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Handicap et travail dans l’Horeca - BIENVENUE AU CAFÉ JOYEUX !

Comme une dizaine d’autres « équipiers », Brieuc fait partie des serveurs d’un style particulier au Café Joyeux. Ce projet - à peine ouvert à Woluwé St Lambert - fait le pari de l’intégration des personnes handicapées. Au comptoir ou en salle, ils font l’admiration de l’initiatrice du projet en Belgique : Sophie de Beauregard.

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« Notre projet est de pouvoir mettre en valeur les personnes en situation de handicap mental ou cognitif et de pouvoir montrer à la société que nous sommes une vraie entreprise, entame d’emblée Sophie de Beauregard. Le Café Joyeux [1] , c’est permettre à ces personnes - que l’on appelle chez nous les équipiers - de trouver un vrai travail. Il est important pour nous de démontrer que l’on peut être une entreprise comme les autres et que l’on peut accueillir des jeunes exclus habituellement du monde du travail  ». En alliant et assumant nettement la dualité à la fois économique et sociale de leur projet, les initiateurs ont choisi le modèle de développement de leur activité : « Nous devons aussi être rentables et nous ne sommes pas une Entreprise de Travail Adapté (ETA). »

Et le modèle séduit. « J’ai vu en 2017 un petit reportage télé qui racontait comment le projet était né en France à Rennes grâce à Yann Bucaille et à son épouse. Je rêvais d’amener cette idée dans mon pays. En France, il y a aujourd’hui aussi trois Café Joyeux à Paris (dont un provisoire aux Champs Élysées), un à Lyon, à Bordeaux, à Tour. Même Lisbonne s’y est mis. Et aujourd’hui : Woluwé St Lambert » s’enthousiasme Sophie de Beauregard.
Comme dans le monde des affaires, le concept est une franchise. « Nous avons tous été bénévoles pour monter le projet. Petit à petit différents profils nous ont rejoints, pour aujourd’hui compter neuf membres de l’équipe de pilotage. Notre force réside dans nos horizons multiples  ». Et en adoptant un modèle de développement basé sur l’économique, il est indéniable que cela parle aux sponsors et mécènes sollicités.

LA FORCE DE NOS BRAS

Si on lui demande comment on monte un tel projet, Sophie de Beauregard sourit : « À la force de nos bras ! On recherche des mécènes privés et des donateurs. Nous avons pu restaurer l’entièreté du bâtiment de la rue Voot grâce aux dons privés. Il hébergeait précédemment le restaurant Le Guignol. Une profonde rénovation a cependant été nécessaire. »
Idéalement situé en face de la Place St Lambert, le Café Joyeux a pourtant failli naître à Kraainem en juin 2020. Mais le projet n’a pas été poursuivi. Sur les rives de la Woluwe, l’accueil a été plus franc. « Nous avons été voir le bourgmestre pour lui dire notre intérêt pour l’ancien Guignol et que nous étions d’accord de le rénover vu sa situation formidable. Le montage a pu se faire : la brasserie Inbev dispose d’une emphytéote et le loue à la commune. Et nous sous-louons à Inbev. »

L’absence de terrasse a vite été surmontée. La commune a d’abord proposé un espace sur la place St Lambert. Seulement le danger encouru par les équipiers obligés de traverser la rue Voot aurait été trop grand. « Comme alternative, nous avons proposé à la commune de fermer le dernier petit morceau de la rue Vandenhoven qui fait le coin avec notre maison. Rapidement, nous recevions les accords de fermeture de la rue. Le café sur l’autre coin en bénéficiera aussi. Ce soutien fait du bien se réjouit la Présidente. En Belgique, dès qu’un rayon de soleil s’annonce, les Belges sortent en terrasse. »

DES ADAPTATIONS

L’année 2021 aura donc été décisive pour le projet belge. Après sa relocalisation, les discussions avec le groupe français Café Joyeux ont abouti, en juin 2021, à la signature d’une franchise. Cet accord implique notamment que toute la décoration à l’intérieur soit scrupuleusement respectueuse des décisions de Paris. « C’est ce qui fait l’unité du projet. C’est comme un Mac Do, le concept est le même à New-York qu’à Paris. Seules les références culturelles nous sont propres ! On a des frites et eux pas » sourit la Présidente. En même temps, le respect des termes de la franchise autorise tout de même une approche locale... « La touche belge est là  : par exemple, le menu n’est pas tout à fait le même. En France, les Cafés Joyeux sont plus situés dans des lieux de passage, des endroits où il y beaucoup de pièces à emporter ou quoi que ce soit. Nous, nous sommes plutà´t un lieu de destination. Nous ouvrons aussi les vendredi et samedi soir. Ces jours-là on fait de vrais repas, car cela s’adapte au public.  »

