Beldavia, dans la peau d’un migrant
Beldavia, dans la peau d’un migrant
Présentée à La Fonderie, musée bruxellois des industries et du travail (Molenbeek), Beldavia, votre nouvelle terre d’accueil est une expo-action interactive, ludique et engagée qui croise fiction et réalité. Elle fait vivre aux visiteurs les multiples difficultés rencontrées par les personnes migrantes dans leur parcours d’intégration.
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Bruxelles, 2029. La Belgique connait la plus grave crise économique, politique et sociale de son histoire. La hausse du prix de l’énergie et les difficultés d’approvisionnement contraignent les commerces à fermer un à un. En raison de l’inflation, un quart des travailleurs vit sous le seuil de pauvreté́. Le taux de chômage explose. L’État n’est plus en mesure d’indemniser la population touchée de plein fouet par la crise ni payer les pensions. La sécurité́ sociale s’effondre, et seule une partie infime de la population peut encore se payer une mutuelle. L’enseignement public est désargenté et les études supérieures, devenues privées, sont hors de prix.
Du côté politique, cela ne va pas mieux : devant l’incapacité générale du gouvernement à faire face aux multiples crises, les électeurs ont voté pour un parti autoritaire dont la propagande promettait de redresser le pays. Télévisions, radios, journaux et autres médias sont entièrement contrôlés par l’État qui administre la population à coup de mensonges. La dictature s’installe. La liberté d’expression disparait, les opposants politiques sont emprisonnés ou condamnés aux travaux forcés. Même le roi Philippe est en prison. L’autoritarisme règne et plus personne n’ose dire du mal du gouvernement sous peine de disparaître ou d’être éliminé.
UN ROYAUME IMAGINAIRE
Dès lors, de nombreux citoyens quittent la Belgique pour un pays qui les accueille à bras ouverts, la Beldavia, un royaume imaginaire et complètement décalé aux apparences idylliques. Le visiteur de l’exposition est l’un de ces réfugiés, sur un territoire dont il ne connait ni la langue, ni la culture, ni les lois, et encore moins les règles administratives. Sans compter qu’aux différents guichets de son administration, les préposés ne sont autorisés à parler que le beldavien. Mais peu importe, il s’agira d’obtenir un précieux permis de séjour et ce à quoi tout être humain devrait avoir droit : un logement décent. Ainsi que décrocher un travail à la hauteur de son aspiration.
À son arrivée, chacun reçoit une identité fictive : personne en situation de migration économique, réfugié·e politique ou migrant·e dans le cadre d’un regroupement familial. Dans la peau de l’un de ces trois personnages (il est tout à fait possible de réaliser le parcours en groupe de quatre ou cinq personnes), le visiteur entame un circuit semé d’embûches afin de pouvoir s’intégrer en acquérant un permis de séjour, un logement et un emploi. Il s’agira de s’armer de (beaucoup) de patience. Les principaux obstacles sont la perte de repères, l’isolement et la méconnaissance de la langue.
ESPOIR ET DÉSARROI
Pour se repérer et avancer dans le “jeu”, le visiteur reçoit une access card munie d’une puce électronique qui devra être scannée à chaque endroit où il doit se rendre. Dix-huit écrans sont disposés dans l’espace muséal où des choix – parfois cornéliens – doivent s’opérer afin de progresser dans les étapes d’intégration au sein du royaume beldavien. Dans ce décor très original, les épreuves s’enchaînent et les émotions se mêlent : de l’espoir au désarroi, de la honte à la joie.
Ces situations souvent déstabilisantes, voire absurdes, font écho à la complexité institutionnelle et administrative belge. Elles sont présentées sur des panneaux illustrés qui regroupent des témoignages et des chiffres clés pour mieux comprendre la migration, mettant en lumière le système administratif et les parcours migratoires en Belgique. Cette expérience puissante vise à transmettre et partager, par immersion et jeu de rôle, l’émotion et les difficultés vécues par une personne migrante qui arrive dans un nouveau pays (en l’occurrence la Belgique) et doit trouver un travail et un logement sans repère culturel ni maîtrise de la langue.
MÉMOIRE INDUSTRIELLE
Cette exposition peu commune est hébergée à La Fonderie, dans un coin de Molenbeek. Vers la moitié du XIXe siècle, à l’époque de Léopold II, l’industrie était très florissante en Belgique. Le vieux Molenbeek, quartier situé en bordure du canal, était alors communément appelé “le petit Manchester”, témoin de l’époque où Bruxelles était la deuxième ville industrielle du monde après la cité anglaise. Les usines, ateliers et autres fabriques ont profondément façonné l’univers urbain et social de ce territoire. Ces quartiers, qui ont aujourd’hui bien changé, sont encore porteurs d’une histoire sociale très intense.
