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Edito

TRANCHÉ COMME UN PAIN...

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Et vous ? Que ferez-vous le 20 novembre prochain ? Serez-vous devant votre écran, en fidèle supporter de la grande messe du football, alors que s’ouvrira la Coupe du Monde au Qatar, qui durera un mois ? Ou serez –“vous plutà´t "boycott– pour exprimer votre point de vue face au pouvoir de l’argent et à la démesure de ces stades climatisés ?

Et vous ? Êtes-vous plutà´t en faveur du plan Good Move à Bruxelles, qui est censé réduire le flot de voitures ? Ou pensez-vous que c’est encore pire qu’avant ?

Estimez-vous qu’il faille déboulonner certaines oeuvres d’art qui statufient des personnages historiques parce qu’ils sont liés à des pages peu glorieuses du colonialisme ? Ou, au contraire, faut-il faire parler l’histoire et contextualiser leurs idées dans leur époque ?

Et les nouveaux rythmes scolaires ? Et le jet de soupe aux tomates sur une oeuvre de Van Gogh ? Et l’arrêt des centrales nucléaires ? Et...

Pour ou contre ? Favorable ou pas ? Noir ou blanc ? Les réseaux sociaux invitent constamment à se positionner, à devoir parfois esquiver les invectives et les injures. À de- voir prendre parti et à devoir choisir un camp ! Honte aux "mous– qui ne s’y retrouvent pas dans ces choix binaires. Car un avis, cela doit être bien tranché, comme un pain. En quelques lignes, un avis peut être balancé, contesté, lapidé, ... L’argumentation laisse souvent place à l’incantation ou à la provocation.

Sans dénier la gravité ou l’importance des enjeux parfois mis en évidence, nombreux sont ceux qui ressentent un malaise dans ce jeu binaire, qui peut parfois tourner à l’affrontement violent. Les clics et claques pleuvent. Certes, le débat démocratique ne se résume pas à ces joutes numériques. Certes, les clivages et les divergences ont toujours existé. Gages de pluralisme et de diversité, ils peuvent toutefois constituer de possibles points de fractures dans une société. Ce qui est nouveau, ce sont sans doute les formes de langage que ces réseaux sociaux induisent et la rapidité de la dissémination des messages. Et lorsque les followers et les likers accélèrent et amplifient le mouvement, il est utile de rappeler que ce qui est répétitif n’est pas nécessairement représentatif.

Un autre glissement amplifié est sans aucun doute que ce qui prime aujourd’hui n’est pas l’idée, mais le messager. Ainsi, on ne juge pas le message en lui-même, mais d’abord son émetteur. Ainsi une idée, fusse-t-elle intéressante sera rejetée au nom du mépris de celui qui la formule...

Dans ce brouhaha incessant, il n’est pas facile de faire le tri des informations.

Dans ce numéro de L’appel, les réflexions de Serge Tisseron ou de Daniel Cohen invitent à discerner et analyser ces évolutions. Le premier tisse un fil cohérent entre déni, vérité alternative et complotisme. Il montre com- ment l’entre-soi et l’individualisme sont des obstacles à l’acceptation de l’altérité, et donc du débat. De son cà´té, Cohen met en avant le risque de déliaison sociale, alors que le rêve numérique imaginait une société de l’horizontalité, sans verticalité ni corps intermédiaires. Ici aussi, le rêve doit être nuancé : dans son baromètre de l’inclusion numérique, la Fondation Roi Baudouin estime qu’en Belgique, un citoyen sur deux est en situation de vulnérabilité numérique. Notamment avec l’accroissement des services en ligne où les personnes à faible revenu ou à faible niveau de diplà´me sont davantage exclues.

Tiens, encore une question à trancher : la possibilité offerte à chacun de gazouiller, de poster ou transférer des messages sur les réseaux sociaux ne peut-elle pas aussi être une formidable occasion de renforcer la liberté d’ex- pression et de consolider notre démocratie ?

Bon, je vous laisse trancher. Je n’ose pas me prononcer !

Stephan GRAWEZ

Rédacteur en chef adjoint.

Mot(s)-clé(s) : L’édito
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