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Edito

Partir pour fuir.

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Depuis quand n’avons-nous pas eu autant envie de partir ? Partir pour bouger, arreÌ‚ter de danser sur place et de tourner en rond. Mais aussi partir pour un peu fuir. Pour laisser, ne serait-ce qu’un temps, derrieÌ€re soi tout ce que nous avons accumuleÌ comme frustrations au cours des quinze derniers mois. Et que, souvent, nous avons duÌ‚ retenir en nous, ou que nous nous sommes efforceÌ s de "confiner– dans notre esprit pour que notre mal-eÌ‚tre, nos peurs, nos deÌ ceptions ou nos rancoeurs n’en viennent pas aÌ€ polluer la vie des autres. Et dont l’esprit a, eÌ videmment, veÌ cu le meÌ‚me cheminement que le noÌ‚tre.

Une envie de partir, donc aussi pour nous libeÌ rer. Pour expirer de notre aÌ‚me empoussieÌ reÌ e tout ce que nous avons veÌ cu (ou non veÌ cu) depuis la pandeÌ mie. AÌ€ l’instar de l’aspirateur dont le voyant indique que le sac est plein, qui n’a pas ressenti qu’il s’allumait aussi au fond de lui un petit clignotant annonçant que la coupe serait bientoÌ‚t pleine ?

Nous avons ainsi aussi soif de partir pour nous vider. Pour qu’enfin puisse disparaiÌ‚tre de notre treÌ fonds la sensation de "plein– qui nous a peut-eÌ‚tre assailli ces derniers temps, avec les risques de trop-plein et de deÌ bordement qui lui sont associeÌ s.

Nous reÌ‚vons de pouvoir aÌ€ nouveau gratifier notre corps d’espace, et meÌ‚me peut-eÌ‚tre de vide. Comme une maison aÌ€ la veille d’un deÌ meÌ nagement, ouÌ€ l’absence de meubles modifie les sons et la reÌ sonance des voix sur les murs. Nous aspirons aÌ€ ce que notre esprit puisse aÌ€ nouveau entendre autrement, sans eÌ‚tre assailli par des nouvelles catastrophiques ou
deÌ sespeÌ rantes. ArreÌ‚ter de devoir se dire que demain ne sera pas mieux qu’hier. Ne plus reÌ‚ver toutes les nuits que le train dans lequel nous avons embarqueÌ a peÌ neÌ treÌ dans un tunnel sans lumieÌ€re, dont le bout, de jour en jour, semble repousseÌ .

Cette soif de partir qui nous eÌ treint est-elle autre que celle de pouvoir enfin vivre ? Qui n’a pas une fois dans sa vie envisageÌ un deÌ part, afin de revivre ? Et qui n’est jamais "parti– , n’a pas changeÌ de cap, afin de continuer aÌ€ nourrir de sens son existence ?

Dans l’immeÌ diat, partir nous permettra de changer d’air. Ponctuellement, pour un temps court. Mais insuffisamment long pour que ce bol d’un autre oxygeÌ€ne nous reÌ geÌ neÌ€re aÌ€ satieÌ teÌ . Cet eÌ teÌ , nous allons vivre le partir de l’urgence. Celui qui va nous permettre de ne pas tout casser. Ou nous casser.

Les vacances finies, nous reviendrons. Pour nous re- trouver comme avant ? Dans ce numeÌ ro, l’auteure ValeÌ rie Cohen, inviteÌ e de notre rubrique "ReÌ agir– pose la question. Sa reÌ ponse meÌ rite d’eÌ‚tre lue. Si nous retournons un jour aÌ€ une existence "normale– , avons-nous vraiment envie de recopier demain le monde d’hier ? La crise n’a-t-elle pas aussi entrouvert des portes vers un "autre chose– ? ApreÌ€s un tremblement de terre et ses reÌ pliques, un paysage n’est jamais plus pareil. Bien suÌ‚r, il ne s’agit pas de penser ce monde-laÌ€ comme une reÌ plique actualiseÌ e du 1984 de George Orwell. Mais trop de choses nouvelles se sont imposeÌ es en si peu de temps pour que notre eÌ‚tre au monde n’en soit pas affecteÌ . Ce processus est deÌ jaÌ€ en marche. Il est temps que nous en prenions conscience, pour deÌ cider de quoi l’avenir sera fait. Afin de ne plus devoir partir pour fuir.

Bonnes vacances.

Frédéric ANTOINE

Mot(s)-clé(s) : L’édito
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