La Fonderie est installée sur le site de l’ancienne fonderie de la Compagnie des Bronzes, créée en 1854, dont la réputation et le savoir-faire se sont étendus bien au-delà des frontières nationales. Elle a compté, à un certain moment, plus de trois cents travailleurs. Ses œuvres se sont exportées un peu partout, notamment dans le métro parisien. En Belgique, ses bronzes sont très nombreux, parmi lesquels la statue d’Everard T’Serclaes sur la Grand-Place de Bruxelles, le square du petit Sablon, le pont de Fragnée et “le dompteur de taureau” (le torè) à Liège. Et aussi la fontaine Brabo devant l’hôtel de ville d’Anvers.
La dernière coulée à la Compagnie des Bronzes a lieu en 1977, conséquence de la désindustrialisation et la bruxellisation. Resté à l’abandon, le bâtiment est alors voué à la démolition. Mais le collectif “Le vieux Molenbeek”, issu de l’ASBL La Rue, permettra de sauver le site, avec la volonté de maintenir la mémoire des anciens quartiers industriels laissés pour compte. La Fonderie naît en 1983 et devient en 2001 le Musée bruxellois de l’industrie et du travail. Il est aujourd’hui, le seul établissement de ce type en Fédération Wallonie-Bruxelles, reconnu comme association d’éducation permanente.
MUSÉE PAS COMME LES AUTRES
Pour Matthias Mellaerts, son directeur général, « La Fonderie n’est pas un musée comme les autres. C’est un lieu où l’on cherche à comprendre la ville à travers celles et ceux qui l’habitent. Outre son exposition permanente relatant toute l’histoire de l’industrialisation et du travail à Bruxelles, accueillir Beldavia, c’est prolonger ce regard : parler du travail, du logement, de la dignité, les mêmes thèmes qui traversent l’histoire industrielle et sociale de Bruxelles. L’exposition confronte le visiteur à la perte de repères, aux barrières de la langue, à la complexité du système… Des réalités que La Fonderie connaît bien parce qu’elles résonnent avec le passé ouvrier et populaire de Molenbeek. En fait, en accueillant Beldavia, le musée affirme son rôle : faire du patrimoine et du musée un outil de compréhension du présent, un espace d’empathie et d’émancipation. »
PROJET COLLECTIF
Cette exposition résulte de la collaboration entre plusieurs ASBL : Quizas, qui allie création artistique, production audiovisuelle et engagement citoyen, Lire et écrire et La Rue, association d’éducation permanente créée en 1978, partenaire historique de La Fonderie. La Rue a fait le choix, par un travail de proximité dans les quartiers populaires de Molenbeek, d’informer et de promouvoir la réflexion, la participation et l’implication des habitants à des dynamiques d’apprentissage de la démocratie pour les inciter à se prendre en charge.
Lire et écrire, quant à elle, lutte pour le droit à l’alphabétisation pour tous et, ainsi, œuvre afin que tout adulte qui le souhaite puisse trouver une alphabétisation de qualité près de chez lui. Cette collaboration a permis de construire le projet sur base de témoignages de migrants autour de leur vécu et de leur parcours. Il s’agit donc d’une expérience participative et immersive dotée de sens, à laquelle chacun est confronté tout au long de l’exposition qui peut durer entre une heure et demie et deux heures.
Beldavia s’adresse tout particulièrement aux élèves de l’enseignement secondaire, cette exposition résonnant largement avec les programmes scolaires de la première à la sixième année. Un dossier pédagogique très bien construit à destination des enseignants est disponible en français et néerlandais sur le site de La Fonderie. Bien entendu, tout le monde pourra également en tirer profit. La migration, le droit au logement, l’inclusion sociale et l’engagement citoyen concernent chacun et chacune. En cas de venue de grands groupes, étant donné le temps exigé par le parcours complet, des visites en décalé sont proposées afin que tous et toutes puissent faire le tour sans dérangement.
Michel LEGROS
Beldavia, à la Fonderie, rue Ransfort 27 à Molenbeek, 28/06, Ma-Di 10-17h (dernière entrée 15h30).
☎02 410 99 50 reservation@lafonderie.be lafonderie.be/
