’émanation de l’expression politique d’une partie appréciable des électeurs.
« Le gouvernement sortant avait déjà failli à cette habitude », fait-on souvent remarquer, en utilisant le cas d’espèce d’hier pour justifier ce qui pourrait se produire aujourd’hui. L’affirmation n’est pas inexacte, mais les contextes et les rapports de force sont toute- fois fort différents.
En 2010, un gouvernement où les partis du Nord du pays ne représentaient pas la majorité des électeurs avait été mis sur pied après 541 jours de crise. Cette fois, nous ne sommes qu’au lendemain du scrutin. Et, surtout, le différentiel entre l’expression majoritaire et le poids des partis n’est pas comparable. En 2011, les trois partis fla- mands qui avaient accepté d’entrer dans le gouvernement fédéral représentaient 49% des sièges attribués à la Flandre à la Chambre des représentants, et environ 47% des suffrages exprimés en Flandre (un calcul précis n’est pas possible en fonction du grand nombre de petits partis et de listes bilingues).
Les trois formations politiques n’étaient donc pas l’expression d’une majorité, mais d’un fifrelin.
Si la majorité « suédoise » voit le jour en 2014, le seul parti francophone qui y prendra part ne représentera que 32% des sièges francophones à la Chambre et environ 26% des votants du Sud.
Alors que des décisions importantes doivent être prises pour l’avenir socio-économique du pays, cette disparité est plus que problématique. Elle remet en cause la notion même de démocratie au sens où on la vit en Belgique depuis 55 ans, c’est-à-dire depuis que le pays n’a cessé d’être dirigé par des gouvernements de coalition. Dans cette affaire, les intérêts propres des partis et du personnel politique semblent prévaloir sur ceux de la population.
Frédéric Antoine