Culture : une chasse aux sorcières est-elle ouverte ?

Culture : une chasse aux sorcières est-elle ouverte ?

En Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), une guerre culturelle cible-t-elle les artistes et associations mis en cause pour leur engagement ou leurs positions ? Faut-il s’inquiéter d’une dérive idéologique, sous couvert d’économies drastiques ?

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21 décembre 2025

· Mis à jour le

21 décembre 2025
Image d'une foule de personnes au festival Esperanzah!
UN FESTIVAL ENGAGÉ. Esperanzah ! mobilise artistes, associations et citoyens.

« Je suis un profond opposant à la culture politisée, à la culture partisane, à la culture qui croit devoir systématiquement appuyer et asseoir l’idéologie de gauche. Je crois par contre à une culture dépolitisée, à une culture qui partage au-delà des races, des langues, des différences et des nationalités », déclarait le président du MR lors des Estivales à Walibi en septembre 2025. Il réagissait notamment au boycott d’un chef d’orchestre israélien quelques jours plus tôt. « La culture doit être libre. La culture doit transcender les conflits. La culture est au contraire un vecteur de paix. Les organisateurs de ce festival ainsi que les femmes et hommes politiques qui ont soutenu ce boycott ont fait exactement l’opposé de ce qu’est la culture », concluait-il. 

Si le contexte au Moyen-Orient a beaucoup focalisé l’attention, la charge contre le secteur culturel est plus profonde. Au parlement de la FWB, les questions parlementaires s’enchaînent, venant quasi toujours du même banc libéral : l’association La Cible a-t-elle le droit de faire des animations contre l’extrême droite dans une école ? Le cinéma Sauvenière (occupant un bâtiment de la FWB) a-t-il le droit d’apposer une banderole de soutien à la Palestine sur la façade ? 

RÉCIDIVES ET INVECTIVES

Sur les réseaux sociaux ou dans les médias, les intimidations se suivent : telle association de lutte contre les violences familiales et l’exclusion est ciblée parce qu’un stand ludique durant un carnaval est jugé offensant envers les membres du gouvernement. L’artiste NENA est vilipendée suite aux Fêtes de Wallonie de Liège pour avoir critiqué un président de parti. Dès début octobre 2025, en Commission Jeunesse ou Culture de la FWB, plusieurs parlementaires s’inquiètent d’une liste noire (ou plutôt “rouge”) d’associations trop liées à des partis politiques. 2025 avait déjà démarré sur les chapeaux de roues en termes d’invectives libérales : le président du parti s’était d’abord interrogé sur l’utilité d’un ministre de la Culture, avant de juger que la culture ne devait pas se mêler de politique. 

Dans la foulée il avait raillé les frères Dardenne. « Ce cynisme ne trompe personne : il masque mal une volonté de neutraliser ce qui dérange, d’éteindre les foyers de contestation », avait réagi la cheffe de groupe des Engagés dans une carte blanche (Le Soir, 27/02/25). Plusieurs mois plus tard, ce sont près de neuf cents artistes qui, dans L’Avenir (18/10), dénoncent une « dérive fascisante », « des pressions, des menaces, des tentatives d’intimidations », parce qu’ils ont affiché « un regard critique sur notre société, nos gouvernements et les politiques en cours qui contribuent au recul des droits fondamentaux ».

ESPERANZAH! CRITIQUÉ

À Floreffe, on encaisse aussi les attaques. « Comme d’autres acteurs culturels, deux ou trois personnes d’Esperanzah ! étaient présentes le 13 février 2025 à la manifestation contre les mesures antisociales du gouvernement fédéral. Nous avons réalisé une vidéo en interviewant des participants, dont des artistes. En réponse à cette diffusion, un post du président libéral nous a taclés en affirmant que la culture devait être apolitique », raconte Florence Higuet, nouvelle co-directrice du festival. Les campagnes, les mobilisations citoyennes, sont pourtant dans l’ADN de ce rendez-vous annuel à l’Abbaye de Floreffe qui va au-delà d’une simple consommation musicale et commerciale. « La culture est éminemment politique. Lui retirer cela, c’est la vider de sa substance et de sa fonction historique, c’est la réduire à un simple divertissement, poursuit-elle. Cela nous semble logique qu’elle soit un lieu où les sujets qui fâchent soient abordés en respectant bien sûr les principes de base que sont l’antiracisme, la non-discrimination. La lutte contre l’extrême droite était notre thème en 2025. » 