Une déco qui identifie le projet
© Stephan GRAWEZ

Cette constante capacité d’ajustement, l’équipe devra aussi y faire face cà´té horaires. « On veut respecter les équipiers et prendre son temps et adapter le projet. Tous les Cafés Joyeux démarrent par un soft opening. C’est-à -dire que nous avons fait une ouverture test depuis le 23 juin 2022. Pendant cette période, on a varié les ouvertures, s’il y avait un problème on a fermé ... On se sent très libres d’adapter le projet au handicap. Dès septembre, les ouvertures seront plus fixes : du mercredi au dimanche, avec ouverture en soirée les vendredi et samedi. D’autres soirées seront possibles sur réservations privatives, par exemple pour des événements d’entreprises ou d’associations. ». Aux étages, deux salles sont disponibles à la location.

LE CHALLENGE DU RECRUTEMENT

Pour faire tourner l’entreprise, les équipiers sont donc au coeur du dispositif. « Le recrutement de ces personnes en situation de handicap a été un vrai challenge. Cela débouche sur un vrai contrat de travail. Nous n’avons pas eu besoin de mettre des offres d’emploi. Dès que le projet a commencé à émerger, j’ai eu de nombreux appels. Après les entretiens d’embauche, certains candidats n’ont pas été repris. C’était une vraie sélection » estime Sophie de Beauregard. Aujourd’hui, onze personnes travaillent depuis juin 2022. Le projet est de réévaluer en septembre, après la période de soft opening. « On verra si certains souhaitent élargir leur horaire, selon leurs talents ou la quantité d’heures qu’ils peuvent travailler. Ils ont tous un contrat de travail très différent. Il n’y en a aucun qui a un contrat de type occupationnel : comme une seule après-midi par exemple. Certains ont des temps de travail plus étoffés que d’autres, selon leurs capacités. Mais un nouveau recrutement pourrait être en perspective » conclut-elle.

Même si cela reste difficile de sélectionner des candidats atypiques, la volonté de respect est bien ancrée. On évalue des personnes fragiles avec certaines compétences. La dextérité est certainement une exigence. Mais le fait d’avoir une dyspraxie n’est pas un critère d’exclusion. Un autre critère est la disponibilité. « Pour pouvoir travailler dans l’Horeca, il faut avoir la capacité de le faire le week-end ou en soirée. Cela peut engendrer des difficultés selon le lieu où l’on habite. En revanche, avant tout, il faut de la motivation. Mais il est vrai que certains candidats ont été recalés. Comme ce jeune qui avait des difficultés très importantes d’audition. Pendant l’entretien, il demandait sans cesse de répéter les questions. Cette personne n’aurait pas été heureuse chez nous. Le milieu Horeca est bruyant, cela ne lui aurait pas convenu.  »
Servir au comptoir ou en salle est avant tout un métier de contact direct. Là , l’équipier s’expose devant des gens qu’il ne connaît pas. On est loin des instituions ou des entreprises adaptées où les personnes handicapées sont davantage protégées.

ACCOMPAGNEMENT ET COACHING

Même s’il se veut une entreprise, le Café Joyeux a toutefois choisi d’être en ASBL. Le Code des Sociétés et des Associations de 2019 ayant quelque part "libéré– les activités davantage commerciales. Toutefois les bénéfices ne sont pas redistribués à des actionnaires mais obligatoirement réinvestis dans le projet lui-même.
D’autres contraintes sont aussi à assumer. Qui dit secteur du handicap dit aussi règles en termes de stages. En Région bruxelloise, l’organisme public chargé de l’intégration des personnes handicapées - le Phare (équivalent de l’AWIQ en Wallonie) propose d’abord un stage de découverte de vingt jours. Vient ensuite l’étape suivante : le contrat d’adaptation professionnelle. « Dans ce cadre, nous leur octroyons une vraie indemnité, dont une partie est subsidiée par le Phare (ou l’AWIQ pour les jeunes venant de Wallonie). Après, ils recevront un vrai contrat de travail, soumis à la commission paritaire 302 de l’Horeca. Tout est hyper normalisé et encadré.  » souligne la Présidente.

