Marcher pour de vrai.
On les savait connecteÌ s, en partage permanent de leurs vies, de leurs expeÌ riences et de leurs eÌ tats d’aÌ‚me. On les savait aussi hypersensibles, aÌ€ fleur de peau et, peut-eÌ‚tre aÌ€ cause de cela, eÌ minemment fragiles. Ce qui explique que, dans la plupart des cas, ils se retrouvent surproteÌ geÌ s par leur entourage. « De mon temps, les jeunes prenaient des risques. On les laissait faire », entend-on dire les « vieux », ceux qui eÌ taient jeunes dans les anneÌ es 60-70. « Aujourd’hui, on les entoure aÌ€ tout bout de champ, on les accompagne partout, comme s’il ne savaient pas eÌ‚tre auto- nomes et plonger eux-meÌ‚mes dans la –˜vraie–˜ vie. Ils n’osent plus. »
Et voilaÌ€ que cette jeunesse, prunelle des yeux de ses parents aussi deÌ licate que de la porcelaine, se met aÌ€ oser. Pas en s’envoyant des messages et des emojis sur Whatsapp ou des selflies sur Snapchat, mais en sortant dans la rue. Et en deÌ sertant consciemment l’eÌ cole. On la croyait plutoÌ‚t prudente et recluse. On pensait qu’elle recourait aux meÌ dias virtuels pour se baÌ‚tir un rempart lui eÌ vitant au maximum toute ren- contre reÌ elle. Erreur.
Non seulement les jeunes sortent, se reÌ unissent, mais deÌ sobeÌ issent et s’unissent. Pour revendiquer ensemble. Pas en one-shot, mais toutes les semaines, le meÌ‚me jour, aux meÌ‚mes heures, en creÌ ant ainsi de nouveaux rites et en donnant jour aÌ€ un rituel reÌ imagineÌ de l’art de manifester. Une manieÌ€re de mobiliser et de chercher aÌ€ faire bouger, sans casse ni violence. En reÌ‚vant d’obtenir, pacifiquement, une reÌ volution totale des politiques climatiques.
Si les jeunes se retrouvent dans les rues, c’est sans doute aussi parce qu’ils ont alors l’impression d’eÌ‚tre reÌ ellement actifs, et donc d’agir, sur le terrain, dans une communion concreÌ€te, tangible. Liker un post sur un reÌ seau social, c’est certes s’exprimer. Mais sans dire grand-chose. Signer une peÌ tition en ligne en- gage un peu plus. Battre le paveÌ tous les jeudis, c’est autre chose. Surtout si on n’est pas seul aÌ€ le faire, mais que l’on y retrouve des milliers d’autres, aÌ€ la fois semblables aÌ€ soi, tout en eÌ tant tellement diffeÌ rents.
Pour une geÌ neÌ ration ouÌ€ la recherche du meÌ‚me, de l’identique aÌ€ soi, est beaucoup plus courante que la queÌ‚te aÌ€ la deÌ couverte de l’autre et des autres, manifester ensemble, dans un but commun, permet l’expeÌ rience de l’alteÌ riteÌ . Et donc de ce qui fait la richesse du monde.
Leur peur devant le climat que risque de leur laisser la geÌ neÌ ration de leurs eÌ goïstes geÌ niteurs les a forceÌ s aÌ€ deÌ passer leurs habitudes, et aÌ€ passer aÌ€ l’action. AÌ€ sortir du confort, ouÌ€ ils paraissent si souvent se confiner, pour enfiler cet habit de manifestant dont bon nombre ignoraient sans doute jusqu’aÌ€ l’existence.
En Belgique, comme L’appel l’a raconteÌ dans son numeÌ ro de janvier dernier, les marches pour le climat sont petit aÌ€ petit entreÌ es dans la culture de la socieÌ teÌ , ce qui n’est pas le cas partout (et notamment chez nos voisins français). Mais il y a un abiÌ‚me entre les jeunes qui deÌ filent le jeudi et les familles qui marchent certains dimanches. La vraie reÌ volution vient de ces colleÌ giens, colleÌ giennes, lyceÌ ens et lyceÌ ennes, qui l’ont creÌ eÌ e et qui la portent. Ce n’est sans doute pas aÌ€ l’eÌ chelon de la petite Belgique que peut se deÌ cider l’avenir climatique du monde. Mais ce qu’annonce cette prise en main de leur avenir par la jeune geÌ neÌ ration n’est, elle, pas une question de dimensions de pays et de grandeur de territoires.
Frédéric ANTOINE
Rédacteur en chef