Comme association reconnue en Éducation permanente, Esperanzah ! revendique aussi son droit à critiquer les dérives de la société et des institutions. « Bizarrement, ceux qui se font attaquer sont ceux qui pointent les choses qui ne vont pas dans notre société. Et en soi, la meilleure réponse c’est plutôt d’ouvrir le dialogue, pas de le rejeter. À partir du moment où des politiques tentent de dire quel engagement est bon ou pas bon, ils outrepassent leur rôle. On est quand même content que la ministre de la Culture a l’air d’avoir la tête sur les épaules. »

DIFFICILE RÉSISTANCE

Face à ces mises en cause, la ministre de la Culture résiste tant bien que mal. Tout comme la ministre de la Jeunesse. Mais les deux figures de proue des Engagés ont fort à faire. D’autant que les moratoires, non-indexations et autres économies budgétaires qui s’annoncent dans divers secteurs culturels attisent les réactions de ses acteurs. Pas facile donc de satisfaire le terrain sur le plan financier, alors que, sur le plan idéologique, la résistance semble plus naturelle. Sans toutefois aller jusqu’à la rupture avec le partenaire libéral.

Comme ancienne ministre de la Culture (2019-2024), Bénédicte Linard estime qu’« il y a vraiment une guerre culturelle qui est en train de se mettre en place, de la part entre autres du Mouvement Réformateur, dans les différents niveaux de pouvoir en Belgique. Est-ce que cela signifie que l’équilibre budgétaire de la FWB n’est pas important ? Non, mais chaque choix budgétaire est un choix politique et derrière cela, il y a un dessein politique très clair : affaiblir la démocratie au profit des plus privilégiés. La décrédibilisation de tous les corps intermédiaires participe aussi à cette guerre culturelle. Ces attaques n’étaient pas de cette ampleur avant. Dans mon gouvernement, à aucun moment, nous n’avons essayé de défaire les droits ou les libertés des uns et des autres, au contraire. » L’actuelle cheffe de groupe Ecolo poursuit : « La culture a toujours été engagée, alors doit-elle être politique ? La culture, ce n’est pas un parti politique. C’est un ensemble de personnes qui choisissent, par des moyens artistiques différents, d’éveiller les imaginaires, d’éveiller les consciences et de permettre à chacun et chacune d’agir sur le monde qui les entoure, pour pouvoir exercer son rôle de citoyenne ou citoyen. La culture donne des outils pour être éclairé.

CONCERTATION EN PANNE

« Ce n’est pas parce qu’on octroie des subsides qu’on a le droit d’interférer dans le projet de ce qui est subsidié. C’est fondamentalement en lien avec la liberté d’association et la liberté d’expression. Mais la culture, comme n’importe quelle expression de création, a aussi un positionnement politique. Exprimer un positionnement politique, ça veut dire exprimer une vision de société », analyse Alda Greoli, elle aussi ancienne ministre de la Culture (2016-2019) pour Les Engagés, après avoir bourlingué dans divers cabinets. Elle ajoute : « Les associations ont un rôle fondamental dans l’accompagnement de ce qui se passe aujourd’hui. Car la démocratie, c’est non seulement la liberté de parole, la liberté d’expression, la liberté d’association, mais aussi la capacité à la délibération collective dans l’intérêt collectif. Et cette dimension, nous devons continuer à la faire vivre. Car je pense qu’un certain nombre d’individus en politique utilise cette juxtaposition des positionnements individuels pour venir entacher notre capacité à la délibération collective. Et là, il y a un vrai enjeu. »

Mais ce qui se joue aussi – du point de vue de nombreux acteurs culturels – est que la concertation avec les divers ministres est devenue difficile, fragilisée. « La concertation est toute une culture en soi. Nous avons peut-être manqué de transmission ? Mais c’est une attitude qui n’est pas aussi évidente que cela : il faut avoir la capacité de comprendre qu’on peut à la fois faire de la concertation tout en respectant le rapport de force. Ce n’est pas évident. Et se concerter n’empêche pas le rapport de force à un certain moment. » 

Dans le secteur culturel, le début 2026 sera sans doute vite décisif. Entre mesures d’économies et débats plus…  “politiques” autour de l’avenir des divers secteurs culturels et des opérateurs qui les font vivre. Sans nul doute aussi, la question de la fameuse “liste noire” des associations ayant des liens « spécifiques » avec un parti politique devra être tranchée. On verra si son périmètre restera cantonné aux centres d’études des partis et organisations de jeunesse dépendantes de ceux-ci, ou si les craintes de s’élargir à d’autres acteurs étaient fondées. Sans compter les questions de rétroactivité pour évaluer ces liens “spécifiques”, ni les éventuels recours devant le Conseil d’État ou à la Commission du Pacte culturel… Nul doute que l’exercice de la concertation au sein du gouvernement sera elle aussi difficile ! Car les acteurs culturels attendraient une résistance plus ferme des Engagés dans cette guerre cult

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