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IL N’Y A PAS QUE COMPOSTELLE !

Sac sur le dos, chaussures de marche aux pieds : chaque année, des centaines de pèlerins s’élancent sur les chemins de France, de Suisse et d’Italie. Objectif de la via Francigena : la place Saint-Pierre de Rome ! Ou plus loin encore…

IL N’Y A PAS QUE COMPOSTELLE !

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Six heures. Il fait déjà clair en cette dernière journée de mai. Le bâtiment résonne de bruits divers. Mieke et Jan lacent leurs bottines avec soin. « Nous aimons partir tôt ; marcher dans la chaleur, très peu pour nous ! » Charlotte consulte l’app qui accompagne les randonneurs : y aura-t-il des points d’eau sur la route aujourd’hui ? Certains sont déjà partis. Markus, par exemple, dont la plupart connaissent le nom. La scène se répète chaque matin à l’ostello Sigerico. Cet ancien édifice un peu à l’écart du village toscan de Gambassi Terme accueille les pèlerins tout au long de l’année. C’est un bonheur d’y arriver après une journée de marche. L’endroit est superbe. L’ostello se cache derrière une vieille église et est doté d’un jardin. Les heures de repos au frais y contrastent avec la rudesse de la journée. En fin d’après-midi, il fait calme. L’ambiance est amicale et bienveillante. Il y a, dans la randonnée, une allégresse particulière qu’aucune fatigue ne parvient à ternir.

VERS LA TOMBE DE PIERRE

À sept heures, l’endroit se vide peu à peu. Il fait encore frais, mais cela ne va pas durer. Si l’étape d’aujourd’hui n’est pas particulièrement longue, elle est l’une des plus belles. Les pèlerins se réjouissent. Certains ont quitté Lucques il y a quelques jours. D’autres ont commencé le chemin plus haut, au col du Grand-Saint-Bernard ou à Lausanne, par exemple. Ce soir, la plupart s’arrêteront à San Giminiano. Sur la via Francigena, l’étape s’achève toujours dans une ville ou dans un village. Certes, cela oblige parfois à évoluer quelques kilomètres sur l’asphalte. Mais l’asphalte s’oublie vite !
La via Francigena se développe au VIIe siècle. Elle conduit les pèlerins sur la tombe de Pierre à Rome. Si elle est plus ancienne que le chemin de Compostelle, elle est cependant moins célèbre, et certainement moins mythique : sa fréquentation moderne est, en effet, assez récente. Pendant trois siècles, l’itinéraire reste fluctuant : c’est bien connu, tous les chemins mènent à Rome ! Le tracé se cristallisera peu à peu autour de la route empruntée par Sigéric, l’archevêque de Canterbury. En 990, Sigéric se rend à Rome pour y recevoir le pallium. Sur demande expresse du pape, il note les septante-neuf étapes de son trajet de retour. C’est cet itinéraire que suivent aujourd’hui encore les randonneurs et pèlerins de tous âges et de tous pays.

UN PROGRAMME INTERNATIONAL

Après avoir sombré dans l’oubli, la via Francigena a retrouvé un second souffle il y a une vingtaine d’années. Régions et institutions se fédèrent alors autour d’un projet mené initialement par la Toscane. Un programme international se met en place. De nouveaux touristes parcourent désormais les paysages traversés par cet itinéraire. La partie italienne de sa portion Nord est particulièrement bien soignée : un site, une app, une signalisation au top. Trop soignée, affirment les plus aventureux. Sur la route, les variantes ne manquent pas, qui invitent à passer par tel ou tel village désireux de profiter de la manne. Les randonneurs ont beau être peu dépensiers, il faut les nourrir et les loger, et ce n’est pas rien !
Jan et Mieke ont commencé à Lucques. Ils s’arrêteront à Sienne. Comme beaucoup de marcheurs en cette période, ce sont de jeunes retraités. Ils ont le temps. Charlotte est partie de chez elle, à Lausanne. Elle profite d’un intervalle entre deux emplois et chemine seule, « le meilleur moyen pour ne pas le rester longtemps ! » Quant à Markus, c’est une philosophie de vie.

UN DOUBLE PÈLERINAGE

L’itinéraire complet commence sur les marches de la cathédrale de Canterbury. Il s’achève, pour son tracé Nord, sur la place Saint-Pierre. La via Francigena traverse ainsi l’Angleterre, la France, la Suisse et l’Italie. De Rome, s’élance ensuite la via Francigena Sud qui mène au cap le plus méridional des Pouilles. C’est de là en effet que s’embarquaient les chrétiens en partance pour le pèlerinage de Jérusalem. Au total, de Canterbury à Santa Maria di Leuca, plus de trois mille kilomètres de marche et un double pèlerinage : Rome et Jérusalem.
Si ceux qui effectuent l’itinéraire entier sont rares, plusieurs le refont pourtant chaque année. Certains s’offrant même, comme Markus parti d’Hambourg, le luxe de rentrer à pied ! Beaucoup ne parcourent qu’un tronçon, trois jours, une semaine, un mois d’itinérance. Parfois, ils reprennent le trajet là où ils l’avaient laissé l’année précédente. On rencontre souvent peu de monde. Même si, en Toscane, les randonneurs sont légion : le chemin est connu pour sa beauté et ne présente pas de difficultés majeures. « J’ai l’impression de marcher dans un parc, tant c’est fleuri », se réjouit Mieke. Et Charlotte, plus jeune : « Moi, de marcher dans un fond d’écran ! » À chacun ses références ! Quoi qu’il en soit, l’itinéraire comble les sportifs, les amateurs d’art et les vrais pèlerins.

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D’AUTRES VALEURS

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La marche est un pèlerinage en soi. « Anachronique dans le monde contemporain, qui privilégie la vitesse, l’utilité, le rendement, l’efficacité, la marche est un acte de résistance privilégiant la lenteur, la disponibilité, la conversation, le silence, la curiosité, l’amitié, l’inutile, autant de valeurs résolument opposées aux sensibilités néolibérales qui conditionnent désormais nos vies », remarque David Le Breton dans son Éloge des chemins et de la lenteur. Si tous se retrouvent dans ces propos, chacun a ses propres raisons de marcher. Pour Mieke et Jan, c’est la mise à la retraite, il faut célébrer et apprivoiser ce changement. Pour Charlotte, un face à face avec elle-même à la veille d’une réorientation de carrière. Pour Markus, il s’agit d’un mode de vie : six mois sur les routes chaque année.
Pour tous, très peu de choses dans le sac à dos. L’essentiel n’est pas ce qu’on emmène, mais ce qu’on oublie, ce qu’on découvre, qui on rencontre. Au fil des conversations, d’autres perspectives émergent. « Je suis catholique d’origine, mais j’ai abandonné toute pratique, raconte Mieke. Nous nous arrêtons souvent dans les églises. Au début, c’était seulement pour profiter de la fraîcheur ! Mais, peu à peu, j’ai eu envie de prier. Maintenant c’est un dilemme : poursuivre jusqu’à Rome ou obliquer vers Assise ? » Sur la route, les couvents et les paroisses reçoivent les pèlerins. L’accueil est simple. Parfois, de vrais dialogues s’engagent. Ou un prêtre s’en vient bénir la petite assemblée d’un soir. Et tous d’accepter avec grâce ce geste devenu peu coutumier. Il suffit à souder le groupe. Peu importe si l’on se disperse sur les chemins dès le lendemain.

Geneviève BERGÉ

viefrancigene.org viafrancigena.be

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