De jeunes chrétiens français lancent LE CRI

De jeunes chrétiens français lancent LE CRI

Dix ans après l’encyclique Laudato Si du pape François, un nouveau magazine « chrétien, joyeux et radical », baptisé Le Cri, est vendu dans les kiosques depuis quelques jours. Inspiré par la joie révolutionnaire des Évangiles.

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Publié le

1 novembre 2025

· Mis à jour le

1 novembre 2025
Deux hommes en t-shirt devant un mur de briques
NÉO-CHRISTIANISME SOCIAL. Paul Piccarreta et Théo Moi font le pari d’un nouveau média radical et joyeux.

« Comme le pape François, nous croyons que “le cri de la terre et le cri des pauvres” sont liés. Ce nouveau média accompagne toutes celles et ceux qui luttent pour la justice sociale et écologique », avancent les promoteurs du projet, en gestation depuis deux ans. Ses deux chevilles ouvrières viennent d’autres médias catholiques. Le premier, Paul Piccarreta, est issu de l’hebdo La Vie et a été initiateur durant sept années de Limite, une revue trimestrielle qui, de 2015 à 2022, proposait de parler d’écologie et de critique du capitalisme à des milieux croyants pas toujours progressistes. Le second, Théo Moy, a travaillé quatre ans au quotidien La Croix.

RENOUVELLELENT

« Moi, explique Théo, j’avais un pied dans le journalisme et un autre dans la fondation de nouveaux lieux d’engagement chrétiens, à gauche pourrait-on dire en France. Comme le café associatif à Paris, le Dorothy. » Animé par des chrétiens, ce lieu situé dans le XXe arrondissement est ouvert à tous dans un esprit de fraternité et propose des activités intellectuelles, artistiques, manuelles et sociales. « J’ai également fait partie du groupe qui a cofondé le Festival des Poussières, dont le sous-titre est “Évangile et révolution”. C’est l’université d’été belge Bâtir le biencommun qui nous avait d’ailleurs inspirés. J’ai observé que, dans ces milieux-là, il y avait un vrai renouvellement de cette approche d’un christianisme d’engagement social et écologique. J’ajouterai aussi féministe, car cette dimension est importante pour les jeunes. » 

La filiation avec des initiatives engagées est donc forte. Théo poursuit : « On constate que des jeunes de 20 à 45 ans, parfois issus de milieux conservateurs ou classiques dans l’Église catholique, sont sensibles à l’écologie, au féminisme ou ont le souvenir du christianisme social transmis par leurs grands-parents. Aujourd’hui, ils sont à la fois très investis dans leur foi et dans des engagements. Mais il leur manquait un média pour les accompagner, les nourrir spirituellement et porter leur combat et leur voix dans la société. Nous sommes dans un contexte où on entend beaucoup celles de l’extrême droite catholique en France. Je pense que l’écologie pouvait être un sujet de dialogue… Mais là, on est plutôt dans un moment de clivage où une partie de ce camp conservateur se radicalise à l’extrême droite et en vient même parfois à rejeter les questions écologiques. »

Alors catho de gauche ou engagé ? « Ça, c’est une question intéressante, sourit Théo. Pourquoi ne dit-on pas chrétien de gauche ? Parce qu’il y a beaucoup de gens qui vont nous lire sans se rattacher à la gauche. La gauche est un peu un tabou dans les milieux catholiques aujourd’hui. Pour moi, l’histoire des chrétiens de gauche, c’est tout simplement celle de l’Église des années 50 à 70 en Europe. L’Église qui s’ouvre sur le monde, accompagne les luttes sociales, s’inquiète réellement des conditions des plus bas dans la société. On peut l’appeler christianisme social, d’ouverture, peu importe. C’est cette histoire-là dans laquelle on veut s’inscrire. Une histoire un peu gommée par la génération Jean-Paul II. » 

TROISIÈME VAGUE

Observateur attentif des émergences de ces nouveaux lieux agrégeant foi et engagement, Marcel Rémon, jésuite namurois, installé depuis sept ans à Paris, directeur du Centre de Recherche et d’Action Sociales (Ceras) et de la revue Projet, analyse avec enthousiasme la naissance du magazine Le Cri. « Pour moi, il y a vraiment une génération Laudato Si. Et je regarde cela sur le temps long. Après l’encyclique Rerum Novarum (1891), une première période de créativité ecclésiale engagée s’est ouverte avec les syndicats catholiques, les mouvements ouvriers chrétiens, les mouvements d’action catholique… Ensuite, deux générations après, viendra Populorum Progressio (1967). Cette deuxième vague verra l’essor de mouvements tiers-mondistes, avec Justice et Paix, Entraide & Fraternité (le CCFD en France)… Aujourd’hui, je vois une troisième vague. Mais il y a aussi un changement de contexte énorme entre le monde ouvrier, puis la période tiers-mondiste : c’est l’écologie intégrale. Laudato Si (2015) est consacrée aux questions environnementales et sociales et, de façon générale, à la sauvegarde de la création. »

Une autre caractéristique est sans aucun doute le rapport à l’institution ecclésiale. Pour Marcel Rémon, « les initiateurs de divers projets, comme le café associatif Le Simone à Lyon, les Alter cathos, le Dorothy à Paris, le Festival des Poussières… ce sont des gens qui étaient un peu à gauche, à droite, dans toute une série de mouvements où ils n’osaient pas dire qu’ils étaient chrétiens, et surtout cathos. Petit à petit, ils se sont affirmés. Beaucoup ne trouvaient pas leur place dans l’église catholique française et étaient très isolés. Ils ont mis d’abord beaucoup de temps à s’identifier les uns les autres, à faire communauté. » « De fait, confirme Théo, on accompagne aussi une génération qui peut être en rupture ou en colère vis-à-vis de l’institution. Parfois, ce public est pleinement intégré, mais pas sur le mode de la soumission et de l’obéissance, plutôt sur celui de : “Je vais là où je trouve des propositions qui m’inspirent”. »

DÉMARRAGE CONFIANT

Si les premiers échos sont encourageants, le combat sera ardu. « Je reçois très favorablement cette création qui reste quand même fragile, il ne faut pas se faire d’illusions, analyse René Poujol, ancien rédacteur en chef de Pèlerin Magazine. S’il y a une adhésion, ils auront l’argent qu’il leur permettra de vivre. Mais, dans le contexte de la presse catholique actuelle en France, où l’on voit bien que, du côté de la droite un peu extrême, on peut avoir des subventions par millions de Bolloré, de Stérin, il est évident qu’ils ne jouent pas dans la même cour. » Selon lui, Le Cri sera un magazine léché, fouillé, réfléchi en profondeur. « C’est d’autant plus nécessaire que, globalement, la presse écrite connaît une érosion, sinon un effondrement. Par exemple, en 1974, Le Pèlerin avoisinait les 340 000 exemplaires. Aujourd’hui, ils doivent être à 89 000. »

« Nous avons fait une très bonne campagne de pré-abonnement, se réjouit Théo Moy. Nous avons aussi réuni de l’argent grâce à des mécènes. Cela nous donne environ une année de trésorerie. On va repartir chercher des sous. C’est un enjeu énorme face à de grands groupes arrosés de fric, parfois même sans rentabilité. Pour soutenir une presse indépendante qui se lance, on va essayer de réveiller des fortunes plus progressistes. » 

Stephan GRAWEZ

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