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Edito

SE RETIRER DU MONDE

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« Je vais me construire une maison et aller m’y réfugier avec mes amis et regarder le monde brûler. » C’est ainsi que, en juillet dernier, le réalisateur de cinéma canadien Xavier Dolan annonçait, dans un journal espagnol, qu’il quittait l’univers du septième Art. « Je renonce au cinéma et à la réalisation, expli- quait-il. Je réfléchis à ce en quoi consiste mon travail et je me vois écrire, filmer, monter, être en postproduction... Et puis parcourir le monde en parlant de ce que j’ai tourné, monté et postproduit. On fait comme si on avait tout le temps du monde, mais s’il y a bien une chose qu’on n’a pas, c’est du temps. » Et il ajou- tait : « Je ne comprends pas à quoi ça sert d’insister pour raconter des histoires quand tout s’effondre autour de soi. L’art est inutile et se consacrer au cinéma est une perte de temps. »

Suite au tsunami de réactions que ces déclarations ont suscité non seulement dans le petit monde des arts et du cinéma mais aussi dans pas mal de cercles de la société, Xavier Dolan est intervenu pour nuancer les choses, dire que les phrases avaient été retirées de leur contexte et qu’il continuerait à travailler dans l’audiovisuel. Mais il n’a pas remis en cause l’essentiel de son message : devant un monde qui prend feu, choisir de s’en retirer avec ses amis pour le voir brûler de loin.

Le cas de Xavier Dolan n’est pas unique. Les médias annoncent de plus en plus souvent, ces derniers temps, que des personnages connus ont choisi de se retirer du secteur où ils exerçaient leur profession pour se replier sur quelque chose de plus concret. Ou pour tout arrêter. En France, l’actrice Adèle Haenel a déclaré dans une lettre ouverte quitter le cinéma qu’elle trouve « léger » alors que « la biodiversité s’effondre, que la militarisation de l’Europe s’emballe, que la faim et la misère ne cessent de se répandre ». En Belgique, le réalisateur Bouli Lanners, « ravi d’avoir tenu le coup et d’être arrivé à ce que je suis aujourd’hui », vient d’annoncer qu’il arrêtait tout et se repliait avec son épouse sur un théâtre de marionnettes.

S’ils sont emblématiques, et montés en épingle car concernant des personnages connus, les cas évo- qués ici sont loin d’être réservés aux people . Depuis la fin des confinements liés au covid, on ne compte plus le nombre de personnes qui ont choisi de tirer un trait sur la vie trépidante qu’elles menaient, souvent dans des grandes villes. Et qui se retirent avec leur famille loin de tout, au fin fond d’une campagne où elles n’espèrent pas tant refaire leur vie que se dis- tancer d’un monde qui s’effrite avant, peut-être, de s’effondrer.

Individuellement, ces choix sont tout à fait respectables. Ils procurent sûrement à celles et ceux qui les opèrent un retour à la quiétude, au bien-être et au bonheur. Le meilleur moyen de réconcilier le corps et l’âme. Depuis la nuit des temps, les ermites, que l’on admire de plus en plus, n’ont-ils pas fait les mêmes choix, pour garder ou soigner leur équilibre personnel ?

Mais, socialement, ne peut-on se demander si fuir le monde pour le laisser se déliter loin de soi et, bien à l’abri, le regarder se détruire fait partie des missions de l’Humanité et des “valeurs humaines” ? Que reste- t-il alors de la solidarité, ce « sentiment de responsabilité et de fraternité entre tous les êtres humains », comme le définit notamment l’association française Graine de paix ?

Sans doute faut-il allier les deux. Trouver les moyens qui nous permettent de nous épanouir personnellement. Mais ne pas perdre de vue que, dans l’immense grande Arche que constitue le monde, nous ne sommes pas seuls. Mais tous embarqués dans le même bateau...

Frédéric ANTOINE,

Rédacteur en chef

Mot(s)-clé(s) : L’édito
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