Mais l’équipe de travail compte aussi quelques personnes non handicapées : un manager, un cuisinier et deux superviseuses. « La supervision est une fonction qui n’existe pas dans l’Horeca traditionnel. Elles sont spécialisées dans le handicap et elles sont là pour soutenir les relations entre les professionnels, les équipiers et les clients. Le handicap peut impressionner et ces superviseuses sont là pour mettre de l’huile dans les rouages, que les équipiers ne soient pas perdus et qu’ils puissent progresser. » Elles sont aussi là pour gérer d’éventuels situations problématiques avec des clients. Grâce à des jeux de rà´le, elles ont pu s’y préparer.

Constance (superviseuse) et Patrick (équipier)
© Stephan GRAWEZ

Même s’il n’y a pas encore eu de clash, l’équipe risque d’en rencontrer. « Par exemple concernant la rapidité du service. Mais on rencontre beaucoup de bienveillance parmi nos clients. Les jeux de rà´le ont aussi impliqué les équipiers. Par exemple, pour les mettre face à un client mécontent et les aider à gérer cela. »
Tout ce travail de préparation est aussi un fameux investissement. Avant d’ouvrir, les équipiers ont bénéficié de huit jours de formation au sein du café. Avec la chance de pouvoir trouver des équipiers déjà un peu au fait : « En Belgique, plusieurs écoles spécialisées forment déjà à l’Horeca, comme l’École Ste Bernadette à Auderghem ou l’IRSA à Uccle. Ce qui donne déjà une base à de nombreux jeunes en situation de handicap, analyse Sophie de Beauregard. En France, ils ont monté un centre de formation Café Joyeux qui délivre un diplà´me qui est reconnu par l’État. En Belgique, la question se pose : soit on fait comme les Français, soit ce n’est pas nécessaire puisque des écoles spécialisées existent. Pour l’instant, nous sommes au stade des collaborations, comme l’accueil de stagiaires. Nous montons aussi un partenariat avec un service d’accompagnement « Vivre et Grandir » qui offre un service individualisé pour un accompagnement hebdomadaire avec un regard extérieur. »

S’ÉTENDRE ?

Comme en France, la volonté d’étendre le projet belge existe, même si cela représente un sacré investissement personnel et pas uniquement financier. Cela se fera par étapes et après avoir consolidé le Café Joyeux actuel et évalué la véritable ouverture de septembre. « Nous rêvons que ce projet puisse faire des petits. C’est un projet magnifique, mais énergivore et coûteux. Cela veut dire qu’il faut trouver de nouveaux mécènes, de nouveaux bénévoles. Même si c’est un rêve fou, il est certainement réalisable ! On ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Dans tout projet, il faudra veiller à atteindre l’équilibre en combinant le bien-être des équipiers et un certain résultat financier ».
Et si l’équipe pilote du Café Joyeux a du tout découvrir : un nouveau milieu - celui du handicap - et un nouvel environnement - celui de l’Horeca -, il est certain que les valeurs mises en avant sont fortes. « Pour nous, c’est très important de ne pas ouvrir qu’un simple restaurant. L’idée est que le jeune puisse grandir. Il y a un vrai accompagnement vers l’indépendance, vers la prise d’autonomie. Un jeune m’a dit qu’il rêvait que ses parents lui lâchent un peu les baskets et qu’il avait envie de prendre son appartement. C’est quelque chose qui semble possible s’il accède à un travail. Ce sont des choses simples, mais très belles. On regarde les talents du jeune et on l’invite à les développer. Nous sommes conscients que certains auront plus de mal à atteindre cette autonomie, mais d’autres y arriveront  » espère la cheville ouvrière du Café Joyeux bruxellois.

Stephan GRAWEZ

[1Café Joyeux 32 rue Voot –“ 1200 Woluwé St Lambert
Mail : hello@cafejoyeux.be
Tél : 02 784 37 06

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